INTERVIEW
Publié le
15 août 2024
Nous avons rencontré Alana Hadid, consultante mode, mannequin et activiste, à Copenhague pendant la semaine de la mode printemps-été 2025, où elle est désormais une habituée.
J'ai fait la connaissance d’Alana l'année dernière à Copenhague, alors que je couvrais les défilés. Pour la surprise générale, elle a fait ses débuts de mannequin chez Saks Potts le premier jour de la fashion week et a ensuite continué à défiler chez Munthe. Demi-sœur des Top Model Gigi et Bella Hadid, Alana a décidé de prendre un nouveau tournant dans sa carrière, en devenant plus visible dans le monde de la mode. Elle a aussi prouvé qu'aujourd'hui, à quarante ans, que l'on a toujours de nombreuses occasions de se réinventer. Depuis, beaucoup de choses ont changé : Alana Hadid s'est beaucoup exprimée sur la cause palestinienne, essayant d'attirer l'attention sur la crise humanitaire en cours. Elle explique à S-quive comment elle est devenue non seulement un mannequin et une icône du street style, mais aussi une militante qui n'a pas peur d'élever sa voix. Elle nous parle également de son nouveau rôle en tant que directrice créative du projet excitant dans le cinéma Watermelon Pictures.
Quel effet cela fait de commencer une nouvelle aventure à 40 ans ?
Évidemment, j'ai eu de grands modèles à suivre. Je pense que c'est amusant. Ce qui est également extraordinaire à propos de la Copenhagen Fashion Week, c'est qu'ici il n'est pas si tabou de commencer à faire du mannequinat à 40 ans. Dans d’autres capitales de la mode, on ne le verrait jamais. Mais à Copenhague, il y a une telle représentation de l'âge, non seulement sur un défilé, mais sur presque tous les défilés, au moins un mannequin est plus âgé. C'est phénoménal. Je me suis donc sentie chez moi et à l'aise ici. Je n'avais pas l'impression d'être un mannequin plus âgé, j'avais juste l'impression d'être un mannequin et de m’amuser. C'est extraordinaire de pouvoir montrer aux gens que l'on peut commencer quelque chose de complètement nouveau, et je comprends le privilège de pouvoir le faire à quarante ans. Mais je pense aussi qu'il est amusant de se réinventer et que les gens qui profitent de leur vie le font tout le temps.
Vous avez un goût pour les marques scandinaves, que vous maîtrisez dans vos looks street style. Comment êtes-vous tombée amoureuse de Copenhague ?
C'est très drôle. J'ai découvert les marques scandinaves il y a de nombreuses années. Probablement au milieu des années 2010, sur les réseaux sociaux, et j'ai commencé à regarder qui elles suivaient, qui les portaient, ce qu'elles portaient, etc. Et j'ai commencé à porter des marques dont personne aux États-Unis n'avait jamais entendu parler. Par exemple, je porte Baum und Pferdgarten depuis très longtemps. Et idem pour Ganni ! Je crois que j'aime le fait que ce soit sans effort, mais aussi très coloré, amusant et avant-gardiste.
"Je pense que la créativité et l'intellect vont de pair."
C'était la première fois que vous veniez à Copenhague l'été dernier ?
C'est exact ! Il y a un an, c'était la première fois que je venais à Copenhague, et aussi la première fois que je défilais. C'était formidable. C'était une excellente façon de découvrir Copenhague et la Semaine de la mode ici. Je me suis sentie comme chez moi, et j'ai l'impression que les amis que je me suis faits sont avec moi depuis dix ans, pas depuis un an !
Vous avez toujours travaillé sur des projets créatifs, mais vous avez fait des études de politique. D'où vient cet intérêt ? Et comment conciliez-vous votre côté académique et votre côté créatif ?
J'ai grandi à l'extérieur de Washington DC, et la politique m'a toujours attiré. De nombreuses personnes de mon école sont devenues avocats, sénateurs, juges et analystes politiques. C'est donc un peu dans notre sang. J'aime pouvoir utiliser les deux côtés de mon cerveau, j'aime donner une pause à un côté et activer l'autre. Je pense donc que la créativité et l'intellect vont de pair, et beaucoup de gens, qui sont considérés comme des créatifs, sont aussi incroyablement intelligents, et peuvent probablement vous donner des observations très précises sur la politique, mais on ne leur demande jamais. Beaucoup de gens qui travaillent dans la mode n'ont jamais fait quoi que ce soit en rapport avec la mode à l'école, mais ils ont découvert une passion pour le domaine après.
Vous êtes aujourd'hui directrice créative de Watermelon Pictures, une société de production et de distribution de films qui se consacre à la narration et à la mise en valeur des histoires palestiniennes. Parlez-nous de ce projet.
Pour être honnête, je ne suis pas à l'origine de Watermelon Pictures. Je ne m'en attribuerai pas le mérite, même si j'ai toujours pensé à intégrer la Palestine dans différents domaines créatifs. Watermelon Pictures est née grâce aux deux frères, Hamza et Badie Ali. Leur père et leur oncle ont créé une société de distribution dans les années 1970. Il est très rare d'avoir des sociétés de distribution de films dirigées par des Palestiniens ou des Arabes, et elles étaient pionnières. Lorsque leurs fils ont pris la relève, ils ont voulu faire quelque chose pour la Palestine et lorsqu'ils m'en ont parlé, j'ai sauté sur l'occasion d'être leur directrice créative.
C'était après les événements du 7 octobre ?
Oui, exact. Nous avions déjà eu des conversations, mais après le 7 octobre, je pense que tout le monde a senti qu'il était nécessaire d'en faire plus. Et il était urgent d'avancer rapidement.
"Roger Waters — Pink Floyd —, Kweku Mandela et mon frère Anwar Hadid, ont produit le film ‘Walled Off’."
Il y a deux documentaires produits par Watermelon Pictures : "Walled Off" et "Israelism". Pourriez-vous nous en dire plus ?
"Walled Off" est un film étonnant, réalisé par Vin Arfuso, un brillant réalisateur italo-palestinien (NB : le film raconte l'histoire d'un hôtel du même nom fondé et conçu par Banksy, qui fait face au mur de séparation de la Cisjordanie à Bethléem). Je dis toujours aux gens que c'est l'un des documentaires les plus digestes qui existent, si vous voulez comprendre ce qui se passe en Palestine. Évidemment, il adopte un point de vue légèrement palestinien, mais il y a vraiment toutes les facettes de l'histoire. Je pense donc qu'il est important et intéressant de le regarder. Puis,"Israelism" est une conversation totalement différente, le point de départ vient d'un point de vue juif sur l'idée du sionisme, et aussi, comment le judaïsme américain s'est largement concentré sur Israël. Comme beaucoup de films traitant de ces sujets, les deux films avaient déjà été réalisés et n'avaient pratiquement pas été distribués. Ils sont enterrés. Les gens ne les regardent pas, parce qu'ils ne peuvent pas les trouver sur Netflix, Apple ou d'autres plateformes de streaming. Lorsque nous sommes arrivés, notre première mission était de prendre les films déjà réalisés et de faire en sorte qu'ils soient vus. "Walled Off" et "Israelism" sont déjà disponibles sur Apple, Netflix et presque toutes les plateformes de streaming dans le monde. Nous sommes également en train de produire d'autres films, mais je ne peux pas encore en parler. Mais bientôt, il y aura des films de Watermelon Production entièrement produits par nous. C'est très excitant.
Des personnalités importantes, comme Roger Waters de Pink Floyd, ont participé à la production de "Walled Off". Était-ce déjà le cas lorsque vous avez rejoint le projet ?
C'était avant que Watermelon Production ne soit impliqué. Roger Waters et Kweku Mandela, ainsi que mon frère Anwar Hadid, étaient tous producteurs du film. Je pense que cela montre que beaucoup de choses étaient importantes pour les gens avant le 7 octobre. Ce film a été réalisé entre 2018 et 2021. Ce n'est pas un nouveau sujet, c'est quelque chose qui intéresse les gens, qui est important pour beaucoup de personnes célèbres et inspirantes depuis très longtemps.
"Le monde est en train de changer de manière drastique."
Vous êtes devenue une militante à plein temps de la cause palestinienne. Pourquoi est-il important d'avoir une position politique proactive et de vous exprimer ?
Il n'est plus temps d'avoir peur. La réalité, c'est que le monde est en train de changer de manière drastique. Les choses qui sont importantes, qui semblent n'être que pour certaines personnes, finiront par être importantes pour vous aussi. Si vous restez silencieux à ce sujet, ne vous attendez pas à ce que tout le monde soit capable de parler pour vous quand il s'agit de vous. Tout est lié. La solidarité est importante. Il est évident que c’est une question clé, lorsqu'il s'agit de liberté, d'égalité et de justice. Et il est important de s'exprimer maintenant. Il est évident que je suis Palestinienne et que je défendrai mon peuple, quoi qu'il arrive. Mais il s'agit d'une question de Droits de l'Homme, d'humanité, d'égalité, de justice et de libération, des questions qui concernent tout le monde. Vous savez, il s'agit de la Palestine, mais aussi du Congo, du Soudan et de tous les autres pays qui ont été et sont toujours confrontés à de nombreuses injustices.
Beaucoup de créatifs comprennent ce qui se passe, mais n'osent pas s'exprimer ou prendre parti, ils ont peur que cela ait un effet négatif sur leurs carrières. Que leur diriez-vous ?
Je dirais qu'à l'école, nous avons appris beaucoup sur les atrocités qui se produisaient auparavant, et nous avons tous pensé que nous serions les personnes qui agissent. Alors, soyez la personne que vous imaginiez être pour lutter contre ces autres tragédies aujourd'hui. Parce qu'elles se produisent maintenant, que vous les regardez maintenant et que vous pourriez être la personne qui s'exprime. Plus tard, l'histoire fera la part des choses, et ne sera pas très agréable pour les personnes qui n'ont pas vu que c'était une chose horrible.
Que faut-il esquiver dans la vie ?
C'est une question difficile ! J'aimerais beaucoup échapper à l'occupation palestinienne. Mais concernant ma propre vie, je ne voudrais pas esquiver quoi que ce soit. Je pense que je fais ce qu'il faut et que je parle aussi pour les gens qui n'ont pas de voix.