CINÉMA
Publié le
9 juin 2023
Jusqu’au 11 juin prochain se tiendra le Festival du Film Subversif au Cinéma Klub, à Metz. Entre récit initiatique, drame, romance, horreur, science-fiction ou comédie musicale, l’événement aura lieu dans un cadre privilégié pour vivre un cinéma d’une étrange familiarité, d’une folie des plus raisonnables à la vivifiante douceur. Si le terme "subversif" semble être fait pour le cinéma, nous avons rencontré Charlotte Wensierski, directrice du festival, pour nous en parler.
Subversif. Ce genre, nous le connaissons, à travers Phantom of the Paradise de Brian De Palma, Virgin Suicides de Sofia Coppola ou encore Le voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki. Aussi, nous parvenons à apercevoir ce que peuvent être ces œuvres dans le 7ème art. Toutefois, il n’est pas moins difficile de mettre des mots sur ce qu’est un "film subversif".
Si on s’arrête à une définition académique, on évoque la capacité à "bousculer l’ordre et les normes établies". Mais, le cinéma est un art qui semble par définition créé pour bouleverser les spectateurs. Découvrir un film est une expérience qui oscille entre un langage commun, intime et inconnu. Certaines œuvres nous accompagnent avec douceur vers des questions, et d’autres nous prennent, en revanche, à rebrousse-poil. L’idée n’est pas de trouver une réponse mais peut-être, avant tout, un sens global, une idée… Même celle qui semble la plus simpliste.
A l’heure où nous tentons de trouver des évidences sociales au regard d’une intelligence artificielle capable d’humanité, le cinéma subversif, lui, affirme qu’une chose subsiste pour définir l’Homme, à travers le temps avec toutes ses lettres : le cinéma. À ce préambule il manque encore l’échos d’une personne qui participe à créer ce feu glacé. Car l’informe chaos peut devenir la plus ravissante des visions lorsqu’on nous accompagne à mieux regarder. Rencontre avec Charlotte Wensierski autour d’un échange passionné et sincère sur le 7ème art.
Comment et pourquoi est né ce festival ?
Ça remonte à 2013, une amie qui terminait des études de cinéma m’a conseillé de faire un blog pour être accréditée dans ce type de festival. L’idée m’a séduite d’emblée, d’autant plus que j’aime écrire. J’ai donc démarré The Bloggers Cinema Club. Par ce biais, j’ai pu rencontrer d’autres personnes cinéphiles à Metz. Après une année, l’équipe qu’on était à voulu commencer à créer des événements dans notre ville, ça allait des rediffusions de films qu’on aimait à des séances plus immersives de Retour vers le futur ou Blade Runner, par exemple. Ça nous a appris à découvrir les rouages du milieu. C’est-à-dire la façon dont on négocie avec un distributeur, comment on gère des copies, qui sont les personnes à avoir dans ses contacts, l’organisation d’un festival... Et avec le temps, l’envie et l’intention manifeste de faire un projet sur plusieurs jours à surgit. On trouvait que passer 3-4 jours dans une salle de cinéma à regarder des films était une bulle magnifique et passionnante. La question du "subversif" est née d’une volonté de trouver un angle peu représenté. De plus, j’ai fait des études d’anglais dans lesquelles j’ai lu un livre intitulé Le cinéma art subversif qui évoque la subversion par la forme ou le thème. Puis, j’ai lu un autre bouquin à propos de films "scandaleux". Je me suis dit que c’était une belle idée de diffuser ce type d’œuvres qui froissent les mœurs. Avec cette idée, le terme de "subversif" me semblait parfaitement coller à ce cinéma.
Pour cette édition, vous avez souhaité en préambule du festival parler de "l’horreur au féminin", pourquoi ?
Je crois que c’est lié à un film qu’un membre de l’équipe a vu. On s’est demandé ce qu’on pouvait faire autour de ce film, car on semblait voir une tendance autour de ce thème de l’horreur actuellement. De mon côté, je m’intéresse à cette question du genre, j’ai pu constater dans ce genre que ce sont souvent les angoisses et les peurs des hommes qui sont montrées et exploitées. Alors que pour les femmes, elles sont davantage perçues comme des sorcières ou des hystériques. Là, ce qui est intéressant c’est que ce sont les peurs des femmes que l’on voit. Et on se rend compte que, malgré quelques particularités inéluctables, les angoisses et les peurs qu’on y vit sont très semblables à celles des hommes. Donc nous voulions vraiment aller explorer et montrer cette "horreur au féminin" car on trouve bon et intéressant de proposer un cinéma peu représenté et qui vient bousculer dans des codes avec un genre qu’on connaît déjà mais, peut-être, avec trop de stéréotypes.
"La subversion est poétique, tout autant que la poésie est subversive."
Il y a justement le film d’une femme qui a profondément marqué le cinéma. Il s’agit de Virgin Suicides de Sofia Coppola. Qu’est-ce qui fait de ce film une œuvre subversive encore aujourd’hui selon vous ?
[Un sourire en coin] Je suis très contente de projeter ce film. C’est une œuvre qui m’a marquée aussi parce que c’était chouette d’avoir un modèle de femme réalisatrice. Je ne l’ai pas vu depuis longtemps, je me garde pour le revoir en séance. Mais ce que j’en garde c’est que cette famille, pour préserver ses valeurs puritaines, détruit des vies. Je pense que ce problème est encore actuel peu importe le milieu social ou le pays où on vit. N’importe quel parent ou toutes familles devraient voir ce film pour comprendre et s’interroger sur l’oppression qu’on peut infliger sur quelqu’un et le mal qu’on peut y faire. Ce qui est subversif, c’est cet objet qui a beaucoup d’atouts pour être accessible : son esthétique, ses musiques, son scénario pas trop intellectuel. Je repense à la diffusion l’année dernière d’Hairspray, film que le réalisateur John Waters évoque comme son préféré parce que c’est celui qui était le plus grand public, en diffusant des messages forts et radicaux. Virgin Suicides a cette même identité, et c’est ça qui est subversif. En dehors de ça, c’est aussi les thèmes abordés. Sofia Coppola parle et montre l’ennui, le rapport aux garçons à l’adolescence quand on est une femme. En parallèle, des visages angéliques qui s’éliminent les unes après les autres. La musique, également, est culte et indissociable, avec la violence de ce qu’on voit face à la douceur et la pureté de ce qu’on entend.
Un film en compétition qui intrigue autant par sa forme que par son genre est Enys Men. Il est tourné en 16mm et appartient au genre Folk Horror. Pouvez-vous nous expliquer en quoi il est subversif ?
Effectivement, tu as raison, sa forme est déjà très subversive. Le choix d’une caméra 16mm aujourd’hui est un choix radical. Mais également la région des Cornouailles qu’on ne montre pas souvent dans le cinéma, et qui donne tout de suite une ambiance dans laquelle nous sommes désorientés. S’ajoute aussi une plastique qui nous happe, nous embarque et nous séduit. Dans la réalisation, on se place à mi-chemin entre le documentaire, l’horrifique, l’expressionisme et le compte qui est fascinant. Quant au sujet, on est aussi dans ce thème du fantôme mais pas comme on l’imagine. C’est plus la question de l’héritage d’une famille, d’un peuple, d’une culture qui nous hante, à la fois angoissante et interagit sans qu’on ait aucune prise avec nous. C’est réellement très poétique !
Ce n’est pas antinomique : poésie et subversion ?
Je pense que l’horreur est très poétique. Un film de genre se situe surtout dans le symbolique comme la poésie. C’est pour cette raison que ça me semble une évidence. La subversion est poétique, tout autant que la poésie est subversive.
Vous diffusez un clip musical avant chaque long-métrage. Pensez-vous que la musique peut déstabiliser ou heurter les mœurs et les pensées ?
J’ai une expérience plus visuelle, bien que je sois mélomane à mes heures. Cependant, je pense que la musique seule peut heurter et déstabiliser. La différence par rapport au cinéma, c’est que c’est plus une question de répétitions. Dans un film, il y a une progression. Dans un morceau, tu peux être surpris à force de l’écouter et de le réécouter, parce qu’après une énième écoute tu vas entendre et voir des choses que tu n’avais pas capter à la première écoute. Bien qu’on puisse voir un film plusieurs fois, ça reste plus facile dans la musique d’explorer à répétitions une œuvre. D’où le fait qu’il y ait des strates dans une œuvre filmique qui t’amènent sur une trajectoire qui va dérouter, petit à petit, et inconsciemment l’image. J’ai le sentiment qu’aujourd’hui beaucoup des personnes qui travaillent dans le cinéma viennent du monde de la musique. Je repense à Irène Drésel qui a eu un César cette année pour sa bande originale du film A plein temps. Ce qui montre bien le lien intime entre l’image et le son. Mais, je m’égare, on s’éloigne sur un tout autre sujet ! [Rires] Il y a tellement de choses à dire sur ça, parfois on retient mieux la musique que l’image, l’Exorciste est un bon exemple. Ce qui montre bien toute la capacité de cet art d’être aussi subversif.
"Pour cette année, j’ai constaté, après coup, qu’il n’y a qu’un seul homme dans le jury. Ce n’est pas forcément militant, mais j’aime bien que ça se soit fait ainsi. Ça contribue à l’esprit de notre festival, de bousculer et de changer les habitudes."
Un film étonnant dans les projections jeune public est le Voyage de Chihiro. Pourquoi ce choix dans le cadre de ce festival ? Qu’est-ce qui explique son influence encore aussi forte et importante plus de 20 ans après sa sortie ?
Alors, je ne vais malheureusement pas pouvoir te donner une réponse satisfaisante, parce que je n’ai jamais vu Le voyage de Chihiro ! Mais, si tu me laisses le voir je suis certaine de trouver quelque chose ! [Rires] Plus sérieusement, l’idée est, en réalité, de proposer aussi des valeurs sûres au public. Dans une programmation, il faut aussi proposer des œuvres appréciées par un grand nombre, pour que ce grand nombre puisse ensuite accepter d’être un peu plus secoué et dérouté avec des projections plus déstabilisantes. Ça permet aux gens qui viennent d’identifier et de comprendre ce qu’on fait. Par des films comme ça, plus évidents, on accroche mieux pour emporter dans un second temps. On a hésité un moment avec Princesse Mononoké, mais pour une question de droits, et dans l’intention de cibler un large public, nous sommes partis sur Chihiro. Pour répondre, à la deuxième partie de ta question, j’ai constaté qu’effectivement il a encore beaucoup d’influence. Mais ne l’ayant pas vu, je ne peux pas encore savoir en quoi !
Comment avez-vous choisi le jury ?
Écoute, c’était beaucoup en fonction des rencontres personnelles. J’essaye de trouver des personnes qui vont venir pour de bonnes raisons, c’est-à-dire qui s’intéressent à ce projet et qui le comprennent. Ce festival n’est pas un lien de contractualisation ou de rencontres professionnelles, mais plutôt de partage et de construction d’une sorte de grande famille. De même, j’aime avoir différentes professions représentées. D’où des jurés qui viennent de la musique ou du milieu de la bande-dessinée, par exemple. Pour cette année, j’ai constaté, après coup, qu’il n’y a qu’un seul homme. Ce n’est pas forcément militant, mais j’aime bien que ça se soit fait ainsi. Ça contribue à l’esprit de notre festival, de bousculer et de changer les habitudes.
Festival du Film Subversif à Metz jusqu’au 11 juin prochain : https://subversif.fr
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