MUSIQUE

Musique et substances illicites : une esthétique (ré)créative à ne pas esquiver ?

Publié le

13 décembre 2024

Vald a dit : “La première fois que j’ai pris de la D, j’ai vu que je pouvais aimer”. Un constat qui l'amène à appeler un de ses meilleurs album Xeu, en référence à l’ecstasy. Notorious BIG rappait qu'il vendait de la drogue à des “bouffons”. Nirvana hurlait chercher “l’autre monde de Leonard Cohen” à base de feuilles de menthe dans "Pennyroyal Tea". La prise de drogue est, bien entendu, illégale, condamnée par énormément d'artistes et par la loi. Mais, au-delà des conventions, des facilités et des clichés, l’esthétique de la drogue dans la musique n’est pas qu’une simple récréation. Jimi Hendrix, Janis Joplin, Amy Winehouse, Kurt Cobain, Mac Miller, Ol’ Dirty Bastard, LCD Soundsystem, Henry Purcell, Erik Satie sont des personnalités célèbres pour leur consommation. Du rock, au hip-hop, au classique, à l’électro, c’est un art visuel, sonore, vestimentaire, philosophique, sensible et aussi multiple que chacun d'entre nous. L’idée, dans ses lignes, c’est de passer outre l’écran de fumée...

Cosmic blues

Si vous avez la référence de "Cosmic blues", vous aurez une musique de Janis Joplin en lisant ces mots. Cette chanson s’inscrit dans le psychédélique. Un genre né dans les années 1970. Dire qu’il a dominé le marché, c’est peu dire. Absolument toute l’industrie s’en empare. Que ce soit des groupes peu connus comme 13th Floor Elevators ou Gong, jusqu’à Pink Floyd ou The Rolling Stones. A cette époque, ce courant se base sur la prise de drogue plus ou moins violente, et en plus ou moins grande quantité. Se droguer, à ce moment, c’est normal finalement. Pour autant, l'idée est déjà d’explorer une nouvelle manière de créer. Cela peut sembler étrange, mais c’est exactement de cette façon que les Beatles ont écrit les projets qui ont le plus marqué la pop culture : Abbey Road et Sgt.Pepper. La pochette d'Abbey Road est mythique pour le mystère iconique qu’elle possède. Elle est également culte, parce qu’elle incarne le lâcher prise, une ouverture à une vision du monde et une considération de la musique révolutionnaire (selon leurs références). Ça donnera notamment lieu au brillant et fulgurant “Lucy in the Sky with Diamond”...LSD. Les petits chouchous de la Reine, sont devenus des artistes underground. Peut-on supposer qu’ils seraient finalement arrivés au même résultat sans rien prendre… ? Oui sans doute ! C’est là qu’entre en jeu une règle fondamentale dans l’industrie musicale…le timing ! Le temps, ce n’est pas de l’argent, c’est de la création. Plus il passe, plus les idées se meurent.

À partir du moment où vous rentrez dans le mécanisme, vous devenez un chèque en blanc sur lequel il faut rentabiliser le temps et les zéros avant la virgule. Vous devez produire, proposer des banger, savoir inventer du neuf avec du vieux, du vieux avec du neuf, du pareil mais pas pareil. Bref, le syndrome de la page blanche n'existe pas ! D’autant plus, quand vous êtes les quatre garçons dans le vent. Dans une impasse, et sentant la fin arriver, le groupe voulait partir sur un climax, un cliffhanger, un truc qui choquerait les esprits… Pourquoi pas tenter alors une nouvelle façon de composer ? Il n’y a rien à perdre. Ce qui va donner, non pas une nouvelle impulsion musicale, mais la découverte d'une esthétique sans fin. Le Flower Powe,r c'est l'âge d'or de l'esthétique récréative. Les couleurs sont vives, les formes libres, les paroles aussi sérieuses que frivoles, les thèmes aussi durs que cartoonesques. Les années 1970/1980, ne sont pas une révolution musicale, elles sont une découverte d’une façon inédite de créer. La culture pop réduit cette période à une imagerie fantasmée. D’un point de vue artistique, elle est une ère de libération. Elle montre que la musique n’a pas de note, pas de forme, pas de couleur, pas de genre.

Cependant, l'esthétique musicale et iconographique des années 1970 marquera l’histoire avec ses légendes et ses idées reçues. Mais, si la drogue dans la musique n’était que ça, elle n’aurait pas été un sujet de livres, de films, de documentaires, de fantasmes. Le rapport avec cet art est beaucoup plus viscéral. Lorsque Carlos Santana joue “Soul Sacrifice” à Woodstock, il avouera avoir improvisé le show tant il été sous l’emprise de la mescaline. Une performance légendaire, due à une émotion des plus humaines : le trac. Le compositeur était tellement nerveux qu’il avait besoin de se libérer l’esprit pour jouer. C’est exactement ça qui va faire que la drogue va se répandre dans toute la musique, en particulier le hip-hop…la liberté ! Une notion que Vald, Alpha Wann, Georgio et Lomepal vont reprendre.

Sex, drogue et Rock’N’Roll

Cette expression, c’est le magazine Life qui va l’écrire pour la première fois en 1969. C’est avec la chanson éponyme de Ian Dury que l’expression va prendre l’ampleur qu’on lui connaît. Elle est assimilée au mouvement rock ; traduisant aujourd’hui une quête d’hédonisme idéal. Contre toute attente, c’est le hip-hop qui va donner des lettres de noblesse à une maxime plus riche qu’elle n’y paraît. Future va ralentir ses rythmes pour donner l’illusion d’avoir pris de la lean, une boisson violette qui donne le sentiment de voir le monde derrière la caméra de Terrence Malick. Une couleur qu’on retrouve sur la pochette du dernier projet du rappeur. Une même esthétique qu’on peut supposer entendre dans la chanson, sans doute la plus célèbre, d’un rockeur nommé : Prince, avec “Purple Rain”.

Là où les séparatistes cloisonnent à renfort de crochets, au prix de la préservation ; des artistes y vont à coup de U-2665, au prix de la sauvegarde de l’Homme. Ces gentlemates vont être, entre autres, des rappeurs tels que Post Malone, XXXTentacion, Colombine ou Damso. Côté visuel, une attitude va mêler langue pendue, gros bras qui flex, corne du diable et dent en or. Des tatouages de gang sur le visage, avec des cheveux de punk. Des guitares acoustiques sur des dabs. Côté technique, nous entendons le flow hachuré du punk, des sons saturés par l’overdrive du grunge, de la trap qui fait trembler les murs du métal et du chant en mode pop star. Uniquement par l’esthétique de nos yeux et nos oreilles, ces noms vont donner un sens profond de ce que l’union drogue-musique propose. A mélanger toutes ses influences, ils sont en recherche de changement radical et violent : socialement, intérieurement.

C’est dans leurs mots qu’ils vont véritablement franchir la ligne. La liberté n’est pas la quête de l’artiste, elle est celle de l’être humain. L’esthétique drogue/musique se tourne vers ce fondement des plus spontanés. Nous aimons ces chanteurs, parce qu’ils évoquent ouvertement leur dépression, leurs abris illusoires dans les prises, l’erreur d’être tombé dedans par conformisme, du long chemin pour en sortir. De l’image d’épinal de kaïras qui tirent autant de balles que de filles, on passe à des personnes qui tirent autant de larmes que nous en retenons. Voici l’essence de ce que veut dire “Sex, drogue et rock’n’roll”.  Ce n’est, bien entendu, pas la première fois que ça arrive, même dans la rap. Mais, ici, c’est un mouvement artistique global qui s’est démocratisé pour se répandre comme une traînée de poudre dans la culture mainstream.

Un grand pan des rappeurs nationaux et internationaux va condamner fermement les grandes doses. Orelsan dans “Notes pour trop tard” écrit : “Être défoncé, c'est même pas la partie qu'tu préfères”, Mac Miller explique en une phrase combien il est perdu à cause de sa consommation avec la question “J’aimerais savoir pourquoi je sirote ce jus du diable” ; enfin Népal dira que “la drogue, c’est ce qui fait que des gens bien se reposent, pendant que des enfoirés travaillent dur”. Même Caballero & JeanJass, qui font des émissions de comparaison de cannabis avec High et Fines Herbes, vont fermement refuser d’être vus comme des rappeurs qui poussent à la consommation.

"C’est pas de la coco, c’est du parmesan"

Avec cette punchline, le duo belge va affirmer qu’il serait de l’irrespect artistique et humain de les associer à des personnes qui dessinent des lignes sur une table. Difficile d’accepter de s’éloigner des facilités, lorsque pour voir le bien, il faut se mettre à la place de l’autre. C’est ce qui rend une œuvre comme Requiem For Dream aussi culte dans le cinéma. Une œuvre toute droit issue de l’esthétique drogue-musique. Un film traumatisant avec un traitement sonore reproduisant ce que vous pouvez ressentir sous emprise. La voix des personnages sature jusqu’à rendre insupportable la parole. Nous préférons alors zapper, fuir, ne pas entendre l’autre. Ce qui a profondément marqué toute une génération se trouve dans la détresse que nous pouvons tous ressentir un jour. Le réalisme audible des effets de la drogue donne une esthétique percutante au point qu’elle devient cathartique. Une œuvre shakespearienne moderne. Prendre la peine d’autrui pour en faire sienne, c’est l’essence même de ce qu’a été un groupe comme De La Soul. Un groupe légendaire du hip-hop, qui va synthétiser ce qu’est l’esthétique drogue-musique des années 1970 jusqu’à nos jours.

Dans les cendres d’un héritage psychédélique, le groupe trouve l’équilibre parfait entre sentiment de rage de la rue, et songe de paix de toute la société. Dans les sons, les mix en arrière-plan semblent venir de l’espace. Ils s’inspirent de compositeur comme Sun Ra, un jazzman qui faisait ce qu’on appelle la musique cosmique. Il y a des sons qui semblent sortir de Stars Wars, comme si R2D2 posait un flow. C’est très inspiré blues, des claviers presque disco 1970, du scratching, et comme si ça ne suffisait pas, un flow qui slam, rap, chante. La formation aborde la liberté d’esprit, la quête d’ailleurs, l’envie de s’en sortir, le poids du quotidien, le rêve d’un meilleur jour, la lutte pour avoir sa place à l’instar de chacun. De La Soul arrive dans les sciages du mouvement Black Panther. Entre violence, justice, paix et Humanité. Avec son esthétique psychédélique radicale dans le rap, le groupe comprend qu’il faut voir en grand pour saisir du renouveau monumental. Le hip-hop condamne la drogue pour son mal évident. Mais, dans une balance trop orientée, la question se pose de savoir si les moindres maux ne sont pas le meilleur des mondes, en attendant qu’Huxley écrive la suite.

Nekfeu disait que si vous pensez que des jeunes “niquent leur vie”, c’est que “vous ne comprenez pas qu’ils se défendent”. Trop putride devient l’esprit qu’on a pétri de modernité. Au-delà de la musique dans sa forme, se trouve ce qu’elle dit dans son fond. L’esthétique si particulière de la drogue dans cet art, donne naissance à des auteurs qui dénoncent fermement un système complet qui va bien au-delà des clichés. C’est toute une philosophie qui remet en question les lumières factices de la ville…

La suite à retrouver sur le podcast Les Musiques Vagabondes.

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