INTERVIEW

Sienna Spiro : "Je me suis toujours sentie comme une Alien."

Publié le

24 mars 2025

Son accent british, sa voix éraillée et ses paroles touchantes ont déjà conquis les cœurs de plus de 2 millions d’auditeurs par mois. Influencée par l’univers d’Amy Winehouse, Frank Sinatra ou encore Etta James, à seulement 19 ans, Sienna Spiro a tout des plus grands. Après son EP Sink Now, Swim Later, sorti en février dernier, la Londonienne vit à 100km/h sur plusieurs continents, entre les dates de tournées, les sessions d’enregistrement et la création de nouveaux morceaux. Pour S-quive, nous l’avons rencontrée juste avant son showcase à Universal Music. Ses grands yeux bleus, son style vintage et son air décontracté ont su nous captiver.

Sienna Spiro ©Léa Costa

Comment allez-vous en ce moment ?

Il m’arrive tellement de choses ces derniers temps que je me sens vite dépassée, mais pour les bonnes raisons. Cette année a été assez chargée et j’en suis ravie, mais ça n’en est pas moins impressionnant. J’ai beaucoup de concerts, de tournées et de lives de prévus. Être sur scène, c'est ce qui me rend la plus heureuse.

Souvent les médias parlent de votre art mais expliquent peu votre parcours et votre enfance… Pouvez-vous nous en dire plus sur vous ?

Je suis encore assez jeune, mais d’aussi loin que je me souvienne, je chante. La musique a toujours fait partie intégrante de ma vie. J'ai grandi à Londres, c'était un peu compliqué dans ma famille, mais mon père jouait beaucoup de vieilles chansons et de disques de jazz à la maison, c’est comme ça que je suis tombée dedans. Petite, j’ai subi beaucoup d'harcèlement, et je n’arrivais pas à m’exprimer. J'ai encore du mal à parler et à communiquer des fois. J'ai écrit ma première chanson à l'âge de dix ans, intitulée "Lady In The Mirror", qui parle des brimades subies et dans laquelle j’explique que je suis au courant de tout, car la personne dans le miroir, c'est moi. C'est la musique qui m'a permis de tout surmonter. Je n’ai pas pu contrôler certains évènements, mais je peux contrôler ce que je crée et les paroles que j’écris, et cela m'a beaucoup réconfortée. Jusqu'à l'année dernière, je ne savais pas non plus que j’avais le TDAH (Trouble de l’Attention avec Hyperactivité). Je me suis découverte récemment, et cela se ressent. Globalement je me suis toujours sentie comme une alien, j’essayais de rentrer dans le moule, d'être comme tout le monde et quand je suis finalement arrivée en école de musique, pour la première fois je suis trouvée normale et je me suis dit : "En fait, je ne suis pas bizarre".

La BBC vous a classé parmi les artistes à suivre pour l’année 2025, comment vivez-vous cette nouvelle renommée ?

C'est un tel honneur ! Je suis tellement reconnaissante pour tout ce soutien, surtout depuis que j'ai sorti "Maybe", c'est complètement fou. J'ai l'impression que j'ai besoin de prendre plus de temps pour m'imprégner de tout cela et être davantage présente. Parfois, les gens me reconnaissent dans la rue, et c’est toujours quand je m’y attends le moins. Ils me disent : "Oh salut !" et je leur réponds : "Hé, on se connaît ?" [Rires]. Tout le monde est tellement gentil, aimable et généreux avec moi depuis le début de cette aventure.

"Je veux que les gens entendent ma voix, sachent ce que je fais et ce que je dis, et TikTok est un moyen d'y parvenir."

On vous a découvert sur TikTok, après une reprise de "Redbone" de Donald Glover, avez-vous peur d’être considérée comme une "chanteuse des réseaux sociaux" ?

Oui, je garde toujours ça dans un coin de ma tête. Au début, je chantais juste parce que j'aimais ça mais je suis encore un peu inquiète qu’on ne me voit uniquement à travers ce prisme. Pour être honnête, il n'y a pas d'autres moyens de commercialiser sa musique… Je veux que les gens entendent ma voix, sachent ce que je fais et ce que je dis, et TikTok est un moyen d'y parvenir. Je pense que c’est important de garder son sens artistique et son intégrité. C’est comme ça que j’ai pu construire une communauté et j'en suis reconnaissante.  

Sienna Spiro ©Léa Costa

"Back to Blonde", "Maybe", "Need Me", l’amour et la tristesse sont au centre de vos compositions, pourquoi ?

Je cache beaucoup le sens de mes chansons derrière le thème de l’amour… "Need Me" ne parle pas d'amour, mais d'une époque où j'étais plus jeune et plus ronde, où je n'étais pas acceptée et où je ne me sentais jamais assez. Alors, je me suis changée, quitte à me mettre dans des situations vraiment étranges pour que les gens aient besoin de moi. Pour qu’ils n’aient pas le choix. J'aimerais que tout le monde écoute ma musique alors je ne souhaite pas trop en dire sur les paroles. J'aimerais que les gens s'y identifient comme ils l’entendent. Certaines parlent d'amour et d'expériences vécues, d’autres, de différentes parties de ma vie, mais vues sous le prisme de l’amour.

Quel est votre état d’esprit quand vous composez ?

Cela dépend de nombreux facteurs. J'écris depuis l'âge de 10 ans et des fois je suis très émotive en écrivant des chansons qui ne sont pas tristes du tout. Souvent, c’est complètement inconscient, je déverse tout ce que je ressens. D’autres fois, il m’arrive d’avoir envie de faire quelque chose de très recherché. J'ai planifié "Butterfly Effect" avec soin parce que je voulais que l'histoire corresponde aux accords et que tout soit cohérent. Les couplets où je parle de désillusion sont fluides, puis le refrain arrive pour faire grimper la tension ; la mélodie et l'histoire suivent, comme l’envol d'un papillon. Quand j’écris, tout peut être instinctif et sortir de manière brute, ou à l’inverse, ça peut être planifié et très élaboré. Cela dépend de ma vie, de ce que je ressens, et de mon humeur sur le moment.

Quel est votre "Effet Papillon" ? (En référence à votre titre "Butterfly effect")

Je pense que ce serait ma reprise de "Redbone" sur TikTok. Pour être honnête, ça a été le point de départ de tout. L'effet papillon se produit tous les jours, on n’en a juste pas conscience. On peut ouvrir la mauvaise porte et rencontrer quelqu'un qu’on n’aurait jamais imaginé rencontrer. Je pense que les effets papillon les plus importants pour ma carrière restent ma cover et la sortie de ma chanson "Maybe". Ça a changé ma vie.

Votre titre "Maybe" a été repris de nombreuses fois sur les réseaux sociaux, votre expérience est presque universelle, qu’est-ce que ça vous a procuré ?

C'est vraiment fou. Je n'attendais rien de cette chanson. J’en ai écrit des milliers, c’était l'une d'entre elles et elle a vraiment touché les gens. La seule chose que je puisse espérer avec ma musique, c'est que les gens s’y identifient ou y trouvent quelque chose dont ils ont besoin. J'ai toujours voulu être moi-même, jusqu'à permettre aux gens de devoir s'observer et de se comprendre à travers mes chansons. J'ai reçu tellement de messages, certains étaient assez tristes. Beaucoup de survivants d'abus domestiques se sont sentis concernés par ce morceau. C’est fou mais ça m'a ouvert les yeux.

Sienna Spiro ©Léa Costa

"J’aime aussi le Hip-Hop parce que c’est un style qui me donne confiance en moi."

Certains comparent votre style à celui d’Amy Winehouse, Adele, Frank Ocean ou Etta James, quelles sont vos inspirations musicales ?

Je m’inspire beaucoup du jazz, de la soul et du Motown. Des grands noms comme Frank Sinatra, Marvin Gaye, Ella Fitzgerald, Nina Simone ou encore Dana Washington ont forgé mon style musical. Sur le plan des paroles, je m’inspire de Frank Ocean. Il y a beaucoup de morceaux contemporains que j’écoute, mais les artistes que j’ai cités sont le cœur de mes inspirations. J’aime aussi le Hip-Hop parce que c’est un style qui me donne confiance en moi. Les tubes qui sortaient dans les années 2000 comme ceux d’Outkast, Scarface, ce genre de choses… En écouter jeune m'a donné une telle confiance en moi que je voulais aussi l’avoir dans ma musique.

Vous venez de sortir un EP, avez-vous une idée de quels seront vos projets futurs ?

Oui, j'ai beaucoup écrit, je reviens juste d'une semaine d'écriture. Je ne veux pas tout dévoiler pour l’instant, c'est trop tôt... Je suis déjà très fière du projet (Sink Now, Swim Later), je suis heureuse qu'il soit sorti et très excitée à l'idée de créer de nouvelles choses.

Avec qui rêveriez-vous de travailler ?

J’aimerais beaucoup collaborer avec Anderson Paak, Bruno Mars, ou encore Barbra Streisand, je suis une grande fan d'elle. Doechii et Tyler the Creator produisent des morceaux géniaux en ce moment, alors ils font aussi partie de cette liste.

Vous avez un style qu’on pourrait considérer comme plutôt masculin, mélangeant cravates, chemises et bijoux, quelle est votre tenue signature ? Vos marques de prédilection ?

D'habitude, j'ai toujours une cravate, je n’en porte pas aujourd’hui mais j'aime en porter parce qu’avec, je me sens prête à aller au travail. J'ai passé beaucoup de temps à porter des survêtements et des jeans, mais me sentir bien habillée me donne un sentiment de puissance. Je pense que mon style est en train de changer. J'utilise les vêtements pour exprimer ce que je ressens. Parfois, j'ai envie de me sentir plus masculine et plus puissante, mais parfois, je veux me sentir féminine et je pense que c'est normal. Certaines personnes mettent ces styles dans des cases en disant : "Oh, elle est très féminine ou très masculine", et cela m’inquiète. Je peux m'habiller de manière masculine et avoir envie de porter des jupes. Je pense que les gens doivent garder leurs avis pour eux. Il ne faut pas être fermé d’esprit, il faut pouvoir s'exprimer comme on le sent. Les termes "trop féminin" ou "trop masculin" ne sont pas pertinents, je pense qu'il faut s'habiller pour soi. J'ai passé beaucoup de temps à m'habiller pour les autres, non pas parce que j'avais envie de le faire, mais parce que je pensais que je serais davantage acceptée dans un groupe, mais ça me rendait malheureuse. J'étais la plus heureuse quand je portais ce que je voulais, même si c'était la pire des tenues. Je peux porter une cravate et me sentir très femme, comme je peux porter le pantalon le plus gigantesque qui soit, si c'est ce que je ressens ce jour-là. Les gens doivent permettre des continuités avec tous les genres et tous les styles. J'aime beaucoup les vêtements vintage, et je pense que c'est important d’en acheter et d’en porter.

Sienna Spiro ©Léa Costa

Qu’est-ce que vous esquivez dans votre quotidien ?

J’esquive toute vie amoureuse. Ça ne fonctionne pas pour moi en ce moment… [Rires]

L’auteure-compositrice-interprète se produira sur scène, le 29 avril prochain, aux Etoiles, à Paris.

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