RIVE GAUCHE
Dans son premier livre, Éric Greff revient sur la genèse du personnage d'Helmut Fritz, grotesque interprète du tube Ça m’énerve et véritable phénomène. Témoignage aussi désabusé qu’amusé, Rock star sinon rien décrit une impitoyable industrie du disque, qui le lance comme une blague et le dégage avec mépris.
En 2009, si toutes celles qui portaient la frange à la Kate Moss teintaient leurs lèvres de gloss, c'est peut-être pour mieux agacer ce charmant Helmut Fritz, beuglant éperdument “ça m'éneeeeeerve” sur toutes les ondes de France. Mais derrière ce chanteur à l'accent allemand, “une fraise Tagada qui aurait fusionné avec un rideau autrichien”, se cache Éric Greff, vendeur de BMW soudainement propulsé dans un milieu dont il ne maîtrise pas les codes. Dans Rockstar sinon rien, l'auteur raconte la création de son avatar pop, la surprise d’un succès instantané, la gloire absurde, et la chute aussi rapide.
Éric Greff s'est toujours vu en haut de l'affiche. Il a commencé le théâtre à huit ans et la musique à douze ans. De caves en kermesses, il chante dans des groupes de rock, durant toute sa scolarité et abandonne pour intégrer une école de commerce. Rock star sinon rien commence à sa trentaine dynamique, alors qu'il est cadre commercial chez BMW. Mais son très bon salaire ne pallie pas son ennuie. Il démissionne et enchaîne des petits boulots, plus ou moins reluisants, en attendant d'être su scène. Car avant Helmut, Eric fait de la pop sensible et poétique, sans succès. Après avoir regardé un documentaire sur feu Karl Lagerfeld, il décide de devenir quelqu'un d'autre. Inspiré par le designer qui a fait de sa vie un théâtre, jouant l'ultra condescendance à coups de lunettes et de choupette, Eric enfile le costume d'Helmut, un dandy vulgaire et aigri. En dix minutes, il écrit son tube avec la voix de Karl en tête, passant au scalpel toute la hype parisienne qu’il n’arrive pas à côtoyer. Sur un son électro bidouillé à l'aide d'un ami claviériste, l'extravagant Helmut devient le railleur improbable au second degré de tout ce qui frustre Éric au premier degré.
Rapidement, il tape dans l'oeil de Sony et la SACEM lui déroule le tapis rouge. Le vendeur de BMW devient le premier ambianceur de France : il enchaîne les radios, remplit l'hippodrome de Longchamp, et vend 500 000 exemplaires de son single. Pour tenir le coup et entrer dans la folie de son personnage totalement branque, il s'envoie des Jack Daniel's. Epuisé après deux années de promo, de clubbing et, a fortiori, d’intense picole, il décide de profiter de la notoriété d’Helmut pour attirer le regard sur les chansons pop d’Eric. Mais l'album est un échec commercial et la major le lâche. S'il retourne en club en 2013 et fait le buzz avec un ça m'énerve version crise sanitaire en 2020, il garde l'espoir de se défaire d'Helmut, acceptant progressivement de ne plus retenir le succès. Eric admet finalement que son double est bien plus rock'n'roll que lui, daignant bien voir plus petit.
Rockstar sinon rien, d’Éric Greff, Anne Carrière, 208 p., 19 €.