INTERVIEW

Julian Daynov : "La mode est une question de libération."

Publié le

27 août 2024

Quelle est la première chose qui vous vient à l'esprit lorsque vous pensez au design allemand ? Probablement, sa fonctionnalité et de bonnes voitures. Et bien, tout a beaucoup changé. Julian Daynov, consultant créatif allemand et insider mode, est là pour vous faire découvrir la nouvelle vague de talents artistiques. Basés dans les grandes villes de l’Allemagne, ils excellent dans les domaines de la mode, du design, de la beauté, de la joaillerie et du style de vie. Son projet Neudeutsch (ou "Nouvel allemand") est la preuve vivante que son pays connaît un changement culturel et une renaissance créative. S-quive s'est entretenu avec Julian à Copenhague, où il a fait une sélection de 33 marques avant-garde venant de son pays pour le salon international de la mode de Copenhague (ou CIFF, pour faire plus court), l'un des moments les plus remarquables de la Copenhagen Fashion Week.

Julian Daynov au CIFF

Parlez-nous du projet Neudeutsch. Comment a-t-il démarré ?

On présente à Copenhague la deuxième édition du projet Neudeutsch. La première édition a eu lieu au salon Pitti Uomo de Florence en janvier. Tout a commencé avec mon idée d'organiser un projet consacré au design allemand et d'entamer une conversation avec les médias du monde entier pour montrer que le design allemand a transcendé ce pour quoi il était connu. D'une certaine manière, il est considéré comme unidirectionnel, fonctionnel, pragmatique et très technique. Comme s'il n'avait jamais fait preuve d'audace ! Grâce à mes expériences dans l'achat, la vente au détail, la mode et la direction créative, j’étais beaucoup en contact avec des créateurs. J'ai remarqué qu’on était en train de vivre un changement passionnant, qu'il fallait captiver et présenter quelque part à l'échelle internationale pour que les gens puissent se faire une autre idée de l’Allemagne, de ce qu'elle représente, de ce qu'elle signifie. Tout le langage du design allemand est en train de changer, et c'est ce changement que je veux montrer.

Sketches par Mette Boesgaard

D'où vient cette nouvelle vague de créateurs allemands ?

L'Allemagne dans son ensemble avec ses grandes métropoles comme Berlin, Munich, Cologne, Stuttgart, Hambourg, Düsseldorf et Francfort sont devenues des creusets de cultures différentes, depuis environ 8 ou 10 ans. Toutes ces nouvelles personnes apportent leurs origines et leurs inspirations pour changer la perception du design allemand. C'est pourquoi j'ai appelé le projet Neudeutsch - ou "Nouvelle Allemagne" - il y a beaucoup de talents créatifs internationaux qui vivent en Allemagne depuis dix, vingt ou trente ans, et qui s'identifient comme Allemands. Beaucoup d'entre eux viennent de New York ou de Londres et s’installent à Berlin. Ils trouvent la ville abordable et facile d'accès. En outre, Berlin dispose d'un excellent réseau international et d'une grande scène culturelle qui est une source d'inspiration. Il en va de même pour les autres villes d'Allemagne.

"Je crois en la culture de transmission. C'est la raison pour laquelle je dis toujours : si vous avez un réseau, utilisez-le pour quelque chose de fructueux, donnez des chances et ouvrez des portes, mais n'attendez jamais rien en retour."

Comment avez-vous financé le projet ?

Il s'agit d'un projet caritatif, duquel je souhaite faire connaître des marques allemandes. C'est bien d'avoir un partenaire comme le CIFF (Copenhagen International Fashion Fair) qui peut se permettre de faire ce que je n’aurais pas pu donner aux marques. Le CIFF nous offre l'espace gratuitement, il nous héberge, couvre nos frais de déplacement et s'occupe de l'installation que j'avais imaginée pour le projet. Ils nous ont beaucoup aidés dans le processus de production, ils ont trouvé de bonnes personnes. Je suis content de voir que les créateurs apprécient d'être ici, car beaucoup d'entre eux n'auraient pas les moyens de participer à ce type de salon. Cela leur permet de se faire connaître, de rencontrer des journalistes, des acheteurs et d'autres marques. Certaines d'entre elles s'associent par la suite. Par exemple, certaines des marques qui ont participé au premier projet Neudeutsch à Florence se sont découvertes à la foire et collaborent maintenant ensemble. Je crois en la culture de transmission. C'est la raison pour laquelle je dis toujours : si vous avez un réseau, utilisez-le pour quelque chose de fructueux, donnez des chances et ouvrez des portes, mais n'attendez jamais rien en retour. C'est un type d'aide que je n'avais pas au début de ma carrière.

Julian Daynov et Sofie Dolva (CEO CIFF)

En quoi cette sélection Neudeutsch du CIFF diffère-t-elle de votre projet à Pitti Uomo ?

Ce que vous avez vu en janvier au Pitti était très axé sur la mode masculine, c'est là que les acheteurs vont voir les marques de vêtements pour hommes, ils s'attendent donc à de la mode masculine. Ici, au CIFF, il y a quelques marques de vêtements pour hommes, mais il y a aussi celles qui créent la mode sans genre. À Copenhague, la sélection est davantage axée sur le design, car le CIFF n'est pas seulement un salon de prêt-à-porter, mais aussi un salon de l'art de vivre. On y trouve des produits de beauté, une sélection d'objets d'intérieur et d'autres catégories. C'est pourquoi, lorsqu'ils m'ont demandé d'organiser un projet, ils m'ont dit qu'ils seraient heureux qu'il y ait plus de marques provenant d'autres univers. Nous voulions reproduire l'idée d'un concept-store, où l'on entre et tout nous attire. Pourquoi ? Parce que je crois fermement que si l'on s'intéresse à la mode, on s'intéresse aussi aux produits visuels, aux intérieurs, aux belles lampes et aux bons cosmétiques.

Comment êtes-vous arrivé dans la mode ?

Je travaillais comme styliste pour des magazines. Ensuite, ma carrière a évolué vers l'achat et la vente au détail. Je suis passé par différentes chaînes dans l'industrie de la mode : production, fabrication, recherche de tendances et achat pour différentes marques, boutiques et grands magasins, et développement de collections pour eux. En ce moment, je crée quatre collections pour quatre marques différentes, et certaines d'entre elles exposent au CIFF. Des fois, mon nom est mentionné sur l’étiquette, et parfois je travaille en tant que designer en marque blanche.

Sketches par Mette Boesgaard

Avec ce projet, vous êtes également devenu plus visible pour le monde extérieur de la mode…

Je n'aime pas être exposé, mais ce projet m’a vraiment motivé. Vous savez, lorsque quelqu'un vous dit que quelque chose n'est pas cool, n'a pas d'avenir ou ne peut pas fonctionner, mais que vous y croyez parce qu'il y a tellement de bonnes choses dedans, cela me motive. Je veux montrer comment cela fonctionne. J'étais sûr qu'il y avait un marché pour ces marques. Et maintenant, tout le monde voit que ça marche. Pour être honnête, je n'aurais pas commencé sans le soutien des équipes de Pitti Uomo, ce sont elles qui disaient toujours : "faisons quelque chose ensemble", elles aimaient l'idée. Aujourd'hui, je leur rend hommage chaque jour.

"Les magazines de mode ne sont plus aussi forts qu'avant. Chaque personne, même ma grand-mère, consomme les médias d'une manière très différente de ce qu'elle faisait auparavant !"

Vous avez mentionné que vous avez commencé comme rédacteur dans un magazine. Aujourd'hui, on assiste à la chute de la presse écrite. Diriez-vous que le secteur a changé depuis vos débuts ?

Malheureusement, les magazines de mode ne sont plus aussi forts qu'avant. Notre consommation des médias est complètement différente. Nous sommes beaucoup plus numériques. Chaque personne, même ma grand-mère, consomme les médias d'une manière très différente de ce qu'elle faisait auparavant ! C'est pourquoi la perception des médias est en train de changer radicalement. Mais c'est toujours un bon point de départ pour les jeunes professionnels qui souhaitent avoir un contact avec la mode, la beauté ou la direction créative. La plupart des personnes qui m'entourent ont toutes débuté dans les magazines et l'édition.

Julian Daynov et Lukas Bossert (DALUMA)

Comment avez-vous repéré les talents ?

C'est la bulle dans laquelle je vis. Je rencontre toujours beaucoup de jeunes créateurs, j'enseigne aussi à l'université, donc je suis leur carrière. Je les vois évoluer vers des marques et des entreprises. Parfois, je porte certaines de leurs créations ou je les envoie à des stylistes de célébrités avec lesquels je suis ami. Comme je crois qu'il faut faciliter les choses et ouvrir les portes, beaucoup d'entre eux viennent me voir pour me demander si je connais quelqu'un intéressé par un projet, et je les mets en contact avec la bonne personne par courriel et je leur dis : "Allez-y !".

Quels étaient vos critères de sélection des marques pour Neudeutsch ?

Je voulais qu'elles soient contemporaines et qu'elles aient une identité propre. Il s'agit de nouveauté, de modernité, d'un langage de design propre à chacun et d'une esthétique distincte, mais aussi de ce qui est viable, évolutif et susceptible de durer et de se développer dans un environnement de vente au détail. Par ailleurs, je jette toujours un œil à leur vision du développement durable. Ils travaillent tous avec des fournisseurs locaux et la plupart d'entre eux produisent en Allemagne.

Sketches par Mette Boesgaard

C'est la première fois que vous venez à Copenhague ?

Non, j'ai étudié la communication et la stratégie de marque ici, et il m'arrive maintenant de donner des cours dans des écoles locales. C'est pourquoi, je viens souvent à Copenhague. J'aime la ville et je suis ami avec l'équipe du CIFF. Lorsque nous avons parlé du projet avec Sophie (Sophie Dolva, présidente du CIFF, ndlr), nous nous sommes dit qu'il s'agirait d'un projet formidable, mais aussi très amusant !  

"La mode est une question de libération."

Comment définiriez-vous le style allemand aujourd'hui ?

Le style allemand est définitivement fonctionnel. Il évolue également avec les nouvelles générations d'Allemands qui aiment être un peu plus audacieux, un peu plus bruyants dans leur style, et plus particuliers dans leurs choix de mode, et grâce à la mondialisation et à l'ouverture des marchés, ils ont accès à une telle exposition internationale qu'ils peuvent adapter quelque chose pour eux-mêmes. Pour moi, la mode est une question de libération. Heureusement, en Allemagne, on accepte ce que l'on porte, ce qui permet de jouer avec son style tous les jours.

Julian Daynov et une adepte de mode

Vous avez mentionné un certain nombre de villes de la mode en Allemagne. Pourquoi pensez-vous qu'il y a autant de centres de la mode ?

Dans d'autres pays, les gens vont dans la capitale parce qu'ils manquent de quelque chose dans leur ville, ou parce qu'ils veulent de l'ouverture et de la liberté. Alors qu'en Allemagne, toutes ces villes attirent des gens de la région. Rien n'est centralisé et tout est développé dans des régions différentes. Les gens ne manquent de rien. En Allemagne, il y a aussi d'incroyables magasins conceptuels, parmi les meilleurs au monde, disséminés dans tout le pays : Woo Store ou Andreas Murkudis à Berlin, Marion Heinrich à Munich, Apropos à Hambourg, Hayashi à Francfort, Jades à Düsseldorf, et bien d'autres encore. N'oublions pas non plus que l'Allemagne contribue largement à la consommation de mode. Les Allemands aiment consommer de la mode et de la beauté. Ce ne sont pas les premiers à adopter la mode, mais comme la population est importante, c'est un marché intéressant pour tout le monde.

Que faut-il esquiver dans la vie ?

J'aimerais beaucoup échapper à l'inacceptation, à l'intolérance et aux préjugés. Je crois qu'il faut permettre aux gens de s'épanouir, leur donner des chances, accepter leurs choix et leurs idées.

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