ARTS
Alors que la Fête des jardins parisiens est sur le point de battre son plein ces 25 et 26 septembre, S-quive déambule dans un écrin de verdure des plus dépaysant : le jardin Albert Kahn. Situé aux portes de Paris, ce lieu unique fondé au XIXe siècle traduit la philanthropie de son créateur, que l’on peut aisément considérer comme le premier documentariste français.
" Sortez, courez voir le monde ! Oubliez tout ce que vous avez appris, gardez les yeux ouverts ! ", clame Albert Kahn à Etienne Dennery en ce début de XXe siècle. L'étudiant agrégé s'apprête à voyager autour du monde. Un monde aujourd'hui quasiment reconstitué, dans un jardin situé aux portes de Paris, du nom de son propriétaire : Albert Kahn. Véritable kaléidoscope d'ambiances, de couleurs, de senteurs et de charmes, cet écrin de verdure (quelques hectares) à l'écart du tumulte parisien nous transporte en premier lieu dans la sérénité d'un jardin à l'anglaise aux pelouses vallonnées. S'en suit le jardin japonais où les azalées et les rhododendrons en fleur tapissent les abords d'un mont Fuji imaginaire. Un village traditionnel est érigé entre ponts, cours d'eau, graviers et arbres sculptés. Les conifères bleus évoquent l’Afrique du Nord tandis que la serre tropicale nous plonge en Océanie. L’ensemble représente le monde en paix souhaité par Albert Kahn, qui a carrément fait reconstituer la forêt vosgienne de son enfance.
La folie des grandeurs ? Un manifeste politique où se côtoient les différences. Durant près de 25 ans, le banquier et mécène Albert Kahn consacre sa fortune à la rencontre des cultures, avec le dessein d'établir "la paix universelle". A partir de 1898, il commence à aménager les jardins de sa propriété de Boulogne-Billancourt autour de scènes paysagères, crée plusieurs fondations sur des sujets politiques, économiques, sociaux, diplomatiques et de formations, pour favoriser le dialogue international, à mesure que le nationalisme s'étend. Il crée des bourses de voyages pour des étudiants français mais aussi des allemands, des américains, des anglais, des russes, des japonais. Il ne leur est demandé quasiment rien en retour, un simple rapport de voyage, mais seulement de vivre au côté d’autres cultures, de s’imprégner d’autres façons de vivre et de penser pour mieux enseigner aux futurs citoyens et ne pas "se contenter d’un savoir purement abstrait". Parmi les bénéficiaires, 27 femmes agrégées parcourront le monde.
Son œuvre humaniste trouve son apogée en 1908, avec un projet inouï : réaliser une collection de photographies et de films extraordinaires, de gens ordinaires. Précurseur à l’affût des inventions de son temps, il achète aux frères Lumière leur procédé d’autochrome qui permet d’obtenir des images couleurs ainsi que leurs appareils de cinéma. Albert Kahn dépêche alors de nombreux opérateurs, qu'il envoie dans plus de 50 pays pour documenter la disparition des modes de vie traditionnels sous la pression de la modernité galopante. Au cours des périples, ses collaborateurs croisent des pêcheurs avant les eaux de l’Atlantique nord et des femmes sans voile dans le monde musulman. On assiste à des cérémonies vaudou dans une colonie française de l’Afrique de l’Ouest et les premiers documentaires en couleur témoignant de la richesse culturelle de la France. Une plongée unique et fascinante dans le monde merveilleux d'Albert Kahn.