PHOTOGRAPHIE
Le Jeu de Paume dévoile la première grande exposition consacrée aux quinze premières années de carrière du photographe français Frank Horvat. Décédé le 21 octobre 2020, après soixante-treize ans d’images, l’artiste laisse derrière lui une œuvre gorgée de vie, de malice et de nuances, fruit de son regard cosmopolite et affûté.
Jusqu’au 17 septembre prochain, le travail photographique de Frank Horvat est présenté au Jeu de Paume (Paris VIIIe). L’occasion de découvrir l’univers d’un des artistes les plus discrets et prolifiques du XXe siècle.
Né Francesco Horvat en 1928 en Italie, Frank Horvat part avec ses parents en Suisse pour fuir le fascisme. À 15 ans, l'adolescent découvre sa passion pour la photographie. Il troque sa collection de timbres-poste contre une caméra Retinamat de 35 mm. Le jeune photographe parcourt, avec son objectif, le Pakistan et l’Inde de 1952 à 1954. En dépit de réalités parfois difficiles, ses images sont empreintes de douceur, avec une distance respectueuse des sujets. "Frank Horvat se fait remarquer pour cette force qu'il a à trouver l'intensité du regard et du dévoilement, des jeux de miroirs également qu'on retrouve très souvent dans ses œuvres", explique la Commissaire de l’exposition Virginie Chardin. Il se fait remarquer par la presse internationale et même figure dans la célèbre exposition "The Family of Man", au MoMA de New York, en 1955. L'année suivante, il s’installe à Paris, ville qu’il ne quittera plus.
Frank Horvat, aimait se présenter ironiquement comme le "moins célèbre des photographes connus". Malgré sa contribution majeure à la photographie, Horvat préférait mettre en avant son travail plutôt que sa notoriété personnelle. Cette approche modeste témoigne de sa passion pour l'art de la photographie, privilégiant la création d'images significatives plutôt que la recherche de la célébrité. En 1956, le photographe réalise une série sur le cabaret Sphinx à Pigalle. Malgré le fait qu'il ait pris ces clichés en seulement deux heures, il réussit à capturer des moments intimes et à créer une véritable proximité avec les danseuses. Au lieu de se concentrer uniquement sur les femmes, qui étaient au centre du spectacle, Horvat s'est intéressé à un monsieur assis seul avec sa bouteille de champagne, observant ces jolis corps. Ce personnage solitaire est devenu le sujet principal de la série, reflétant la solitude du voyeur et la tristesse face à l'inaccessibilité de ces femmes. Ce renversement des rôles est marquant car les danseuses deviennent les maîtresses du spectacle, captivant les hommes et les laissant perplexes dans leur stupéfaction. Les photographies dépeignent cette dynamique où les femmes prennent le contrôle et où les hommes sont pris au dépourvu. En plus de capturer le spectacle et le public du cabaret Sphinx, Horvat a osé aller derrière le rideau, rejoignant les danseuses dans leurs loges. Malgré la hâte avec laquelle ces instantanés ont été réalisés, ils nous plongent dans une intimité rapprochée, où les corps dénudés se laissent approcher pour un bref moment de poses et où les regards complices croisent ceux du jeune photographe.
Au tournant des années 1950-1960, Frank Horvat effectue une ascension rapide dans le milieu de la mode. Il apporte sa sensibilité artistique unique à la représentation de la haute couture en collaborant avec Jardin des Modes, célèbre magazine de mode français publié de 1912 à 1997. Bien qu'il ne soit plus édité, son héritage perdure en tant que témoignage de l'évolution de la mode et de la photographie de mode au XXe siècle. Les clichés de Franck Horvat ont capturé non seulement les vêtements et les créations des grands couturiers, mais aussi l'atmosphère, l'émotion et l'individualité des modèles. Son approche novatrice a permis de raconter des histoires à travers ses images, ajoutant une dimension narrative à la présentation de la mode. Il a renouvelé le genre de la photo de mode avec des campagnes qui très anticonformistes à l’époque. Frank Horvat aimait donner cette illusion de photos volées plutôt que de photos posées. "Cette idée d'observer le voyeur, on la retrouve dans d'autres images de spectacles notamment à cette image de Chanel. Elle avait installé rue Cambon un système d'éclairage dans son escalier, pour pouvoir observer ces défilés sans être vue", conclut Virginie Chardin. Le regard humain est au cœur de ses clichés, avec des sujets fixant le photographe ou se reflétant dans un miroir. Frank Horvat était un maître du concept dans l’art de regarder sans être vu, créant une tension et une intimité particulières dans ses photographies.
"Frank Horvat : Paris, le monde, la mode", à découvrir au Jeu de Paume, du 16 juin au 17 septembre prochain.