INTERVIEW
Publié le
3 juillet 2023
Avec la sortie de son 5ème album, Années Sauvages, en février dernier, Georgio renforce encore davantage sa place dans le rap game français. Originaire de la Guadeloupe, le talentueux rappeur a enflammé la scène du Zénith de Paris, en mai dernier, tremplin idéal pour continuer l’ascension d’une carrière déjà bien remplie. Fraîchement débarqué de Montréal le matin même, celui qui transmet des émotions poétiques dans sa musique s’est prêté au jeu de l’interview et d’une prise de vue dans le quartier de son adolescence, Paris XVIIIème. Rencontre.
Vous avez fait le Zénith de Paris le 13 mai dernier. Ce n’était pas votre premier Zénith mais dans vos interviews, vous avez dit que c’était votre meilleur concert et que vous aviez mis une énergie de fou. Comment l’avez-vous vécu ?
On le savait, le Zénith était complet un mois à l’avance donc il fallait assurer. Je n’avais jamais mis autant de rigueur dans ma manière de préparer un live. On avait fait une grosse scénographie, c’était un concert avec une date unique donc je n’avais pas eu le temps de roder ce show avant. On a beaucoup bossé sans savoir ce que ça allait donner, car le crash test, c’était le jour J ! C’est beaucoup de pression, mais positive, qui donne envie de se dépasser. Et c’est ce que j’ai fait. Quand je suis monté sur scène, j’étais prêt. Mon nouvel album a été hyper bien reçu par mon public donc tout était aligné. C’était la folie, les gens chantaient tous les refrains par cœur et mes morceaux. Je me sentais complètement dans le moment présent et j’ai pu pleinement en profiter. J’ai même fait venir des guests comme : Yoa, Mister V, PLK, S.Pri Noir et même la chanteuse Cœur De Pirate qui est venue exprès du Canada.
Back to Basics. Vous commencez le rap vers 14 ans, vous participez très jeune à des open mic vers 17-18 ans. Ça ne vous fait pas peur de rentrer dans la cour des grands ?
Pas vraiment. En fait, j’y allais avec des mecs un peu plus vieux que moi, mais qui étaient de ma génération, et ceux qu’on croisait, c’était des gars qui avaient mon âge. Les open mic étaient organisés par l’association Paris Reality Check. Là-bas, je testais mes couplets. Quand on savait que le week-end d’après il y avait un open mic, on voulait tous avoir les meilleurs couplets. On écrivait chacun ses paroles durant la semaine et il fallait bien les connaître pour pouvoir les maîtriser. Pour moi, c’était les premiers lives, donc j’avais de l’adrénaline. C’était aussi la période où tu louais des studios, genre 20€ de l’heure, et tu pouvais enregistrer des sons, comme ça tu connaissais tes morceaux par cœur. Mais c’est vrai qu’au début c’était de la débrouille. Mon premier projet, d’ailleurs, je l’ai enregistré dans une caravane à Massy Palaiseau.
Vous réalisez votre premier album, Bleu Noir, en 2015 grâce au crowdfunding. Vous récoltez près de 50000€ sur les 35000€ escomptés initialement. Depuis 2016, vous êtes avec le label indépendant Panenka Music avec qui vous avez produit les 4 albums suivants. Comment vous ont-ils approché ?
Pour l’album Bleu Noir, je me suis vraiment senti soutenu bien sûr. Mais c’est paradoxal parce qu’avec 50000€, qui n’est pas une somme anodine, ce n’est pas grand-chose pour faire un album. Tout le monde ne se rend pas compte de ça. En 2014, le crowdfunding est assez récent et quand on a demandé 35000€, il y avait la pression que ce soit mal perçu. Quelques temps après ce projet, qui a bien marché, Antoine Guéna (ancien membre du groupe 1995, Fonky Flav’) qui était mon manager depuis 2013, rencontre Olivier Caillart, et le label Panenka est né. Antoine m’a proposé de rejoindre le label en me disant qu’on aurait plus de moyens et du coup, on a foncé. Je suis d’ailleurs le premier artiste à avoir signé à Panenka. Et depuis Sacré, je co-produits les albums avec mon propre label.
"On retrouve la discipline du sport dans la musique."
Années Sauvages est votre 5ème album, sorti le 3 février dernier. Sur Facebook, j’ai vu que vous aviez fait un décompte quasi journalier. On pourrait penser que vous êtes maintenant un habitué des sorties d’album mais on ressentait une véritable excitation comme si c’était le premier. Le sentiment qui prime, c’est quoi ?
C’était un mélange d’émotions parce que XX5 (2018) avait moins bien marché après Héra (2016). J’ai sorti l’album Sacré (2021) qui devient disque d’or donc j’espérais que ça continue sur cette lancée. Forcément, c’est un peu la pression de savoir comment ça va être accueilli. En même temps, je savais que j’avais bien taffé et j’étais fier de mon album. Il y avait beaucoup d’excitation. Comment les gens vont percevoir cet album ? Est-ce que ça va leur plaire ? J’attendais avec impatience de le sortir et de l’offrir à mon public. Et aussi de voir les premiers retours sur les réseaux sociaux.
On peut voir sur votre site qu’il est possible d’acheter votre nouvel album enfermé dans un vrai bloc de béton que l’on doit nous-même casser. Vous pouvez nous parler un peu plus de ce concept original ?
Pour cet album, avec mon pote Léo, on voulait avoir un univers très urbain et on a réfléchi à faire un objet physique un peu collector. Comme Années Sauvages, il y avait cette idée d’acte sauvage où t’es obligé de casser le béton pour récupérer l’album. C’est aussi cette idée de briser les codes, briser les murs.
Vous avez dit que vous vous étiez remis au sport pour préparer votre dernier album. On vous voit courir dans le clip "Hôtel 5 étoiles", par exemple, ou sur Instagram, on vous a vu au côté de Christian M’Billi-Assomo, champion de boxe. Vous pouvez nous parler un peu de votre préparation physique ?
J’ai toujours fait beaucoup de sport. J’étais en sport-étude mais j’ai arrêté vers 15-16 ans. J’aime bien l’aspect mental du sport et du bien-être que ça peut faire. On retrouve la discipline du sport dans la musique. Pour le Zénith, à Paris, j’avais envie d’être bien dans mon corps. Je voulais être en forme, être athlétique sur scène et avoir du souffle. Ça passe par pas mal de boxe, de la course à pied et de la musculation. D’abord en mai-juin 2022, à Los Angeles, et puis je me suis remis au sport vers mars 2023 pour la préparation de mon concert au Zénith.
Vous avez enregistré une bonne partie de l’album à Los Angeles avec des potes. Pourquoi cette destination ?
C’était à un moment où je voyais plein d’interviews dans lesquelles les artistes disaient qu’ils faisaient leur album à l’étranger. Je me suis dit pourquoi pas moi ? J’adore voyager et puis j’aime bien la culture américaine : le rap vient de là, j’ai fait du basket plus jeune donc la NBA, ça me parle. Je n’avais jamais été là-bas, j’avais envie de découvrir cet endroit, de parler une autre langue. On est resté un mois à Los Angeles. C’était prévu dès le départ donc on savait que ça allait être très court, et en même temps ça nous a obligé à être productifs. Un mélange de fête et de sérieux [Rires]. Je suis parti avec Lucci’ avec qui j’ai réalisé tout l’album. Quelques musiciens nous ont rejoint pour enregistrer et deux autres amis sont venus pour tout filmer : Antonin N’kruma et Guillaume Durand. Ça nous a permis de tourner les clips de l’album.
"L’amour, c’est une énergie qui t’ouvre au monde, alors que la haine te renferme. C’est de l’égoïsme mal placé."
Est-ce que l’endroit vous a fait changer votre manière de construire l’album ou vous a inspiré des choses ou, même, vous a donné envie de créer des morceaux supplémentaires ?
Los Angeles est une ville hyper connue pour l’industrie de la musique et du cinéma. Quand t’es dans l’art, c’est là que se construit le rêve américain. Tout le monde fait son truc, on retrouve un côté vertigineux. Tout le monde est là pour la même chose mais très peu vont sortir du lot. Ça te pousse à être toi-même. Aux États-Unis, on s’en fout que tu sois la copie d’untel et donc chacun à sa personnalité, son propre style. Ça m’a vraiment aidé pour faire ma musique comme je l’entendais. Pour en être fier et me dire : ça c’est moi. J’avais des morceaux déjà écrits avant, et il y en a plein que j’ai écrits là-bas, ça m’a beaucoup inspiré.
On remarque que le sujet de l’amour est une grande source d’inspiration. "L’énergie d’amour", comme vous dites, ce n’est pas seulement l’amour amoureux, mais aussi celui pour ses proches, sa passion. Dans votre monologue introspectif sur le titre "Enfants Sauvages", vous dites que le contraire de l’amour c’est la peur. C’est-à-dire ?
Pour moi, l’amour, c’est une énergie positive qui te donne envie de faire des choses, d’avancer et de vivre. Si j’ai pu sortir 5 albums c’est grâce à mon amour de la musique, mon amour du rap et de l’écriture. L’amour que j’ai pour mon public, c’est lui qui m’a amené à faire des concerts. Ce sont des énergies qui viennent du cœur. On pourrait penser que la haine, c’est le contraire de l’amour, mais la haine c’est juste de l’amour qui a mal tourné, de l’amour vaseux. C’est la peur qui va t’empêcher de faire des choses. Le vrai miroir inverse de l’avancée, c’est le fait de ne pas bouger et c’est la peur qui fait que tu ne bouges pas. La peur est liée au stress, à des pensées négatives. C’est la peur de l’échec qui te bloque et si tu la gardes, tu ne fais rien.
Dans Le Hussard sur le Toit, Jean Giono a écrit : "La haine n’est pas le contraire de l’amour ; c’est l’égoïsme qui s’oppose à l’amour". Vous en pensez quoi ?
Je suis assez d’accord. L’amour de soi, c’est important mais l’amour, c’est une énergie qui t’ouvre au monde, alors que la haine te renferme. C’est de l’égoïsme mal placé. Je pense que c’est important de toujours transmettre quelque chose. Nous sommes nés pour l’amour et l’humain est constamment à la recherche d’amour sous différentes formes.
"Grâce au rap, je me suis rendu compte que j’étais hyper sensible aux mots, que ça m’impactait."
On parle de vous comme un rappeur poétique et vous parlez souvent des auteurs qui vous ont marqué et dont vous vous êtes inspiré : Marc Aurèle, Robert Desnos ou Michel Foucault, entre autres. D’où vient cette passion pour la littérature ?
J’ai arrêté les études très tôt. Je n’ai même pas mon bac. J’ai passé mon bac pro vente en alternance, je bossais chez Nicolas, le magasin de spiritueux. Je n’ai jamais trouvé ma place dans le milieu scolaire, mais j’ai toujours été hyper curieux de la vie, de la culture. Et je ne sais pas pourquoi mais je me suis mis à lire naturellement. Les livres m’ont amené à des rencontres, qui elles-mêmes m’ont guidé sur d’autres lectures. C’était un cercle vertueux. La plupart de mes lectures sont des suggestions de mon entourage. Grâce au rap, je me suis rendu compte que j’étais hyper sensible aux mots, que ça m’impactait. Ce que j’aime dans le rap, c’est qu’il y a tellement un truc de proximité et d’urgence dans cette musique qu’on peut tous s’identifier.
Vous avez déclamé des vers d’Alfred de Musset pour faire la promo d’un parfum de Givenchy. C’est une marque avec qui vous êtes toujours en contact puisqu’elle vous a habillé pour le concert au Zénith. Il y a encore des collaborations de prévu ?
Effectivement, le spot de pub c’était en 2018. Là, pour le concert, on était en contact avec Givenchy, mais au final on a gardé que les bijoux et pas les habits. Pour le moment, on n’a pas d’autres collaborations de prévues, mais si jamais il y a une opportunité, je reste ouvert.
Il y a 6 ans, vous avez fait un live en mettant en musique une lettre de Frida Kahlo écrite à Diego Luna : Ma nuit est un cœur qui bat et dans une autre interview, vous avez dit que vous aimiez bien vivre la nuit. On peut faire un parallèle avec les deux ?
Déjà, je vis moins la nuit qu’avant [Rires]. Quand je suis en mode studio, j’aime bien écrire la nuit parce que c’est un moment où il n’y a plus la pression du temps, de l’horloge, des autres. T’as vraiment l’impression d’être seul et ça te met directement dans ta bulle mais, plus je vieillis, et moins je le fais. Maintenant, j’ai une vie sociale plus stable et si t’es trop décalé, tu peux te perdre dans ce rythme de vie.
"Pour avoir des choses à raconter, il faut vivre."
J’ai lu, quelque part, que vous aimiez bien les longs morceaux sans refrain comme sur votre titre "Ici-bas", mais sur votre dernier album il n’y en a aucun. C’est quelque chose que vous aimeriez refaire plus tard ?
Je ne me sens pas obligé de le faire. Il faut le sentir mais j’aime ça et j’en ferai d’autres. Mais j’avoue que j’en ai un de côté que j’aime bien, qui est plus dans le style rap.
Vous avez fait beaucoup de feats dans votre carrière, notamment Vald à vos débuts. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Avec Vald, on a fait presque une dizaine de feats. C’est un gars que j’ai rencontré sur Facebook. Il avait sorti un freestyle sur internet que j’avais trop kiffé et je l’avais ajouté en ami. Il était encore inconnu à cette époque. Je lui avais envoyé une démo que j’avais faite et ça a matché direct. On a sorti quelques sons ensemble après.
Et par la suite, vous avez fait intervenir pas mal d’artistes sur vos albums comme Angelo Foley sur l’album Sacré et plus récemment, Yoa, PLK ou Josman. Ça vous plaît de travailler en duo sur des morceaux ou des albums ?
Les feats, je les vois un peu comme des rafraîchissements dans l’album. Quand je pense mon album, je le pense en global pour qu’il y ait une cohérence. Mais en vérité, on peut l’écouter comme on veut. Je sais comment les gens consomment la musique aujourd’hui. A la base, il y a un sens et un début vers une fin. Il faut que tout puisse s’écouter comme une trame sans que ça brusque. Et les feats, je les vois un peu comme des guests. Comme dans un film où c’est moi le personnage principal, et d’un coup, hop t’as un autre héros qui arrive et tu fais : "Wow, ça tue". Un album, c’est toujours le même mec avec son champ lexical. Entendre une nouvelle voix, un autre style, je trouve ça cool aussi.
On va évoquer la suite. La réédition d’Années Sauvages est sortie récemment et vous avez une tournée de concerts prévue à la fin de cette année. Et après ?
Pour le moment, je prends un peu de temps pour moi et je verrai vers quoi j’irai. A la fin de l’été, je vais me remettre dans la dynamique de la tournée qui va avoir lieu en novembre et décembre. Je vais devoir me préparer parce que ça va être assez intense, c’est presque 20 dates en 2 mois. J’ai sorti beaucoup de projets ces dernières années. J’ai donné beaucoup de moi donc je vais voir après la tournée de cette fin d’année. Pour le moment, je fais des morceaux de mon côté mais je ne me mets pas de pression, rien n’est prévu. Et puis, pour avoir des choses à raconter, il faut vivre.