CINÉMA
Publié le
21 décembre 2022
Premier long-métrage d'Héloïse Pelloquet en salles le 28 décembre prochain, "La Passagère" embarque Cécile de France et Félix Lefebvre dans une histoire d'amour tumultueuse sur la côte atlantique. Critique d’un film sensible et mouvementé.
Dans Illusions Perdues (Xavier Giannoli, 2021), Cécile de France s’était déjà abandonnée aux périls d’une romance avec un homme plus jeune, Benjamin Voisin (au XIXe siècle balzacien), qui lui n’était autre que l’amoureux de Félix Lefebvre dans Été 85 (François Ozon, 2020). Dans La Passagère, c’est au tour de Félix Lefebvre, de succomber au charme intemporel de l’actrice, de vingt-quatre ans son ainée. Amusante coïncidence, que l’on voit se développer cette fois-ci dans notre siècle, sur un îlot fictif au large de l’Ile d’Yeu et Noirmoutier. Dans les rues dénuées de touristes estivaux, la caméra d’Héloïse Pelloquet, originaire de la côte ouest, s’immisce dans le milieu des Travailleurs de la Mer.
“La passagère”, c’est Chiara (Cécile de France), mariée à un marin-pêcheur, Antoine (Grégoire Monsaingeon) depuis une vingtaine d’années. Dans cette ambiance mêlant embruns océaniques à la rudesse du quotidien, Chiara et son mari accueillent Maxence, apprenti pêcheur pour la saison. "Il ne doit rien savoir faire lui-même, je parie que c’est un caprice de petit bourge", se laisse à penser le couple dès son arrivée. Un soir, une tempête gronde – l’une de celles qui déracine les pins et fait aboyer les chiens. T-shirts mouillés et lèvres tremblantes, la femme mariée et le jeune bourgeois charmeur s’élancent dans une idylle naissante et interdite.
“L’eau est souple parce qu’elle est incompressible. Elle glisse sous l’effort. Chargée d’un côté, elle s’échappe de l’autre. C’est ainsi que l’eau se fait l’onde. La vague est sa liberté.” (Victor Hugo, Les Travailleurs de la Mer, 1866)
Elle, a le soleil dans les cheveux, l’océan dans les yeux, et cette confiance désabusée des femmes mûres. "C’est moi qui fais", s’empresse-t-elle de glisser à Maxence alors que ce dernier s’apprête à allumer sa cigarette. Pourtant, elle n’ose pas (ou plus) s’avouer qu’elle est belle (même la silhouette cachée sous un gros pull de laine). "Je suis banale, quoi", répond Chiara à Maxence lorsqu’il complimente sa beauté en toute intimité. Lui, dont le teint pâle trahit son origine bourgeoise, est peu habitué aux grandes escapades en mer et à la vie de pêcheur. Il lui répondra, transi de fascination pour cette femme aussi libre que les éléments : "Au contraire, regarde…ce petit creux en bas de ton cou, il vibre quand tu ris".
Cependant, l’adultère de Chiara, à qui l’on semble avoir refait le cadeau de l’enthousiasme adolescent – transforme cette dernière en une (nouvelle) étrangère aux yeux de la communauté insulaire qu’elle était pourtant parvenue à intégrer. Le charme de "l’esprit de la mer" que tout le monde sur l’île semblait fier de revendiquer, "celui qui pousse à prêter assistance, à n’importe qui, n’importe quand" se brise alors dans un douloureux fracas d’émotions. Livrée à elle-même, Chiara devra alors, bercée par les mélodies envoûtantes d’un certain hautbois, faire le choix d’un nouvel avenir.
Le film, voguant entre romantisme mélancolique et naturalisme contemplatif, est avant tout le récit de l’émancipation d’une femme qui apprend à apprivoiser et à assumer ses désirs. Chiara est bien éloignée des héroïnes "à la Emma Bovary, de ces bourgeoises désœuvrées qui se livrent à l’adultère par ennui", comme le souligne la réalisatrice du film, Héloïse Pelloquet. Au contraire, active, moderne, bien dans sa tête et dans son corps, Chiara fait le libre choix de continuer à découvrir et d’explorer son propre désir, de "vivre les histoires qu’elle a à vivre", alors que son actuel mariage lui glisse entre les doigts aussi facilement que la routine s’était installée. La spontanéité et la liberté dont fait preuve Chiara en embrassant cette romance nouvelle, c’est non seulement celle qui la rapproche en secret de Maxence, mais aussi celle qui l’unit à la puissante imprévisibilité de l’océan, lors de ses baignades nocturnes. Après tout, c’est peut-être cette même liberté qui la rend aussi b(elle).
Aussi, reste à souligner qu’une histoire d’amour entre une femme mûre et un homme plus jeune se fait rare au cinéma. Alors, des bateaux de pêche aux bâtisses portuaires, dans cet incessant va-et-vient entre terre et mer, la photographie chaleureuse du film sublime le charme de la façade atlantique, et la douceur des plus belles histoires d’amour, aussi inattendues soient-elles.
En salles le 28 décembre.