MUSIQUE
Publié le
28 juin 2023
La musique peut-elle faire se mouvoir une foule ? Si la question est intéressante, avec le Global Citizen Festival, elle prend une dimension toute autre. Il s’agit, là, de réunir dans un seul geste tous les pays et tous les citoyens du globe. Jeudi 22 juin s’est tenu, à Paris, un concert gratuit réunissant, Billie Eilish, Lenny Kravitz ou H.E.R devant 24 000 personnes. Un évènement diffusé en live mondial, spécialement réalisé pendant le sommet pour un nouveau pacte financier mondial face au défi climatique organisé par la France. L’organisation Global Citizen veut penser et mettre en action des solutions avec les gouvernements, les entreprises publiques et privées, et nous tous à tous les niveaux pour lutter contre l’urgence climatique d’aujourd’hui et demain. Pour mieux comprendre les enjeux de ce moment, et tenter d’avoir une réponse à la question initialement posée, S-quive a rencontré Friederike Röder, vice-présidente du Global Citizen Festival, en charge du plaidoyer et des relations avec les gouvernements à travers le monde.
L’une des choses, peut-être, impossible à quantifier est l’impact d’un mot, d’une phrase, d’une image…et, sans doute, plus encore d’une musique. Cet art a cette universalité humaine propre qui le rend aussi puissant qu’une simple goutte d’eau ; capable de s’immiscer petit à petit au plus profond du cœur pour fendre une montagne. Global Citizen l’a bien compris. C’est pourquoi, depuis 2012, cette organisation lutte en musique contre l’extrême pauvreté, le dérèglement climatique et pour l’éducation. Elle fait le pari de la bonté de l’Homme lorsque nous nous unissons d’une même voix… Et pour cela, quoi de mieux que de réunir, lors d’un concert, des artistes transgénérationnels, transculturels et trans-musicaux ?
Jeudi 22 juin dernier, nous avons pu voir une foule de 24 000 personnes chanter ensemble, s’apprendre et se découvrir pendant plus de quatre heures de show. Nous avons pu entendre Mosimann mixer La vie en rose pour enchaîner sur du Missy Elliot, Billie Eilish évaporer tout juste trois titres devant une Paris qui s’était clairement déplacée pour elle, Ayra Starr faire danser le Champ de Mars d’une vie contagieuse, Finneas capter les contrastes délicats du crépuscule sur son piano. Mais nous retiendront la performance du guitar hero Lenny Kravitz qui, à 23h30, relance les braises d’un public étouffé dans un feu incandescent éternel !
Il est évident que cette édition a valu plus que le détour musical ! Entre deux performances, des personnalités ont fait le déplacement pour exprimer leurs soutiens autant que pour appeler l’ensemble des sphères gouvernementales, entrepreneuriales et privées à agir au plus vite. Un moment important fut bien celui où le public qui huait le président français se fit rattraper par la Première Ministre de la Barbade, Mia Mottley, et le Président du groupe de la Banque Mondial, Ajay Banga, qui évoquent un homme qui tente d’impulser quelque chose. Ils rappellent que, si le festival se tient à Paris cette année, "c’est en raison du sommet exceptionnel que celui-ci a mis en place pour trouver comment restructurer plus équitablement le financement mondial sur ce sujet du climat précisément". Un silence se fut alors entendre comme une alarme. Celle qui nous réveille de l’ambiance insouciante portée par la musique : "Nous sommes là parce que nous devons continuer à agir maintenant".
Pour assister à ce concert il fallait s’engager dans des actions de Global Citizen en signant des pétitions, en envoyant des mails ou en postant des tweets. Ainsi, nous accumulions autant de chance de gagner une place, qu’une voix adressée envers ceux qui peuvent faire naître un véritable changement (gouvernements, industries publiques et privées). C’est exactement avec ce rappel que s’est achevé quatre heures de concert, dans les mots d’une sage candeur d’une légende du rock : « Il faut être la solution pas le problème ». Voilà qui nous donne une transition toute faite pour un échange avec Friederike Röder, la vice-présidente de Global Citizen, convaincue et assurée que la solution existe déjà pour la simple raison, d’une candide sagesse, que l’Homme existe déjà.
C’est la seconde fois qu’un concert du Global Citizen se déroule à Paris. Depuis plus de 10 ans, elle est la seule ville, en dehors de New-York, à avoir eu l’opportunité de vous accueillir à nouveau. Est-ce que cette destination à quelque chose de différent des autres ?
Oui absolument ! Vous avez tout à fait raison ! Tout d’abord on a choisi Paris comme symbole européen, et également par rapport aux accords de Paris de 2015, en rapport avec la lutte contre les changements climatiques. De plus, on avait envie de revenir. La dernière édition s’était véritablement bien passée. L’occasion du sommet sur le climat, qui se tient dans la capitale les 22 et 23 juin, a donné la dernière raison évidente de revenir en France.
Pouvez-vous nous présenter Global Citizen, ainsi que vos missions ?
Global Citizen est un mouvement mondial et international, qui fait campagne pour mettre fin à l’extrême pauvreté et lutter contre les changements climatiques. Il y a plus de 10 ans l’organisation est née en Australie, pour ensuite se fixer à New York. Tout au long de l’année, nous avons des campagnes et des équipes en lien direct avec les gouvernements pour proposer et tendre vers les bonnes décisions.
A côté de cela, nous organisons de grands événements pour amplifier cette mobilisation publique, et avons créé une plateforme (site et application) pour que les citoyens du monde puissent réellement faire entendre leurs voix. Mais également pour encourager les dirigeants de chaque pays et des secteurs privés d’acter et de mettre en place des avancées concrètes. Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que bien souvent nous avons affaire à des dirigeants qui ne veulent pas faire ce qu’il faut. Mais, cela ne s’arrête pas là ! Car, à l’inverse nous avons les cas dans lesquels les décisionnaires vont dans le bon sens, nous leur donnons alors de la visibilité pour que des sujets, qui malheureusement ne font pas toujours la Une des médias, se concrétisent et avancent.
Cet aspect "concret" est réellement le moteur et l’identité de Global Citizen ?
Exactement ! Nous demandons de nouveaux engagements, mais plus encore qu’il y ait une matérialisation de ceux-ci avec un réel processus de suivi. C’est pourquoi, nous avons une équipe qui est chargée de s’assurer d’abord que les engagements soient clairs, compréhensibles et réalisables. Parce qu’il est facile de promettre quelque chose, mais il faut que cela ait du sens et que cela soit possible. S’en suit alors un système de suivi avec des indicateurs et des critères manifestes et échelonnés d’une façon adaptée par rapport aux besoins réels. C’est très important pour nos "global citizen", nos citoyens qui s’engagent à nos côtés qui ont besoin de voir que leurs signatures, leurs messages, leurs appels et leurs démarches ont un impact et que nous prenons le temps de suivre et faire en sorte que cela ne soit pas des coups d’épée dans l’eau.
"La musique a cette possibilité de créer et de favoriser une force collective plus importante."
L’événement Global Citizen Festival existe depuis 2012. Pourquoi le choix de la musique ? Quels impacts peut-elle avoir par rapport à d’autres formes d’art ?
Je pense que toutes les formes d’art sont importantes car elles peuvent toutes porter un message, mobiliser et réunir. La musique a, malgré tout, une particularité car elle est une expérience collective de masse. Elle a une force peut-être plus importante en ce sens qu’elle est un média plus facile pour rassembler des pays différents et favoriser une universalité de message. Nous l’avons vécu avec "Together At Home" par exemple durant la Covid-19, également durant la dernière édition "Global Citizen Live" avec une série de concerts live à travers le monde, conjointe à une diffusion vidéo live international. Durant ces évènements, la musique a montré sa capacité à s’unir à travers nos différences, nos cultures, nos origines, nos générations dans une même direction. Par exemple, pour cette édition comme pour les précédentes… Comment dire sans blesser personne ? Je ne veux pas dire "vieux" ! [Rires]Disons que nous avons des artistes et un public de tous horizons, de toutes époques et aux goûts et aux couleurs différents qui chantent et s’engagent dans une même voie ! J’espère que Lenny Kravitz ne m’en voudra pas ! [Rires] Quoiqu’il en soit, la musique a cette possibilité de créer et de favoriser une force collective plus importante (qu’on soit sur place ou dans notre canapé), qu’un tableau dans un musée.
Vous avez engagé cette année le projet "Power Our Planet". Pouvez-vous nous en parler davantage ?
"Power Our Planet" est la grande campagne que nous menons cette année. L’idée est d’attirer l’attention sur le fait qu’aujourd’hui le système financier mondial n’est plus adapté. Il est inéquitable et inefficace. Pour être limpide, les pays qui souffrent le plus des impacts climatiques sont ceux qui ont également le plus de mal à accéder aux subventions pour faire la transition énergétique. Mais également, ils sont ceux qui sont le moins responsables de cette crise. Les institutions qui devraient pouvoir lever les fonds et donner accès à ces évolutions ne sont pas à la hauteur. Paris est le premier voyage de ce projet. En effet, plus de 50 dirigeants à travers le monde vont se réunir pour trouver des solutions précisément sur ce sujet du financement pour les pays dans les besoins, que cela concerne des pays vivant dans l’extrême pauvreté ou les plus vulnérables aux changements climatiques, par exemple dans les Caraïbes. L’idée de cet évènement à Paris, en parallèle du Global Citizen Live, est de ne pas attendre les prochaines occasions de se réunir (le G20 ou la COP, par exemple), et de montrer que les solutions sont déjà sur la table. Elles existent. Il nous faut juste les mettre en place. Nous aimerions voir des décisions se prendre déjà à Paris parce que plus tôt nous pourrons commencer ces actions plus tôt nous aurons la possibilité d’améliorer la situation au niveau mondial. Le climat concerne autant les zones les plus et les moins développées.
"Durant la crise de la Covid-19, force est de constater que nous avions les moyens de lever des fonds de recherche pour solutionner. Nous pouvons très bien le faire pour la crise climatique, tout aussi urgente."
Vous écrivez sur votre site qu’il faut aborder la protection de la planète sous la même approche que la "justice climatique". Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ?
Comme déjà évoqué dans notre échange, aujourd’hui le paradoxe est que le dérèglement climatique que nous connaissons est dû à des émissions anciennes des pays industrialisés. Bien que nous ressentions évidemment les impacts de cette pollution, cela n’a rien à voir par rapport aux régions comme la Corne de l’Afrique ou les îles des caraïbes qui ont des catastrophes naturelles chaque années ou qui luttent contre la famine. La terrible réalité est que ces zones du globe sont celles qui sont le moins responsables de ces changements importants. Nous oublions (plus ou moins volontairement) que cela nous concerne tous. On ne peut ignorer ce sujet, autant que notre responsabilité en tant que pays industrialisé. Cette prise de conscience doit se faire, pour ensuite comprendre que les solutions existent déjà et les mettre en place. Par exemple, nous parlions financement. Durant la crise de la Covid-19, force est de constater que nous avions les moyens de lever des fonds de recherche pour solutionner. Nous pouvons très bien le faire pour la crise climatique, tout aussi urgente. Mais, plus simplement encore, nous entendons souvent parler des profits exorbitants des entreprises d’énergie fossile. Nous pouvons, par exemple, taxer davantage ces gains pour les réinjecter dans la lutte contre les changements climatiques. En plus, il y a un lien ! Une autre possibilité, que nous faisons timidement en France, nous pourrions également imposer une taxe de 0,5 sur les transactions financières. Rien qu’avec ces actions nous pourrions lever 200 milliards d’euros ! C’est une somme énorme ! La justice climatique, c’est donc de ne pas nier l’urgence climatique, autant que notre part de responsabilité. Et s’engager à rééquilibrer les choses face à des pays où cette urgence est déjà une question de vie ou de mort.
Vous luttez contre l’extrême pauvreté en passant notamment par des actions qui favorisent et promeuvent l’accès à l’éducation. Comment ces deux éléments sont-ils liés entre eux ? Qu’est-ce que l’éducation en 2023 ?
Lutter contre l’extrême pauvreté n’est pas uniquement combattre le fait qu’il y existe des personnes vivant avec moins de 2 euros par jour. C’est donner accès à des droits fondamentaux comme l’accès aux soins, à l’eau potable ou à l’éducation. Mais l’éducation est un outil qui va au-delà ! En effet, en étant mieux instruit et formé, on peut plus facilement trouver un emploi, se lancer dans l’entreprenariat, réclamer ses droits. Bien évidemment, pour les femmes cet impact est démultiplié ! Nous aidons autant les personnes individuellement que des communautés toute entière. La question de l’éducation en 2023 est une très bonne question ! Pour nous, peu importe le contexte, on doit aller à l’école et avoir droit à l’instruction avec des enseignants. Mais il faut mettre aussi à profit les nouvelles technologies pour pouvoir répondre à des situations plus spécifiques, et dès lors rendre l’accès à l’éducation possible et efficace. C’est un mélange entre ces deux éléments que doit être l’éducation en 2023.
Global Citizen agit également pour l’exigence de l’équité. Le philosophe John Rawls a écrit : "L’équité, c’est l’égalité avec une juste dose d’inégalité". Qu’en dites-vous ?
Je pense qu’elle est très vraie ! Car on ne cherche par l’égalité sur le papier mais réelle. Par exemple, nous installons une taxe unique pour tous. Nous pourrions nous dire qu’effectivement c’est très égalitaire, mais dans les faits, il restera des pays qui ne pourront pas s’acquitter de cette dette sans devoir se restreindre sur autre chose, voire y renoncer. Il faut qu’on puisse s’adapter à chacun dans leurs besoins et leurs possibilités concrets. Il faut faire en fonction des résultats en fin de compte ! En se questionnant sur l’équité nous pourrons tendre vers une égalité dans les faits.
Qu’est-ce qui nous manque pour tendre à une société plus équitable ?
Je pense que la première chose, comme souvent, c’est une bascule du système de financement. Prenons comme exemple la crise sanitaire que nous avons connu, le FMI (Fond Monétaire International) a pu débloquer 650 milliards d’une monnaie qu’on nomme « droit de tirage spécial ». Mais là où l’on perd l’équité, et c’est ce qu’il nous faut changer, c’est lors de la redistribution de cette somme. Car la somme que chaque pays a reçue s’est fait en fonction de la quote-part au FMI. Donc les États-Unis, l’Europe et la Chine ont reçu une somme importante, mais les pays qui en avaient le plus besoin n’ont quasiment rien perçu car ils n’avaient pas suffisamment de part. Maintenant une partie de ces droits de tirage, au départ alloué à la recherche de solution contre la Covid-19, dorment dans les banques centrales de certains pays. C’est là un bon exemple qui manifeste d’un système de répartition des finances mondiales qui ne marchent pas !
Toujours dans le même ordre d’idée du financement, il nous faut également s’intéresser aux secteurs privés. Du fait de leurs statuts très internationalisés, ils sont très peu taxés. Pourtant, des compagnies et des industries du privé sont responsables de la crise climatique et de ses impacts écologiques. Par exemple, le transport maritime privé est responsable de 4% des émissions à effet de serre sans être taxé. C’est pourquoi une proposition de taxer l’entrée au port, comme une sorte de redevance, pour débloquer et mettre à profit des fonds est sur la table aujourd’hui.
Chris Martin est nommé comme le "conservateur" pour l’organisation de chaque Global Citizen Festival. Comment cette rencontre s’est faite ?
Je ne sais pas comment cette rencontre s’est faite. Ce que je sais, c’est que l’ensemble du groupe est très engagé et investi dans notre organisation. Cela fait des années que nous travaillons avec eux. D’ailleurs, c’est un groupe qui s’était engagé à réduire les empreintes énergétiques de leurs concerts et qui l’a fait pour leur précédente tournée mondiale. Également, c’est important de le préciser, à l’instar de Chris Martin, d’autres groupes et artistes sont très engagés dans Global Citizen même si on ne les voit pas aux festivals. C’est important pour nous car c’est en ayant une conviction et une implication continue et inébranlable que les choses pourront évoluer.
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