INTERVIEW

MC Solaar : "C’est impensable de considérer que j’ai tout accompli, j’ai encore énormément à faire."

Publié le

24 décembre 2024

Il est 19h, la nuit est déjà bien installée, le froid de l’hiver passe par la fenêtre mal fermée du bureau. Dans cette atmosphère d’inertie, c’est Claude MC chaleureux et lumineux qui remet du mouvement de sa simple voix, avec un "Allo" qui invite de suite à se découvrir. A l’occasion de la sortie de Balade Astrale, dernier volet de la saga Lueurs Célestes, S-quive a discuté avec Claude Honoré M'Barali. Heureux de voir Notre-Dame de Paris restaurée, le maître de cérémonie s’exprime avec cœur et humanité. Cet esprit éthéré, qui se structure par la poésie des mots, rappelle que la vie est une question de tempo. Celui qui sème le Saint Groove, n’a rien d’obsolète ; bien au contraire, son nom aujourd’hui presque sacralisé. Alors qu’il rallumera une "love story" raggamuffin avec son public au cours d’une tournée des salles et des festivals à travers le pays en 2025, rendez-vous rouge cœur avec un monument de la culture hip-hop, et bien plus encore.

MC Solaar ©Romain Garcin

Vous avez finalisé un triptyque sur presque une année. C’est un projet qui demande du temps à l’écoute. Cette année, plus que jamais, nous avons constaté l’impact des réseaux sociaux, notamment sur l’absence de temporalité avec ce souci de répondre aux tendances. C’est un sujet dont vous parlez dans la chanson "Mytho". Est-ce que ce track est un exutoire ou une tentative de réveil des consciences pour les autres ?

"Mytho", c’était des choses que je voyais dans la vie quotidienne. Ça remonte à la période du selfie. En anglais, selfish signifie "égoïste". Chaque fois que je voyais des personnes le faire, ou des installations devant les monuments pour prendre des photos de soi comme ça, je rebondissais sur ce mot. Puis, en regardant les journaux et l’actualité, je constatais que les gens perdaient petit à petit leurs âmes en se transformant sur les réseaux sociaux. Il y avait aussi les différentes arnaques qui existent, avant même les influenceurs. Avec la question qui est : faut-il croire tout ce qui est embelli sur le web ? Ce genre de morceaux c’est plus un warning, un avertissement qui se veut sur un ton un peu humoristique.

"L’héritage que je garde de DJ Mehdi, c’est vraiment ses albums extraordinaires."

Un mot que vous utilisez est intéressant, c’est celui de "communauté". Est-ce que ce terme a encore du sens selon vous ?

Ça semble difficile. On dit que tout est organisé en tribu, en communauté… Pourtant, on consomme chacun dans sa bulle. Cet aspect de "communauté", qui fait la société, n’est vraiment pas évident à trouver aujourd’hui. Parce qu’il y a très peu, trop peu, de choses que nous partageons. Je ne critique, bien entendu, pas le digital et les évolutions sociales. Mais, quand un acteur célèbre meurt, par exemple, il n’y a plus ce moment d’arrêt qui fait communion. Nous sommes tous sur nos écrans individuels, ce qui nous fait perdre des moments de répit qui servent et qui font le trait d’union.

On reste dans le passé et l’avenir, avec le reportage DJ Mehdi : Made In France. Vous êtes allé à la rencontre de ce jeune artiste. Comment cela s’est passé ? Quel est l’héritage que vous gardez de Mehdi ?

C’est Manu Key qui m’a parlé la première fois de Mehdi. Je l’avais déjà écouté avant et je l’ai rencontré entre 1993-1995. A cette époque, nous avions et nous prenions le temps d’écouter de la musique. C’est ça qui nous a permis la rencontre. L’héritage que je garde de lui, c’est vraiment ses albums extraordinaires. Ses trouvailles ! Sa gentillesse également. Sa joie lorsque je vois un track parce qu’il joue à New York avec Pedro Winter. Je sais surtout qu’aujourd’hui il y a des jeunes de 17 ans qui sont venus voir l’avant-première, parce qu’ils reconnaissent sa musique. Ce qui veut dire qu’il a laissé une trace.

Dans chacune de vos trois parties du triptyque, vous avez un titre écrit en storytelling. Pourquoi il est important de continuer à raconter des histoires ?

Parce qu’il y a beaucoup de morceaux que j’ai énormément aimé en commençant la musique. C’était ceux de Slick Rick ou Biz Markie, qui racontaient des tranches de vie avec un début et une fin. Comme disait NTM : "C’était une prise d’otage en live". Ça devient "Cinéma pour les aveugles" ou "Candy-Man". Par l’école, j’ai appris l’unité de temps, de lieu, d’action. Je pense que ça m’a donné l’arsenal et les codes pour raconter des histoires. A un moment, l’envie naît tout simplement parce que j’avais en mémoire des storytelling qui m’ont profondément marqué. Je pense à "I Need Love" de LL Cool J, presque tous les morceaux de Geto Boys. Une dernière raison, c’est que je ne veux pas faire toujours la même chose, alors je vais vers le storytelling.

"C’est impensable de considérer que j’ai tout accompli, j’ai encore énormément à faire."

Dans votre dernière partie du triptyque, il y a le titre "Maître de Cérémonie". Un fil tendu entre le début et la suite puisque vous dites : "J’étais un apprenti maître de cérémonie, je suis un apprenti maître de cérémonie". Quelle est la dernière chose que vous avez appris ? Que vous reste-t-il à apprendre ?

Je ne savais pas sur le moment. Je me suis dit que je ne pouvais pas partir comme ça. Alors j’ai changé la phrase en me disant que j’ai encore beaucoup à apprendre ! J’écoutais, il y a encore quelques minutes, des rappeurs qui ont moins de 22 ans, et qui proposent de vraies trouvailles. C’est alors impensable de considérer que j’ai tout accompli, j’ai encore énormément à faire. La dernière chose que j’ai appris de très fort, c’est qu’avec la volonté on peut tout réussir ! Quand on a lancé le projet du triptyque, j’étais sur les routes de France, je ne pensais pas pouvoir garder un tel rythme et parvenir à aboutir à ce projet. Ce que j’ai appris c’est qu’avec un agenda on peut faire de grande chose ! [Rires] Pour la première fois de ma vie j’ai un agenda, et ça tue ! Parce que tu peux accomplir tes missions, tu sais ce que tu as à faire le lendemain. Tu peux tout faire avec cet outil.

MC Solaar ©Romain Garcin

Dans ce troisième volet nommé Balade Astrale, on a un sentiment d’une liberté musicale encore plus grande. Un plaisir non dissimulé de se balader dans toutes vos influences, vos identités sonores et les sons nouveaux que vous avez découvert avec les artistes d’aujourd’hui au regard des 3 collaborateurs qui composent avec vous l’album. Cette partie a eu une composition particulière qui explique ce sentiment ?

C’est effectivement l’album de la liberté dans l’ensemble du projet. J’ai travaillé avec un compositeur dont j’ai entendu parler. Il ne voulait pas faire des morceaux qu’il avait déjà pu créer, ni de s’axer sur la musique du moment. Il m’a proposé de faire un morceau long. J’ai compris que j’avais la liberté. De fil en aiguille, on a changé d’époque, de thème, de rencontre, d’échange. Nous nous sommes laissés porter par ce hasard. Il y a de la spontanéité tout le long de cette partie. Parce que je cherche des personnes qui se meuvent par cette chose qu’on appelle "la quête de liberté".  

Les trois pochettes du projet sont sur le même modèle. Une explication des tonalités choisies ?

Il faudrait demander à Maxime de la maison de disque, puisque c’est lui qui a choisi les couleurs. Je ne sais pas s’il y a une symbolique particulière. Je trouve qu’elle renvoi à l’esthétique d’Andy Warhol. Ce qui est certain, en revanche, c’est que nous voulions mettre plusieurs couches de vêtement sur moi. C’était le parti pris de départ.

"Il fut un temps je disais aux gens de prendre le temps. Maintenant, je leur dis de foncer parce que la société a changé."

Que faut-il esquiver dans la musique ?

Il faut esquiver les conseils parce qu’ils arrivent toujours trop tard ! Je me suis rendu compte que lorsque les gens voyaient quelque chose à la télé ; qu’ensuite ils conseillaient au groupe et artiste de faire pareil, la mode était passée. Le temps d’enregistrer, de mixer et de rendre disponible la musique, le parfum du moment s’était évaporé. A contrario, il faut curieusement toujours écouter les conseils. Parce que, ces personnes te veulent du bien. Dans ce cas, il faut simplement prendre du recul et tenter de clarifier cette soupe miso. Dissocier le bon du moins bon pour trouver un sens et un équilibre entre ce qu’il est juste d’écouter et de laisser de côté. Une autre chose, que j’ai compris récemment. Il fut un temps je disais aux gens de prendre le temps. Maintenant, je leur dis de foncer parce que la société a changé, ce qui demande d’agir autrement.

Le rap est la musique la plus streamée aujourd’hui. Si vous deviez nous donner le nom de ceux qui le représentent le mieux, selon vous, dans la nouvelle génération ?

Je vais remonter de quelques années avec Orelsan. Pour ses clips, sa manière de s’exprimer et pour ce qu’il dit de cet art. Je dirais également Booba, jusqu’à Nero Nemesis. Pour sa droiture sur une ligne de conduite qu’il défendait corps et âme ; celle que le rap doit être une musique revendicative. Pour avoir une ouverture et pour le fait de l’avoir vraiment popularisé sans perdre le sens de cet art, Bigflo et Oli. Ce n’est pas juste de la musique, ils ont réussi à mettre en réseau leurs cerveaux et leurs cœurs à la portée de tous, mais sans jamais oublier un thème. Ça va jusqu’au titre que je vais épeler parce que je ne dis jamais d’insulte : "S.A.L.O.P.E". C’est quand même très fort quand il le joue en live en plein milieu d’un stade, quand on sait la diversité de leur public. D’autant plus que c’est toujours juste.

Aux yeux du public, votre nom est presque sacré, c’est une institution quasi religieuse. Pourtant, vous manifestez sur vous-même un vrai recul, notamment lorsque dans une interview sur Clique, vous riez d’un look que vous abordiez durant un live. Comment vous expliquez cette attitude à l’évocation du nom MC Solaar ? Et de la fois où vous portiez un fameux bonnet blanc… ?!

Ça ne fait pas depuis longtemps que j’ai constaté cette attitude. Je dirais que c’est post Covid. Je ne saurais t’expliquer pourquoi sincèrement. Je pense que je suis devenu vieux ! Ce qui fait qu’une certaine distance s’est creusée, notamment avec les jeunes rappeurs. Les personnes qui ont une vingtaine d’année vont peut-être se dire : "C’est une légende". De mon côté, je crois que je n’ai pas trop changé en réalité. Je me rappelle de ce bonnet blanc, j’étais tellement heureux de l’avoir trouvé ! Ça faisait style américain, avec son look synthétique, j’avais de l’allure ! [Rires] Aujourd’hui, il reste des marqueurs fort comme "Solaar Pleure", "Nouveau Western", "Da Vinci Claude", "La vie est belle". Ce sont ces titres que les gens retiennent. Ces chansons les ont accompagnés à grandir, elles sont le symbole de quelque chose qui reste dans le temps à cause de leur profondeur. C’est ça qui crée de la distance. On ne sait pas toujours sous quel angle me voir…et c’est tant mieux !

MC Solaar ©Romain Garcin

Pour vous, c’est quoi la musique ?

J’ai lu dans un livre américain, que c’était de la mathématique. C’est une théorie d’Aristote, qui reste encore un mystère pour moi, puisque c’était en anglais. En dehors de ça, je ne sais pas bien ce que c’est… Des souvenirs pour toute l’humanité. C’est un art qui fait sens à l’être humain.

MC Solaar sera en tournée dans toute la France en 2025.

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