INTERVIEW
Publié le
11 octobre 2024
"Ayo" est un prénom qui signifie "joie". Un sens profondément spirituel et artistique pour la chanteuse éponyme Ayo. Loin des clichés que l’on peut étiqueter avec rapidité, cette joie est celle d’être soi-même dans les bons et les mauvais moments. Le bonheur de ne pas avoir à paraître, à vivre avec ce qu’on ressent, à s’isoler avec ce que nous sommes quand le besoin se fait sentir, à faire des bains de foule quand il s’agit de recharger sa batterie sociale. Sa musique est empruntée de houle, parfois de vagues scélérates, et d’autres moments de douceur huileuse. Par des instruments organiques, elle rappelle l’importance de retrouver l’être naturel que nous sommes. Depuis "Down On My Knees", il y a 18 ans déjà, la compositrice reste fidèle à un engagement artistique et sociétal. Abordant le mercantilisme, les violences conjugales, la parentalité, la spiritualité, l’océan… Un état d’esprit surf qu’elle revendique avec sagesse et passion qui l’a conduit au nom de son dernier album Mami Wata. C’est dans le cadre du Nancy Jazz Pulsations que S-quive a rencontré une personne à l’âme aussi riche et complexe que le fond des mers. Il serait un tort de considérer la musique de la chanteuse allemande avec un œil candide et paresseux. Sous l’aura mystique du jazz, se révèle toute la puissance d’un univers aussi captivant que bienfaiteur.
Votre nouvel album, sorti le 20 septembre dernier, s’intitule Mami Wata. Pouvez-vous nous dire l’origine de ce nom et pourquoi ce choix ?
L’origine de ce nom est surtout venu de l’Afrique de l’Ouest. On trouve aussi "Mami Wata" (se prononce "mami ouata"). On peut presque dire que c’est international, parce que dans les pays latins, on trouve également cette déesse de l’océan. Ce qui fait de cet élément un esprit féminin. Je l’ai choisi parce que je me retrouve complètement. C’est de l’océan que nous venons. Et, je pense que l’eau est une énergie liée aux femmes car elle porte en elles un océan qui donne et permet la vie. En ce sens, "Mami Wata" était le nom évident pour moi sur cet album.
Vous vivez à Tahiti, qu’est-ce que cette île à de particulier musicalement ?
Tahiti a des musiques très traditionnelles. Avec des vibes complètement en raccord avec l’image qu’on peut se faire de cet endroit, beaucoup de chansons sont aux ukulélés par exemple. Mais, elle a une histoire plus riche qu’on ne le pense. Dans les années 1950, l’armée américaine était énormément présente. Ça a amené le jazz sur cette île. C’est pour ça que dans les vieilles musiques tahitiennes, on trouve des sonorités empruntées au jazz. Surtout dans la façon de jouer, dans les rythmes. C’est tellement beau ! Malheureusement, la musique plus moderne a délaissé ce côté-là pour se concentrer sur des instruments et des sonorités qui jouent sur l’effet de l’ambiance île. Pour compléter ma réponse, je dois dire que ces sons et ses influences ne sont pas des choses qui m’attire ou que je cherche. On trouve peut-être des aspects des courants musicaux mais c’est dû principalement à mon état d’esprit issu de multiples choses. L’une des causes principales est liée au surf. Pour moi, ce sport n’en est pas un. Le surf est une religion. C’est quelque chose de très spirituel. Ça m’apporte ce que la musique seule ne peut pas me donner. Un calme, un équilibre, une connexion avec la nature. Il ne faut pas oublier que l’être humain est composé de 75% d’eau au départ. Et, je crois que si on revient à l’élément d’origine, et qui nous constitue, il y a une magie qui se passe. On se reconnecte différemment du quotidien. Lorsque je sors de l’eau, je ne peux pas expliquer à quel point c’est thérapeutique. Je ne peux pas vivre loin de cet élément. Et aucun être vivant ne le peut ailleurs, nous en avons besoin pour vivre. C’est dans cette philosophie qu’on peut entendre ces aspects jazz et blues.
"Notre monde est superficiel. Il faut lui redonner du sens, surtout auprès de la jeunesse."
Dans cet album, vous délivrez des messages forts à propos de parentalité, de la société mercantile, des violences conjugales... Est-ce que la musique peut impulser un changement, ou mouvement selon vous sur la société ?
Je crois totalement à ça ! C’est même plus qu’une croyance. Je pense que dès qu’on est musicien, artiste ou qu’on a une audience, nous devons parler des choses importantes comme les violences conjugales, le mercantilisme, la parentalité et toutes ces choses importantes. Notre monde est superficiel. Il faut lui redonner du sens, surtout auprès de la jeunesse. Il faut expliquer et tenter de le ramener à vivre sans les réseaux sociaux ou en étant uniquement concentrer sur la gloire éphémère d’Internet. Tu peux avoir un million sur ton compte en banque, mais tu resteras quelqu’un de très pauvre si tu n’as aucune valeur.
Vous êtes au Nancy Jazz Pulsations cette année. Quelle place à le jazz dans votre art ?
J’ai une relation assez spéciale avec le jazz, parce qu’au départ c’est un courant que je n’ai jamais cherché. C’est cette musique qui est venu me chercher et qui m’a emporté. C’est assez intime l’histoire que j’ai avec lui. Quand j’étais jeune, je trouvais ça très intellectuel et hasardeux. Puis j’ai rencontré une personne, et à ce moment tout a changé. C’est grâce à elle que j’en suis là aujourd’hui, que j’ai cette carrière, que je suis cette artiste et que j’ai profondément aimé le jazz. C’est après un rêve que je me suis sentie prête pour le jazz. Une chose aussi particulière avec l’audience de ce courant, c’est qu’il écoute vraiment. Il est présent à 100% avec un réel intérêt. C’est une belle audience. Voilà pourquoi j’apprécie particulièrement jouer dans des festivals de jazz, même si je suis heureuse de jouer ailleurs également bien sûr.
"La musique est la nourriture de l’âme."
"Ayo" signifie joie, c’est ce à quoi nous devons nous attendre en concert ?
Pas du tout ! [Rires] En réalité, oui et non. On m’a toujours dit que je portais si bien mon prénom, parce que j’étais un peu le clown de la classe, j’étais toujours heureuse et je le transmettais. Puis, grâce à ma musique, j’ai pu montrer mon autre côté. Parfois, on sourit aux autres parce qu’on ne veut pas afficher notre "faiblesse". Dans la musique, ce que j’adore, c’est que je peux exprimer 100% de moi-même d’égale manière. Je me rappelle sur des affiches d’un concert à Londres, il était écrit "Joyful Soul" ! Ils m’ont mis dans une case, comme si le public allait venir à mes concerts et trouver forcément cela. Sauf que non. C’est la joie d’être soi-même que je veux transmettre, à travers des émotions heureuses.
C’est quoi la musique pour vous ?
Pour moi, la musique est la nourriture de l’âme. C’est ce qui soigne et qui guérit l’humain. Ça inspire, conduit à des grands changements parfois. Plus encore, je pense que c’est ce qu’il y a de plus spirituel. Elle est un grand pouvoir qui implique de grandes responsabilités, car elle peut faire tellement de bien et de mal en même temps. C’est la force la plus puissante du monde.
Ayo se produira, ce soir, sous le Chapiteau du Nancy Jazz Pulsations et au Café De La Danse, à Paris du 25 au 28 novembre prochain.
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