INTERVIEW
Publié le
10 octobre 2022
Après avoir embrasé la côte sud tout l’été, le vol "Maraboutage Airlines" poursuit son voyage à la 37e édition du Festival international de mode, de photographie et d’accessoires à la Villa Noailles de Hyères. Au cœur de l’évènement créatif, les grands professeurs de déhanchés autoproclamés, membres du collectif marseillais La Famille Maraboutage, créé en 2017, préparent, comme à leur habitude, des performances aussi ardentes qu’unificatrices. Maryam Kaba, visage phare de l’équipe, rappelle les mots d’ordre d’une soirée réussie.
Comment s’est formé le collectif La Famille Maraboutage ?
Le collectif a été fondé par les amis et DJ Géo Le Lion et Scrap Coco en 2017. Le nom vient des petits tickets de marabout que l’on retrouve sur les pare-brise des voitures et qui vous promettent des merveilles comme : retrouver l’être aimé, réparer un ordinateur à distance et autres promesses de bonheur. L’un des fondateurs du collectif collectionne les tickets de marabout. C’est donc un peu parti de là. Cela porte d’ailleurs un nom il s’agit de magopinaciophilie. C’est un néologisme qui décrit la collection de prospectus publicitaires vantant les services de marabouts. Géo était imprégné de l’influence afro-descendante électronique revisitée et Scrap, plutôt par de la musique électronique. On m’avait parlé d’eux dans le cadre d’un projet-évènement pour SOS Méditerranée (association civile européenne de sauvetage en mer créée au printemps 2015 grâce à la mobilisation de citoyennes et de citoyens résolu(e)s à agir face à la catastrophe humanitaire des naufrages en Méditerranée centrale, ndlr). Entre-temps, je suis allée à l’une de leurs soirées, en 2018, et j’ai pris une vraie claque ! J’ai vécu quatre ans à Rio et je ne pensais pas retrouver ce genre d’ambiance ailleurs, y compris à Marseille. Je me suis dit : "Je ne vais pas les lâcher !" [Rires]. J’allais à leurs fêtes, une fois par mois, à l’U.percut, une salle fermée depuis. Avec les trois danseurs performeurs, nous nous sommes connus sur la piste. D’autres sont venus et aujourd’hui, nous sommes dix : Géo Le Lion, Scrap Coco, Scorpio Qveen, Sun, Mae-L, Daddy Dino, Mahelys, Marie Khane, Toopiti et moi. Les deux DJ nous voyaient bouger comme des fous devant eux, et en 2019, ils nous ont proposé de venir danser comme ça avec eux pendant leurs mix. Ça a commencé comme ça, sans cachet, par plaisir et l'envie d’ambiancer les gens. Au fur et à mesure, ça a grossi. Nous nous sommes formés autour du kiff pour la même musique et la même vibe sur la piste de danse. C’est quelque chose d’assez unique qui nous a rassemblé.
Cet été, le collectif a été invité à performer au Blue Cargo et au Queen Classic Surf Festival à Biarritz, entre autres. Vous avez un discours très impactant en début de représentation. Vous pouvez nous en parler ?
En 2020, avant le Covid, nous avons fait une soirée "Maraboutage Airlines". Nous avons ensuite été confinés deux mois comme toute la France et l’été 2020 s’est embrasé à Marseille car les gens étaient au bout du rouleau. Toute la France est venue faire la fête, ici. Nous avons fêté les trois ans de La Famille Maraboutage dans un club, où il devait y avoir près de 4000 personnes. A la base, nous ne dansons pas sur scène, donc je me promenais dans la fosse ou parmi les gens, et beaucoup m’ont rapporté des comportements inacceptables, des propos homophobes… J’étais très énervée. J’ai pris le micro à 1h du matin pour dénoncer les comportements ou propos homophobes, racistes ou misogynes. J’ai dit simplement : "Ces gens ne sont pas les bienvenus. Si on vous voit faire, on autorise tout le monde à vous pointer du doigt, à appeler la sécurité et à sortir immédiatement de notre fête". De là, j’ai décidé d’écrire un manifeste qui dit concrètement : "Bienvenu sur le vol Maraboutage Airlines. Nous allons décoller pour se faire marabouter. Les mots d’ordre sur ce vol sont : bienveillance, lâcher-prise, authenticité, sécurité, respect, consentement et amour". Je le rappelle au début de chacune de nos fêtes pour donner le ton et que les gens ne soient pas surpris si les videurs leur tombent dessus… C’est arrivé qu’une danseuse se fasse ploter justement et le mec a été sorti du festival.
"Nous ne sommes pas dans une performance m’as-tu-vu, nous sommes de gentils fous !"
Vous insistez sur le terme : "consentement". Par la danse, demeure aussi cette fonction éducative…
Oui, il y a encore beaucoup de boulot à faire. Même si la parole se délie, mieux vaut prévenir que guérir. Je pense que ce discours en dissuade plus d’un d’avoir un comportement qui ne serait pas réglo par rapport aux femmes. Nous précisons même que "tout manquement sera sévèrement puni". Nous sommes un collectif queer, déconstruit, LGBT ; donc par ce que nous sommes, nous faisons de la politique. Par ce que l’on dit et ce que l’on joue, nous sommes à 100% dans l'idée de tolérance. Nous sommes ouverts et acceptons tout le monde car nous souhaitons que les gens assistent à ce genre de performance et évoluent dans leur vision des choses.
Vous invitez des spectateurs à monter sur scène avec vous autour de chorégraphies improvisées et hyper sexy. Comment suscitez-vous un tel lâcher-prise ?
C’est vrai que les gens sont complément dingues à chaque fois [Rires]. Ils se lâchent complètement ! Je pense, déjà, qu’on ne se prend pas au sérieux et ça se voit. Nous sommes dans aussi dans l’image, mais pour que les gens présents se disent : "Moi aussi, je peux le faire". Nous ne sommes pas dans une performance m’as-tu-vu, nous sommes de gentils fous ! Fous de façon saine et bienveillante et nous avons trouvé une façon de parler aux gens sans mettre de barrières. Les corps parlent, sans blocage, car les gens se sentent en sécurité. Par nos corps, la musique que l’on joue et le manifeste, les gens se sentent bien, je pense. C’est le sentiment que j’ai ressenti la première fois que je suis allée à une soirée Maraboutage avec des DJ happés par leur passion de la musique. C’est une connexion entre les musiques jouées et l’interprétation en mouvement. Nous nous préoccupons vraiment de la façon dont le public ressent nos performances et comment nous allons l’emmener avec nous durant le vol, peu importe qui il est !
Quelles sont les influences artistiques de La Famille Maraboutage ?
Nous ne pouvons pas dire que nous faisons du voguing ou du waacking car c’est une communauté spécifique dont nous ne faisons pas vraiment partie. Il y a des codes et, dans ce cas, on ferait de l’appropriation. Comme la musique est afro-descendante, nous effectuons un voyage hyper large entre soca dans les caraïbes, samba funk au Brésil, dancehall en Jamaïque et une variété de styles de musiques africaines. Nous faisons beaucoup d’impro et nous avons chacun nos influences. Nous créons aussi notre gestuelle et nos mouvements autour des spécialités de chacun. On ne peut pas vraiment nous donner d’étiquette.
"Une fête réussie, c’est une fête sans jugement."
Connaissez-vous le collectif La Creole qui célèbre la danse, la musique et qui dépasse toute forme de clichés en valorisant la diversité et le mélange des genres et des cultures ?
Bien sûr ! Je connais très bien la fondatrice, Fanny, qui est une amie. Nous avons déjà fait des choses ensemble. D’ailleurs, ils étaient invités au Queen Classic Surf Festival, l’année dernière. Les valeurs qu’ils défendent nous parlent aussi. Nous valorisons la diversité, la différence en en faisant une force et non quelque chose qui nous sépare. Nous célébrons la diversité des cultures, du métissage… Nous célébrons aussi Marseille qui est un grand bordel organisé ! Pour le coup, la chanson de Jul, ce n’est pas pour rien !
On peut vraiment vous qualifier de "grands professeurs de déhanchés" ?!
[Rires] Je pense ! J’ai une amie qui dit toujours : "Libération du bassin !". C’est une libération du stress, des carcans et de toutes les injonctions de la société par la danse et le lâcher-prise. Nous avons trop de règles, de cases, de codes, de préjugés et même de jugements de nous-même.
Une fête réussie, c’est quoi ?
Une fête réussie est une fête où il n’y a pas eu de débordement ou de retour d’agressions en tout genre. C’est aussi une fête où lorsqu’on arrête la musique, il y a encore du monde et les gens en redemandent. Où les gens dansent et ne passent pas leur temps à boire ou prendre de la drogue. C’est une fête aussi où les gens nous remercient car ils ont pu être eux-mêmes. Quand on vient me voir et qu’on me dit : "Merci, je n’ai jamais pu danser comme ça". Une fête réussie, c’est une fête sans jugement.
A quand un show dans la capitale ?
On a pas mal bougé ! On a fait le festival We Love Green, le Peacock, la péniche Le Mazette… On a bien ambiancé Paris !
Où pourrons-nous vous voir prochainement ?
Je n’y étais pas mais le collectif revient d’Ouganda où il a performé au festival de musique électronique Nyege Nyege. C’était une consécration car il y a peu de collectifs européens appelés pour jouer là-bas. Nous allons aussi performer au festival international de mode, de photographie et d’accessoires à la Villa Noailles à Hyères !