CINÉMA
Publié le
27 mai 2022
Depuis l’avènement des réseaux sociaux et leur cohorte d’influenceurs, la proximité triomphe sur le star-system et son culte de la personnalité. Entre l’apparition fulgurante de Tom Cruise et la première montée des marches de Anne Hathaway, ce 75e Festival de Cannes annonçait, une nouvelle fois, la présence d’un parterre de stars du cinéma international. Et pourtant, de plus en plus nombreuses, de plus en plus éphémères, les célébrités font-elles encore fantasmer ? Entre les soirées huppées d’Albane Cleret et l’effervescence des ruelles adjacentes aux hôtels fastueux, S-quive a posé la question au public présent sur La Croisette.
Le réseau social TikTok, désigné partenaire officiel du 75e Festival de Cannes, marque-t-il la fin du star-system ? A priori, non si l'on en juge la qualité de la programmation et des membres du jury, présidé par l'acteur français Vincent Lindon. Mais l'interrogation sur la notion de "star" ou "d'icônes" n'est pourtant pas fermée dans une époque où la proximité entre "stars" et anonymes, liée à l'explosion des réseaux sociaux, semble être devenue la règle.
Née dans les studios hollywoodiens dès les années 1920, "la star" est élue parmi de nombreux concurrents - les chasseurs de tête font passer en moyenne 2000 auditions avant de trouver la perle rare – avant d’être formée à Hollywood pour devenir à la fois un comédien expérimenté (elle reçoit des cours de jeu et de diction) et se doter d'une personnalité capable de fasciner les foules. Dans la période hollywoodienne classique, la star précède souvent le film, conçu comme véhicule pour celle-ci et destiné à entretenir la relation de la star avec son public. Elle est un bien précieux sur lequel le studio a massivement investi et fait figure de garantie à son exploitation. En conséquence, elle signe un contrat exclusif avec le studio qui l’emploie et doit accepter tous les rôles qu’on lui propose. Cheveux teints, maquillage, chirurgie esthétique, biographie fictive… Les actrices voient leur physique entièrement refaçonné et leur vie privée scénarisée. Cette image fabriquée par le studio détermine les rôles qu’elles obtiennent : souvent le paramètre esthétique a un rôle important dans le choix de leur emploi. Les stars sont souvent cantonnées à un ou deux genres, et leur hiérarchie est souvent alignée avec la hiérarchie des genres : une actrice de mélodrame comme Greta Garbo sera toujours considérée comme supérieure à des acteurs de comédie tel que Cary Grant ou d’interprètes de films d’aventures et de westerns comme Erroll Flynn.
A l’écran, la star est au centre de toute une attention, de toute une recherche particulière. Elle est un produit. Elle propose au public un corps sublimé par le maquillage, les costumes et les éclairages. Les techniciens sont, avant tout, à son service, et certains consacrent leur carrière à une star, à l’instar de William Daniels, photographe attitré de Greta Garbo. La star influence aussi sur le développement du récit et de la mise en scène. Photos, magazines, publicités, courriers… le star-system repose aussi sur d’autres moyens de promotions de la star, qui mobilise toute une gestion publicitaire et économique. La mode et la consommation sont aussi victimes de la star, qui représente son style de vie. Le star-system repose donc sur les techniciens, les producteurs, mais également sur les journalistes, les distributeurs et les spectateurs.
A l’ère du digital et des réseaux sociaux, la notoriété n’est plus si rare. Le terme "star" est galvaudé, devenu dépendant d’un nombre d’abonnés ou d’influencés happés par des images publiées sans relâche pour parfaire l’esthétique d’un profil certifié ou non, mais toujours assoiffé de "J’aime". "Les stars d’aujourd’hui sont des stars éphémères", explique le paparazzi Daniel Angeli qui a capturé toutes les plus grandes icônes dans son objectif. Aujourd’hui, la popularité des stars du web - qui s’inspirent elles-mêmes d’icônes – repose désormais sur leur "communauté". Car c’est bien de cela dont on parle : d’un ensemble de communautés fragmentées qui s’entremêlent à coup d’algorithmes. De plus en plus sollicitées dans les évènements mondains et prestigieux, les personnalités fascinent désormais par des créations de contenus plus ou moins exhaustifs. La valorisation de la vie privée crée un rapport de proximité. Moins de distance, plus d’intime, toujours plus. Rares sont les célébrités qui résistent encore à l’appel de la Toile. Les temps ont changé. La machine est lancée. Il faut évoluer. Mais une question reste pourtant ouverte : existent-ils encore des icônes ? Qui sont-elles ? A 22h30, sur La Croisette, l’ambiance est bonne. L’esprit est à la fête, les langues se délient, les passants sont happés par l’effervescence du festival et l'envie de donner leur avis.
Michel et Elisabeth sortent de la projection du film R.M.N, réalisé par le Roumain Cristian Mungiu, qu’ils jugent : "Pas mal". Tout en élégance, dans une robe pailletée et un costume chic, le couple de cannois profite de ce moment exaltant avec une once de nostalgie pour l’atmosphère plus festive du festival d’antan. "Il n’y a plus ce même échange avec les gens. Les personnalités sont plus éphémères aujourd’hui", soulignent-ils.
A quelques mètres, c’est un groupe de jeunes entre 19 et 30 ans qui est posé sur le rebord de La Croisette. Malak, Dorian, Mohammed, Farès et Bahaw souhaiteraient, eux, que "la montée des marches soit accessible à tout le monde". Et les icônes d’aujourd’hui ? "Oui il en existe encore comme Gérard Depardieu, Marion Cotillard, Tom Holland, Vincent Cassel ou Omar Sy. Quand on regarde son parcours, ça fait rêver. Ce sont des acteurs qui rentrent vraiment dans leur personnage." Mais lorsqu’on parle "d’icônes", les stars du football ne sont jamais très loin : "Bien sûr, il y a Cristiano Ronaldo aussi !". Promis, ils reviendront l’année prochaine "s’ils sont invités", précisent-ils.
Il scrute les personnes présentes lors d’une des soirées plage de La Croisette, le photographe amateur et retraité Philippe vient de Paris. Ce qu’il aime ? Repérer les futures vedettes. "Cette année, j’ai réussi à photographier Tom Cruise, Anne Hathaway, Julia Roberts. Je suis au courant de leur déplacement grâce au site du Festival ou je les attends à la sortie des hôtels mais c’est plus rare", explique-t-il. "A l’heure actuelle, il existe peu d’icônes, les modes sont trop rapides. Avant, il y avait des légendes comme Stallone mais plus vraiment dans la nouvelle génération." Une chose reste claire : "Les soirées d’Albane Cleret, c’est l’endroit où il faut aller !", souligne le cinéphile.
Tout comme Alseny, chef de la sécurité du Casino Les Princes, situé juste à côté de l’hôtel Marriott où la fondatrice de l’agence Albane Communication, qui fête cette année les 20 ans de Terrasse by Albane au Festival de Cannes, organise de prestigieuses soirées sur le rooftop de l’hôtel mythique. "Les soirées d’Albane, c’est magnifique. Beaucoup de personnes y sont présentes. C’est le meilleur endroit pour le moment", explique Alseny, avant d’ajouter : "Personne ne me fait rêver. A côté de ce travail, je suis aussi garde du corps, je me suis occupé de Pierce Brosnan, Salt Bae ou Eva Longoria. Ce qui me fait rêver, c’est le foot, donc Kylian Mbappé ou Lionel Messi."
Devant ce fameux hôtel, Marilyn et Rémi, respectivement 21 et 22 ans, attendent de voir sortir des stars. "On marchait et nous nous sommes arrêtés ici car on a vu plein de gens sortir comme Claire Chazal, Rossy de Palma et Carla Bruni. Cela fait deux heures que nous sommes sur place", expliquent-ils. Étudiante en cinéma, Marilyn aime l’univers de David Lynch, avec leur pass cinéphile, les deux amis restent sur le Festival jusqu’au 27 mai. "Aujourd’hui, il n’y a plus de règles. Certains adorent Léna Mahfouf (Léna Situations), par exemple. Moi, ce serait plutôt Marilyn Monroe ou Travis Scott", explique-t-elle. Rémi s’attarde davantage sur le cinéma coréen qu’il adore pour ses dénouements inattendus.
Enfin, l’artiste Nora, assise devant la billetterie de la Quinzaine des réalisateurs et qui pense "venir de la Lune", pose un regard plus controversé sur les dessous du Festival : "Pour moi, les icônes, c’est Quentin Tarantino ou Madonna. Aujourd’hui, les gens veulent être vus. La réalité est faussée, nous vivons dans une fiction en permanence. D’ailleurs, si vous saviez les sommes folles que paient certaines personnes uniquement pour être présente à une soirée et se prendre en photos avec des stars…".
Nul doute que, cette année encore, le Festival de Cannes a fait émerger des vocations, générer du rêve, provoquer des rencontres, récompenser des talents et faciliter certains business. Si les lumières médiatiques faisaient plein feu sur des têtes d’affiche largement appréciées, les anonymes de La Croisette ont permis de prendre la température d’un rendez-vous culturel annuel dont les protagonistes illustrent des grands écarts assumés.
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