INTERVIEW

Elín Hall : "Grandir, c’est prendre conscience qu’on ne peut jamais retrouver son enfance."

Publié le

19 février 2025

Elín Hall a la beauté de l’intelligence. Jeune actrice et musicienne islandaise, Elín brille dans le dernier film de Rúnar Rúnarsson, When the Light Breaks. Avec une généreuse fragilité, elle y joue Una, jeune femme qui doit soudainement faire le deuil d’une histoire d’amour secrète. À Bastille, en ces jours pluvieux de février, l’actrice nous a parlé d’enfance, de la vingtaine, de ses premiers pas sur scène et devant la caméra. Le tout saupoudré d’un peu de punk, d’un peu de rock, et de beaucoup, beaucoup de talent. Rencontre.

Elín Hall (Una) dans When the Light Breaks ©compass film

Quelles premières pensées vous sont venues à l'esprit lorsque vous avez été choisie pour jouer Una ?

Je me souviens juste avoir auditionné, une fois avec Katla (Njaálsdóttir, qui joue Klara, ndlr), et une fois seule. Nous pensions avoir tout raté car Rúnar est assez difficile à lire… Mais ensuite, j'ai reçu un appel me disant que j'obtenais le rôle si j'étais prête à me raser la tête ! J’ai immédiatement dit oui, étant fan de Rúnar depuis de nombreuses années avant cela. Beaucoup de gens que je connaissais parlaient avec affection et admiration de lui et de son travail, et puis tout m’est venu à l’esprit : tous les moments de préparation et d’entraînement à venir… J’étais très stressée, très nerveuse. C’était un mélange d’honneur et de terreur – mais c’est quand même une bonne situation, on se rend compte que c’est une opportunité qui compte vraiment.

Vous raser la tête était donc écrit dans le scénario ?

Oui, c’était écrit et assez clair pour construire le personnage dès le début. C’était un tel cadeau de se transformer physiquement, ça fait des merveilles. Chaque fois que je mets un “costume”, cela influence énormément mes performances, et ce dont vous êtes capable en tant qu’acteur et actrice plus généralement. J’étais donc très stressée de me raser le crâne, mais en même temps, cela m’a aidé à développer le personnage.

"J’ai appris que laisser un personnage derrière soi peut être assez difficile après une telle expérience."

Vous avez affirmé dans de précédentes interviews être très différente d’Una dans la vraie vie, pourquoi ? Vous semblez pourtant toutes les deux être des femmes fortes et indépendantes qui s'expriment à travers l'art… Est-ce l'une des choses qui vous ont finalement rapprochées d'elle ?

Bonne question. Je pense que ce qui m’a touché dans ce personnage, et dans tous les personnages que Rúnar a écrits, ce sont leurs zones grises et leurs nuances. Personne n’est finalement une bonne ou une mauvaise personne. Ils sont tous assez complexes. Una est différente de moi au sens physique du terme, oui, mais, c’est juste une jeune femme qui essaie d’être comprise. Elle veut créer des liens dans la vie, elle veut être entendue dans une situation impossible. Je pense que je m’identifie à cela en tant qu’être humain. D’une certaine manière, elle me ressemble beaucoup : une étudiante en art effectivement, introvertie comme moi. Pourtant, elle est plus “edgy” (avant-gardiste).

Una (Elín Hall)et Klara (Katla Njaálsdóttir) dans When the Light Breaks

Le magazine s’appelle S-quive, ce qui signifie : esquiver, éviter quelque chose. Pour vous, qu’est-il important d’éviter lorsque vous jouez un rôle aussi difficile et intense sur le plan émotionnel ?

Je dirais qu’il faut éviter d’être égoïste dans le jeu. Je pense qu’il est important pour les acteurs d’être attentifs, lorsqu’ils abordent leurs personnages, à rester fidèles à une émotion. C’est quelque chose auquel je pense tout le temps, j’ai certainement beaucoup appris sur ce film. J’avais déjà joué des rôles qui me secouaient un peu, mais là, c’était différent. Je voulais aborder le film d’une autre manière. Je voulais me rendre complètement triste, m’abandonner au chagrin, au deuil. Et en même temps, j’ai appris que laisser un personnage derrière soi peut être assez difficile après une telle expérience. Le "lâcher prise" d’Una a été un défi. Ce n’est qu’un film de 90 minutes, mais pour moi, c’était difficile d’essayer de me retrouver, car j’étais dans cet état d’esprit depuis si longtemps. Ce n’est pas souvent lorsqu’on rentre chez soi après avoir terminé un tournage, qu’on a encore les cheveux courts et pas de sourcils ! J’ai ici pu compter sur le soutien précieux des autres acteurs de l’équipe, nous sommes devenus très amis et solidaires avant, pendant et après le tournage.

La musique occupe également une place importante dans votre vie. Si vous deviez travailler sur un morceau qui raconterait l’histoire d’Una, quelle atmosphère imagineriez-vous ?

C’est intéressant que vous me posiez cette question, parce que je fais toujours des playlists pour entrer dans la peau de mes personnages. Avec Katla, qui est aussi musicienne, nous écoutions beaucoup de groupes punk, comme Dreamwife, un groupe punk avec une chanteuse islandaise. Je le recommande, c’est un super groupe ! [Rires] Katla et moi avons eu l’idée de former un duo de musique punk pendant le tournage, et de sortir une chanson ! Je n’avais jamais pensé à faire de la musique punk avant, mais c’est Una qui m’a donnée cette idée. Elle est venue de l’essence des personnages. Je pense qu’il y a aussi quelque chose de très mélancolique dans la musique punk, elle vient d’un endroit très émotionnel. Je pense que cette juxtaposition, ce contraste, fait bien écho à la force d’Una.

"Grandir est cruel, c’est cette prise de conscience tragique que vous ne pourrez jamais retrouver votre enfance."

Puisque nous parlons de musique… Le film me fait penser à "Landslide", un morceau de Fleetwood Mac (Rumours, 1976), dans lequel Stevie Nicks y chante la fin de l’adolescence – cette période de la vie où même "les enfants (finissent par) vieillir". Vous avez également évoqué cet âge dans vos chansons, notamment dans "he i m" (Heyrist í mé?, 2023). Pourquoi pensez-vous que notre vingtaine est façonnée par ces expériences de perte et de nostalgie ?

[Rires] Je connais Fleetwood Mac et je les aime aussi ! Ce sont des thèmes universels. Et c’est un âge formidable ! J’ai écrit cette chanson en particulier parce que je faisais des cauchemars sur ma jeunesse. C’était étrange parce que j’ai eu une enfance très heureuse pourtant, mais malgré tout, ces souvenirs se sont déformés au fil du temps, surtout à une époque où mon père vendait la maison de notre enfance. J’étais très curieuse de savoir pourquoi cela se produisait en repensant à mes souvenirs. J’ai eu du mal à repousser et à enterrer ces moments, je suppose. Grandir est cruel, c’est cette prise de conscience tragique que vous ne pourrez jamais retrouver votre enfance. Écrire cette chanson était une façon plus facile de dire au revoir à cette période de ma vie. Cette sensation est particulièrement significative dans ce film, qui va d’un coucher de soleil à l’autre. Son soleil et sa lumière agissent comme une belle métaphore : tout a un début et une fin, et chaque fin signe le début de nouveaux chapitres de vie.

Vous êtes à la fois musicienne et actrice. Comment évoluez-vous dans ces deux environnements ? Pensez-vous être plus libre sur un plateau de tournage lorsque vous jouez, ou sur scène lorsque vous chantez ?

Pour moi, faire de la musique est une expérience encore plus vulnérable, car je l’écris et la compose aussi moi-même. C’est presque comme une confession en quelque sorte, une mise à nu plus importante. Être actrice est aussi quelque chose de très vulnérable, mais on peut toujours se "cacher" derrière un réalisateur et un personnage. When the Light Breaks était très spécial de ce point de vue : il y a beaucoup de vulnérabilités dans les techniques que j’ai utilisées pour jouer Una : comme l’impact des silences, la caméra qui était sur mon visage pendant si longtemps… J’étais souvent "mise sur le gril", obligée de rester dans l’émotion pendant si longtemps... Apporter ce que je peux à ce "mélange" était très intéressant pour moi en tant qu’actrice, ça m’a beaucoup façonnée.

Ma scène préférée du film est celle où Una, après l’enterrement, se réunit à une "fête" avec ses amis. Elle se perd complètement dans la tristesse des autres. Il y a une magnifique explosion d’émotions … Que pouvez-vous nous dire de cette scène en particulier ?

Que c’est aussi ma scène préférée. Elle était très chorégraphiée, les mouvements étaient tous prévus, délibérés. J’étais très nerveuse avant de tourner cette scène. Mais quand nous sommes arrivés sur le plateau, j’ai compris qu’il fallait aussi se nourrir de l’émotion des uns et des autres, rebondir sur la performance de chacun. Il se passait tellement de choses. La caméra restait souvent sur moi, mais tous les autres ont donné leur maximum et c’est magnifique à voir. J’ai absolument adoré la chanson sur laquelle nous avons dansé aussi, de Hatari. C’était aussi un travail important sur la physicalité. Avec Katla, nous nous sommes préparées par nous-mêmes en nous plongeant dans la théorie des muscles et des émotions. Il y a des muscles spécifiques qui, lorsque “pressés”, évacuent et libèrent toutes sortes d’émotions refoulées. Nous avons fait cela avant la scène. Je pense que cela a vraiment eu un impact sur la réalisation de la scène, et sur le fait que nous étions à cran à ce moment-là – nous l’avons tournée assez tard dans le processus aussi. C’était à la fois une sortie fictive et professionnelle. Rien que d’y repenser, j’ai encore des frissons.

Vous avez récemment remporté le Prix de la Meilleure Performance au 60e Festival international du film de Chicago et vous serez à l’affiche du festival South x Southwest à Austin, au Texas, en mars prochain… Il semble que vous ayez un long chemin devant vous. Quels sont vos rêves pour l’avenir ?

C’est une question difficile… Je sais juste que je suis très reconnaissante des opportunités que j’ai eues jusqu’à présent. Ma vie a changé de tellement de façons grâce à ce film et à l’écriture de chansons. Regardez, je suis toute en Chanel aujourd’hui, et je ne sais pas vraiment pourquoi ! [Rires] Ça a été une année surréaliste. Je suis très dévouée aux histoires qui peuvent émouvoir les gens, c’est pourquoi je suis si heureuse que celle-ci vous aie émue. Quelles que soient ces histoires, je serai heureuse n’importe où, tant que j’ai la chance de pouvoir les interpréter et les raconter.

“When the Light Breaks”, au cinéma aujourd’hui.

No items found.
No items found.
No items found.

Plus d'articles