ARTS

Zao Wou-Ki : accord parfait au Musée d'art moderne

Publié le

10 novembre 2023

Entre l’Europe et l’Asie, Zao Wou-Ki (1921-2013) s’invite au Musée d’art moderne de la ville de Paris jusqu’au 1er décembre prochain. Après une énième donation, en 2022, par sa veuve, son œuvre remarquable mixant peintures et vases de toutes sortes fait rêver les visiteurs. Avec silence mais lumière, ce Franco-Chinois fait voyager. Direction le monde de l’abstrait et la découverte de l’autre.

Budd Zao Wou-Ki devant 29.09.64 et la première version de 21.09.64 vers 1964 ©Adagp, Paris 2023 Photographie ©Budd

"Ce qui est abstrait pour vous est réel pour moi". Tels étaient les termes du peintre contemporain Zao Wou-Ki à ses détracteurs. Son œuvre moderne et progressive est connue de tous. Célébrée par tous, y compris au sommet de l’État. Jacques Chirac l’adorait. Elle transgresse par son abstraction protéiforme. Celle-ci évolue au cours de sa carrière. Un art novateur, iconoclaste variant entre tradition figuriste européenne et abstraction lyrique. Un artiste adulé par les critiques et ses comparses du milieu parisien. Celui aux milles et un chef-d ‘œuvres s’en est allé en 2013 avec une part de mystère. C’est ainsi, que Françoise Marquet-Zao, son épouse, perpétue l’esprit du maître avec deux donations (en 2018 et 2022) au Musée d’art moderne de Paris. Sur place, des bijoux de l’art franco-chinois réunit pour la première fois, en accrochage, jusqu’au 1er décembre 2023.

Vue d'exposition ©Pierre Antoine

Une donation exceptionnelle

11 h un quart. Il y a foule devant les portes du Palais de Tokyo. Parmi elle, des badauds mêlant septuagénaires et touristes. Quelques-uns espéraient admirer les collections permanentes de cette célèbre institution. Mais si peu ne patientaient pour contempler les œuvres si réputées de Zao Wou-Ki. Et c’est bien dommage ! Sidérée, une des gardiennes du musée, rodée à ces collections avouait une plausible désertion populaire sur cet accrochage. "Il n’y a pas beaucoup de gens pour Zao Wou-Ki. Plus en ce moment pour Nicolas de Staël. C’est dommage !", juge -t-elle. Ils ont raté un moment hors de la réalité. Un pèlerinage hors du quotidien. Un instant de plaisir des yeux et des sens. Bref, un moment permis par les donations de Marquet-Zao. Cet accrochage réunit ensemble l’une des plus importantes collections publiques en France du Franco-Chinois. Ce n’est pas moins de 11 peintures, 4 estampes, 4 encres et 7 vases qui sont là. Ils couvrent l’ensemble de la carrière du peintre, de son Hangzhou natal (sud-est chinois) en 1946 à son lyrisme abstrait des années 2000. Dans un accord parfait entre Occident et Orient, c’est un vrai voyage dans le temps. Et cela gratuitement !

Vue d'exposition ©Pierre Antoine

Subtile symbiose entre Asie et Occident

Direction le deuxième étage du Palais de Tokyo. Là une grande pièce d’un blanc immaculée. Bienvenue au pays de la couleur ! "J’adore (…) ses couleurs, sa palette, ses déclinaisons de couleurs !", murmurait une fan de Wou-Ki. Cela met dans l’ambiance. Une ambiance colorée. Bref, tout y est pour voyager avec Zao Wou-Ki. De l’Asie, la première impression est européenne. Entre 1946 et 1950, des œuvres au style occidentale, aux sujets et techniques européennes. C’est chose faite : trois huiles sur toile présentée d’emblée.  Paysage de Hangzhou (1946), Nu sous l’arbre (1949) et Citrons (1950) pour un Zao tourné vers l’Europe et la France. La campagne chinoise tel la Montagne Sainte-Victoire de Paul Cézanne, un nu féminin à la Amedeo Modigliani inspiré de Matisse ou bien des citrons, pourquoi pas venus de Menton. Zao devient syncrétique.

Zao Wou-Ki Paysage Hangzhou 1946 Huile sur toile 38,2 × 46,3 cm Zao Wou-Ki ©Adagp, Paris 2023 Photographie ©Antoine Mercier

Toujours en France mais vers l’abstrait lyrique, il pousse à la rêverie imaginative. Avec son Esmeralda et son Quasimodo un brin "fougueux adolescent" face à une apparente Notre-Dame aux tons nudes (huile sur toile 24.09.51, 1951) ou ses cathédrales noyées dans un rouge incendiaire (huile sur toile sans titre, 1952), Zao Wou-Ki file vers l’abstrait, le sans-détail. Le peintre pousse ensuite vers une pénombre hostile. Place au deuil, à l’inhospitalité, à l’obscurité ! Le corps est saisi d’effroi ! Avec son hommage funèbre à son frère Wou-Wei (huile sur toile A la mémoire de mon frère Wou-Wei – 11.02.79), Zao plonge dans une mer noire. Un noir si sombre en oxymore avec un blanc structuré, tel l’écume marin. Comme Pierre Soulages, en quelque sorte. Qui plus est quand l’un de ses tableaux de 1979 y est. Mêmes impressions et mêmes inspirations subtilement mélangées avec une utilisation de la non-couleur en 1973. L’encre de Chine rode. Zao Wou-Ki danse avec le pinceau.

Zao Wou-Ki À la mémoire de mon frère Wou-Wei 1979 Huile sur toile162 × 130 cm Zao Wou-Ki ©Adagp, Paris 2023 Droits réservés

Mais halte de pénombre ! L’entrée de la salle appelle du regard. Ces teintes estivales et quasi fauvistes sont un hommage à ses fidèles amis peintres. Son noir se fait tout à coup mixer et chasser par les couleurs de Collioure d’un Matisse, en 1914. Le vert, le rose et le bleu veulent se mixer au noir d’une encre de Chine qui n’en est pas une. Voilà la Joconde de l’artiste ! Son Hommage à Matisse !. Le point d’orgue du voyage. La destination finale d’un syncrétisme dans le détail. Cette retraitée amatrice d’art avait bien raison. "C’est impressionnant. On voyage sans voyager", s’extasiait-elle. Ou une autre qui parlait d’"incroyable découverte". Et à raison ! De l’abstraction au mystère rugueux, Zao Wou-Ki invite à la découverte de l’autre. L’abstrait à de beaux jours devant lui.

Zao Wou-Ki peignant une encre de Chine dans sonatelier de Paris 1980-1981© Adagp, Paris 2023 Photographie © Serge Lansac

Zao Wou-Ki au Musée d'art moderne de Paris jusqu'au 1er décembre prochain.

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