INTERVIEW

Gab Bois : "Il faut esquiver les objets trop récents conçus avec l’obsolescence programmée."

Publié le

19 décembre 2024

“En faire plus avec ce qu’on a déjà”, c’est le mantra de Gab Bois, artiste et photographe canadienne qui réinvente les objets du quotidien en les transformant en œuvres d’art décalées et surprenantes. C’est également la ligne directrice de sa collaboration avec Back Market, première place de marché de produits électroniques reconditionnés, avec qui elle s’est associée pour imaginer une collection capsule. Une volonté commune : revaloriser les objets électroniques destinés à être jetés pour en faire des accessoires de mode uniques en leur genre. Pour ce faire, Gab Bois s’est emparée d’une série d’objets issus des années 2000 en leur attribuant une toute autre fonction. Parmi les 75 pièces ultra-limitées de la collection : un bougeoir fait de webcams, une cagoule composée d’écouteurs filaires, une ceinture avec pour boucle, un téléphone à clapet, ou encore un porte-monnaie dissimulé dans une caméra. Soit des créations singulières qui font écho au travail de l’artiste, qui sait parfaitement détourner un objet banal pour en faire une création fascinante et désirable. Minimalistes et très premier degré, les photographies de Gab Bois ont d’ailleurs largement conquis les réseaux sociaux. Rencontre avec une artiste pluridisciplinaire qui excelle dans l’art de sublimer l’ordinaire.

Gab Bois X Back Market

Votre collaboration avec Back Market vient d’être dévoilée. Comment s’est déroulé le processus de création de la collection ?

L’équipe de Back Market est venue vers moi, en début d’année, avec un désir d’allier mode et art pour réaliser une collection, ainsi qu’une campagne marketing 360 qui pourrait être à la fois portée et disponible en ligne. Tout s’est fait très naturellement car les objets tech vintage utilisés pour la collection sont aussi des objets que j’utilise dans mon travail. Mon équipe et moi avons présenté à Back Market un grand filet d’idées avec une centaines de produits potentiels. Ensuite, le processus a été très collaboratif pour décider quels objets nous allions utiliser. Certains étaient trop compliqués, notamment à cause d’enjeux de taille mais aussi de genre. On souhaitait aller dans la direction la plus inclusive possible pour cette collection.

Vous vous êtes servie d’objets issus des années 2000 dans cette collaboration. Que pensez-vous du retour des années 2000 dans la mode et le lifestyle en général ?

J’aime bien ! Pour moi c’est vraiment la nostalgie. Il y a des tendances auxquelles j’adhère et d’autres non, mais je trouvais ça important de choisir une variété d’objets qui étaient différents de l’offre actuelle de Back Market. L’idée était de se différencier avec cette collection. Mais c’est sûr que les objets des années 2000 sont très compatibles avec ce que les gens aiment voir en ce moment.

"Je trouve important de pouvoir contribuer au réemploi des objets tech, mais aussi des objets de toute industrie."

Les bénéfices de cette collection seront entièrement reversés à l’association Right To Repair Europe, dont l'objectif est de rendre la réparation des produits électroniques abordables. Est-ce important pour vous que vos projets soient engagés ?

Ce n’est pas toujours possible et compatible pour certains partenariats, mais dans un contexte comme celui-ci, c’est super. Ce n’est pas quelque chose de nécessaire pour moi mais c’est un plus, et c’était surtout un élément logique pour cette collaboration. Je trouve important de pouvoir contribuer au réemploi des objets tech, mais aussi des objets de toute industrie. Pour la petite histoire, j’ai commencé la photographie avec une petite caméra qui appartenait à mes parents. Ils l’utilisaient en voyage mais elle était laissée aux oubliettes depuis des années. Quand je l’ai trouvée, c’est devenu comme un trésor pour moi. Avoir eu accès à cette caméra m’a vraiment aidé à commencer ma carrière, alors que c’était un objet destiné à être vendu ou à être jeté.

Gab Bois X Back Market

Vos œuvres sont assez uniques et invraisemblables. Pourquoi avoir choisi de réinventer les objets du quotidien ?

C’est une passion que j’ai depuis l’enfance. J’ai toujours aimé créer des choses avec ce que j’avais sous la main. J’aimais beaucoup le bricolage. Étant enfant unique, j’avais beaucoup de temps seule et d’espace pour jouer. Je pense que ça a été très formateur pour le développement de mon imagination. Mon père faisait aussi de la peinture à l’huile, et était fasciné par les natures mortes du quotidien et les objets transmis de génération en génération. J’ai donc toujours eu un intérêt pour les objets mais pas d’un point de vue matérialiste, plus dans le sens de les collectionner. J’adore également aller en friperie et en brocante pour pouvoir trouver des choses uniques avec une histoire, pour ensuite leur donner une nouvelle vie.

Vous utilisez notamment de la nourriture pour vos œuvres. Y-a-t-il une raison particulière à cela ? Quelles sont vos limites ?

La nourriture a toujours été un sujet qui me fascine au niveau visuel. Enfant, j’avais des goûts compliqués et souvent je n’avais pas faim, alors mon père se montrait très inventif et installait les aliments de mon assiette de façon à créer une histoire. Il coupait, par exemple, mes tranches de fromage pour en faire des animaux. Alors même si je n’avais pas faim, je finissais toujours par manger mon assiette. On m’a très vite appris que jouer avec la nourriture n’était pas forcément synonyme de gaspillage alimentaire. On fait de plus en plus d’installations comestibles, mais quand on veut créer des pièces durables on utilise, par exemple, de la fausse nourriture en résine réaliste ou des aliments secs expirés.

Gab Bois X Back Market
Gab Bois X Back Market

Pouvez-vous nous décrire votre processus de création ? De l’inspiration, au choix de l’objet, à la mise en place jusqu’à la photographie…

C’est vraiment au cas par cas. Le processus varie beaucoup. Certaines pièces simples peuvent prendre trente minutes à être créées, alors que d’autres peuvent prendre des semaines. C’est d’ailleurs ça qui est fun car on résout souvent des problèmes à complexité variable. Aujourd’hui, on est une équipe de 6 personnes, un véritable studio design, alors qu’au début j’étais toute seule. Le fait d’avoir une équipe permet d’aller chercher toutes sortes de projets et partenariats.

"Il faut esquiver le plus possible les objets trop récents conçus avec l’obsolescence programmée."

Vos œuvres sont assez surréalistes. Vous êtes-vous inspirée de cette mouvance ? D’ailleurs, vous placez-vous dans une communauté artistique ou un mouvement ?

Non, pas vraiment. Il y a beaucoup d’artistes qui m’inspirent de par leur démarche ou de par l’aspect visuel de leurs œuvres. J’adore également l’histoire de l’art, aller au musée… Mais j’ai du mal à situer mon travail dans un courant. Mais sans doute que si je faisais l’exercice de comparer mes œuvres à celles d’autres artistes, je serai capable de m’identifier davantage.

Vous êtes suivie par presque 700 000 personnes sur Instagram. Quel a été l’impact des réseaux sociaux et d’internet dans votre carrière ?

Immense ! Je dois énormément à Instagram et à internet en général. Ce qui a été très formateur pour mon œil et ma créativité, c’est tous les blogs d’images comme Tumblr, par exemple. J’ai toujours aimé regarder du contenu. Quand j’ai commencé Instagram en 2016, c’était le tout début du marketing d’influence, et l’application ressemblait plus un blog, sans publicité, sans story, avec un contenu chronologique. Grâce à l’algorithme de l’époque, il y a eu un engouement naturel autour de mes publications. A ce moment-là il n’y avait pas cette pression d’accrocher les gens en à peine deux secondes comme c’est le cas avec TikTok aujourd’hui.

Gab Bois X Back Market

Y-a-t-il d’autres domaines artistiques vers lesquels vous souhaiteriez vous tourner à l’avenir ?

Le design d’événements, la conception visuelle d’espaces et de gastronomie… Ce sont des domaines qui nous passionnent mon équipe et moi. Nous aimerions faire plus de vidéos également. J’ai toujours eu du mal à me concentrer sur une seule chose à la fois, alors le fait de travailler sur autant de projets en même temps ça me garde stimulée.

Enfin, que faut-il esquiver dans le monde de l’art selon vous ?

Bonne question ! J’ai du mal à aller dans la négation. Alors si vous le voulez bien, je reformule la question vers le monde de la tech. Je dirais qu’il faut esquiver le plus possible les objets trop récents conçus avec l’obsolescence programmée. C’est définitivement quelque chose que je retiens de ma collaboration avec Back Market. Je trouve que l’artisanat et la passion se perdent beaucoup dans ce domaine.

Gab Bois X Back Market

La collection Gab Bois x Back Market, à retrouver ici : https://backmarket2005.com/fr-fr

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