MUSIQUE

"La Haine : jusqu’ici rien n’a changé" … Si, la BO !

Publié le

17 novembre 2024

Du cinéma à la scène, il n’y a qu’un fleuve. La haine serait de ne pas voir le besoin urgent de faire revivre le film au titre éponyme de Mathieu Kassovitz. Vivre ensemble n’a jamais été si impossible à l’heure des plateformes grouillantes. Dans les bas-fonds s’embrase une violence qui ne demande qu’à éclore. Dans les hauts-cieux s’accumule une pluie diluvienne. Une arche sur toile de comédie musicale, théâtre et voile blanche bourdonnent dans un grondement violent ! Avoir la haine…qu’est-ce que ça veut dire ? Ce n’est sans doute pas vouloir l’attention, la considération, l’amour de l’autre. Quoique ? Il faut mériter le regard en face. Là où Levinas encensait le visage du voisin, le modernisme digital ensanglante les frères. Un dilemme monstrueux qu’on veut éteindre à coup de Molotov. L’essence de l’Homme n’est pas de s’ameuter, car il est un loup pour lui-même. Solitaire par ses sens méprisés, il doit réapprendre à se venger à coup de cœur levé métissé. La haine, c’est le mouvement et l’immobilisme. La haine, c’est le début et la fin. La haine, c’est la vie et la mort. La haine, c’est l’amour et la haine. La haine, c’est tout ce qui reste quand elle n’est plus. Depuis le 10 octobre dernier, le succès de la comédie musicale engendre une prolongation du show parisien avant une tournée française. Si cela semble évident même après 30 ans, il ne faut pas faire de raccourcis. C’est dans les chemins escarpés que se trouve la vérité. Si le visuel joue dans la balance, la musique doit aussi peser dans l’équilibre. Et c’est de ce point de vue que nous allons parler ensemble de La Haine : jusqu’ici rien n’a changé. Se concentrer uniquement sur les chansons, c’est prendre le risque de ne pas comprendre pleinement l’œuvre. Mais, jamais nous n’irons à la trahir ici. Nous sommes en quête d’une toute autre lecture, une identité et un message peut-être très différent, pour lui faire honneur. C’est l’histoire de La Haine, bande originale, interdit aux batards !

En noir et blanc, comme le film de Kassovitz

Prend de la vitesse dès l’introduction ! Lancé à pleine balle sans sommation. Un feu venu du monde signe votre arrêt de mort. Vous cherchiez un incendie, mais est-ce vraiment la solution ? "Vivre ensemble", voici le premier titre de la bande originale. Une ode à la fraternité. Dans une poésie sonore malhabile, c’est un premier message de paix qu’on entendra de La Haine. Jusqu’au déséquilibre salvateur de l’écho d’instrument traditionnel venu des poussières du temps. L’harmonie y est fragile. Les contraires s’attirent pour photographier un monochrome. Entre ombre et lumière, le cliché reste pour l’instant confortable. Nous arrivons en terrain connu. L’histoire est celle de Personne. C’est celle de celui qui partit à la conquête de la toison sans boussole. Une aventure moderne comme le passé en possède des milliers. Puis, surgit de l’étroitesse des parois des conventions la nuance. Avec la question de savoir si la haine est envisageable comme réponse. Car de ce sentiment naît l’isolement. Nous sommes des milliers à être seuls, bloqués dans notre rage. Parce que "Si je prends soin des autres, qui prendra soin de moi ?". Voici ce qui alimente les braises. Une reproduction du passé que l’avenir se garde de préserver. De la distance pour voir la couleur apparaître. Dans le film en noir et blanc de la vie, soudain surgit la chaleur venue d’ailleurs. La solution n’est pas dans l’autre, c’est-à-dire quelqu’un ; elle est peut-être dans l’autre choix que nous pouvons faire. Il y a des jours où ça vous porte, des jours où ça déborde. Le reste du temps, l’autre choix ne serait-il pas de partir ? Sortir du cercle du feu qui réduit en cendres tout ce qui le touche. En ronde mécanique qui allonge les figures jusqu’à les déformer. Au point qu’on ne voit plus que des masques aux allures fantomatiques.

Un arc qui se termine avec une œuvre sans parole. Le titre "ENEMY", qui crie comme une danse démembrée sa rage, grésille à en déranger les tympans. D’un calme inquiétant, cette rage passe à un martèlement suffoquant, à un cri de ralliement, à l’explosion silencieuse d’une balle dans la tête dans le miroir. "A qui tu parles ? C’est à moi que tu parles ?" ; à qui s’adressent vos sentiments ? La haine de l’autre trouve parfois sa source dans la sienne. La violence remplace la poésie, la vulgarité abuse des intentions réelles. Et, soudain, des rails conduisent à ne regarder plus que devant soi. Avec des œillères, on s’émerveille d’un discours poignant. Celui qui condamne la narration, devient conteur. Les murs résonnent vides malgré un impact saisissant qui tamponne encore dans nos poings. Un ton déroutant qui tient bon, grâce à une interprétation plus que convaincante. Un virage qui ramène à une vision étriquée, car trop intime. Pour finalement servir un récit sonore vraisemblable plus que vrai. Une histoire sans couleur là où le propos veut éveiller à la gradation. Un arrêt brutal face à l’horizon des évènements.

Personne n’a réussi grâce à la haine

Lorsque la haine devient un sport, ça conduit à briser son esprit. Mais, lorsqu’on pense que des gens ressemblent à la violence, ça amène à se méfier. On tire sur l’ambulance de peur qu’elle nous ôte encore un frère. On brûle la police de crainte qu’elle soit de mèche. On arrive au partisianisme, dans un chant d’opéra, des coups de trompette sonnent dans le ciel. La révolution est finie, c’est l’heure du jugement. Une nouvelle histoire, aveugle et solitaire, vous amène encore ailleurs. Au final, c’est le parcours d’un pays que vous écoutez. Une habitude que nous n’avons pas, qui offre une écoute intéressante. Une transition toute trouvée, avec la haine de l’autre côté du périphérique. Lâchez les 22, dans le jeu, vous serez le bleu. Des mots maladroits, pour une émotion décousue. De la colère qui semble juste. Une envie de vengeance dénonciatrice pour tous. Si cela manque de nuances, l’album rappelle que c’est un point de vue extérieur. L’idée n’est pas d’être juste, mais de dire qu’il existe un ailleurs qui cherche la même chose. Et surtout, que des liens violents se rompent dans la violence. Dans l’excès, vous mourrez tels la poudre et le feu. Dans un baiser qui consume tout sans distinction. Le son rappel que personne n’a réussi grâce à la haine.

Tout ça fait oublier que, dans l’individualité collective que l’on vous chante, il existe aussi une dualité. Celle d’une femme et d’un homme pris entre la tempe et le feu. Coincés par les murs de l’habitus et la pulsion de mort. Une histoire qui retombe dans l’oubli quasi instantanément. Étouffée par une nécessité de ne pas perdre le rythme. Piégée dans un engrenage créé par le système. Cette parenthèse, belle comme la fugacité, a malheureusement le revers de cette dernière : l'éphémère. Dommage, lorsqu’on propose un discours aussi juste. Car dans ce cas, la mise est un tapis. Reste à espérer que l’auditeur, persuadé du bluff, n’ignorera tout simplement pas.

L’4mour

Mesdames, messieurs spectateurs il n’y a pas de neutralité. Mesdames, messieurs les auditeurs, c’est nous tous, la France. Tant qu’il y aura des parents qui ferment les couvercles du cercueil. La rue n’appartient pas à des TN. Le sommet de la pyramide n’est pas réservé à des cravates. La musique s’envole sans même battre de l’aile. La nuance donne des couleurs infiniment belles. Le dezoom tempère l’ouragan de la haine. Jusqu’à maintenant, on a regardé l’histoire par la lucarne jalouse. C’est un vrai souffle d’air d’entendre une société prise dans son ensemble. Jul, Rim’k, Aya, La Garde Républicaine, Gojira, forment un paquetage qu’on appelle l’Humanité. Un hurlement violent comme la haine. Un battement final qui arrête la machine sans prévenir. L’engrenage explose. L’impression est de voir enfin après autant de flou. Un bilan triste dont les larmes déroulent des cordes d’espoir. Une conclusion dure qui fait résonner les voix silencieuses. C’est de loin, pour cette chanson, que La Haine version 2024 mérite d’exister. Un mot simple qui explique pourquoi jusqu’ici rien n’a changé. Parce qu’il est l’unique rempart inébranlable. Quand les émeutes, les bavures, les talkshows, l’inculture, les jugements, les raccourcis, la facilité, les Unes, les polémiques, le déshumanisme ou les likes dominent… Il ne reste plus qu’une seule chose à dire : l’amour !

Jusqu’ici tout va bien… Jusqu’ici tout va bien…

On se quitte comme le réveil d’une nuit trop agitée. Vous tentez de reprendre votre souffle, vous qui sprintez depuis 40 minutes. Pris d’une histoire, d’une émotion, d’une ambiance à l’autre. C’est un projet éprouvant que vous écoutez. Il aurait sans doute été plus percutant et plus harmonieux de se quitter sur ce cri d’amour. Mais, c’est sur un épilogue pop que cet album prend fin. Ce qui permet de partir avec plus de douceur de la salle, sans doute. Musicalement, c’est un pas de côté qui montre combien le hip-hop est devenu la musique du peuple plus que jamais. Une pop qui remet de l’équilibre là où vous aviez trouvé le juste. Elle rattache la corde coupée, de peur de faire perdre le fil. Mais un nouveau chapitre est toujours précédé par le vide d’une page blanche.

Voilà que vous arrivez justement sur les derniers mots de ce papier par l’espace d’un saut de ligne. Écouter le spectacle La Haine n’a rien d’évident. C’est une aventure sonore tellement subjective. Une poésie mélancolique pleine d’espoir personnel. Un rêve brutal à vivre intimement. La mise en scène dansante, cinématographique, orchestrale, interactive et universelle donnera une dimension au-delà de l’humanisme. Car il reste cette chose à dire avant d’aller écouter et voir le musical. C’est que si vous cherchez à entendre et observer de l’Humanité, vous allez déchanter. Si le spectacle s’appelle La haine : jusqu’ici rien n’a changé, c’est bien parce que jusqu’ici tout va bien. Sauf que l’important, rappelez-vous, ce n’est pas la chute ! C’est pourquoi, ce que l’album, comme la scène, vous donneront, c’est un bon coup de poing dans la gueule pour vous dire : réveille-toi !

"La Haine : jusqu'ici rien n'a changé", à la Seine Musicale de Boulogne-Billancourt du 27 novembre prochain au 5 janvier 2025.

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