INTERVIEW
Publié le
11 juin 2024
Élu Meilleur pâtissier du monde 2024, le Chef français Sébastien Vauxion excelle dans l’art d’élaborer des cartes gastronomiques parsemées de tonalités sucrées. A la tête du restaurant doublement étoilé, Le Sarkara, à Courchevel, le quarantenaire, passé par les cuisines de Pierre Gagnaire, officie avec passion et gourmandise pour réinventer des desserts intemporels. Pour S-quive, il revient sur son parcours, ses aspirations et son dessert de l’été.
Après le titre de Meilleur pâtissier de l’année par le Gault & Millau en 2023, vous avez été élu Meilleur pâtissier du monde 2024 par l’association Les grandes tables du monde. C’est la concrétisation d’une vie de travail dédiée aux plaisirs sucrés ?
Ce sont des récompenses incroyables que je n’avais même pas imaginé recevoir un jour. Gault & Millau, c’est historique. Étant gamin, on en entendait parler et on regardait les sorties avec de grands yeux. Avoir été élu Meilleur pâtissier en 2023 par le guide, c’était déjà magnifique ; et de même, pour le titre de cette année, je n’arrive pas à réaliser ! [Rires] D’ailleurs, j’ai entendu une citation qui disait que c’est fou à quel point les choses extraordinaires peuvent paraître communes quand on les vit. Effectivement, ça ne nous change pas, nous. J’ai eu ces titres mais je reste le même, avec la même vision du travail, mais avec une reconnaissance du milieu et du grand public qui change. Je prends cela comme un encouragement à continuer et à aller encore plus loin.
A quoi peut-on aspirer après de telles distinctions ?
Il y a le niveau suprême du Guide Michelin qui serait une 3e étoile, et qui me fait rêver depuis que j’ai décroché la première ! Cela nécessite beaucoup de travail, du temps, une remise en question sur la façon d’imaginer la nourriture, de la servir, sur l’environnement qui encadre le restaurant… J’aime l’idée car, une nouvelle fois, je ne reste pas sur mes acquis. Avec le cœur, je me remets à travailler comme si je n’avais pas eu les titres précédents et que le meilleur reste à venir.
"Dans la pâtisserie, on fait évoluer des bases intemporelles."
Votre restaurant Le Sarkara est le premier restaurant gastronomique de desserts à être primé par le guide Michelin. Les desserts méritent enfin leur place sur le podium selon vous ?
Je suis très heureux d’avoir mis cette lumière sur ce métier et le dessert de restaurant parce qu’ils sont trop souvent oubliés. Combien de fois par le passé, les Chefs pâtissiers n’étaient pas considérés et mis derrière les Chefs de cuisine… Dans chaque grand palace, existe un Chef pâtissier qui se fond dans la lignée du Chef de cuisine et, bien sûr, c’est important. Pour l’avoir fait pendant des années, notamment avec Pierre Gagnaire, j’ai appris énormément. Je suis parti pour savoir si, en tant que Chef, j’étais capable de créer une pâtisserie qui me ressemblait. Je pense que j’ai bien fait car ça m’a permis de m’accomplir et de créer Le Sarkara, premier restaurant de desserts gastronomiques. J’ai pris la place de Chef et tout ce qui est servi, c’est ce que je crée. Je ne m’occupe plus uniquement de la dernière étape du repas. C’est extraordinaire et c’est toujours un challenge parce que c’est une vision intime de ce que j’aime transmettre. Je ne reste jamais dans ma zone de confort, je renouvelle tous les ans. J’adore interagir avec les clients et ça me lance dans des réflexions. Quand nous avons ouvert, il y a 7 ans, c’était un restaurant de desserts. Le principe était de venir manger un dessert gastronomique sans passer par la phase salée. Je me suis aperçu que le restaurant ne prenait pas tout à fait sens avec cette expérience sucrée uniquement et la satiété rapide du sucre... J’ai réimaginé le repas dans mon univers. J’ai créé des entrées, des plats chauds, du fromage avec des notes, des parfums, des arômes utilisés en pâtisserie. Par exemple, il y a des fruits confits, de la vanille, du safran, du chocolat. Tout cela parfume des plats dans des équilibres de sucres très fins. Je travaille avec des légumes, j’assaisonne, je fais des sauces avec des infusions de vin, des bouillons… J’utilise toutes les techniques de cuisine : cuire, réduire, braiser, flamber que les pâtissiers n’utilisaient pas pour les desserts et les fruits.
Ce qu’on appelle vulgairement "La Food" n’a jamais été aussi tendance. Et notamment les desserts très instagrammables qui remportent tous les suffrages sur les réseaux sociaux. C’est un outil indispensable pour transmettre votre passion aujourd’hui ?
Je pense que l’outil est très puissant. Aujourd’hui, la génération aime les réseaux sociaux et les visuels. Je considère que ma pâtisserie est vraiment à l’opposé ! Je ne suis pas dans une exposition technique. Au contraire, elle se met au service des dégustations. Je ne suis pas bon vendeur sur les réseaux avec cet effet "Waouh" en image qui peut être très décevant quand on le mange. Je sais faire l’inverse, quelque chose de très gourmand avec une explosion en bouche qui crée de l’émotion !
Vous faites parfois des Masterclass… Quel est le meilleur conseil que vous puissiez donner à des passionnés de pâtisserie ?
Quand on est passionné de pâtisserie, il faut apprendre à faire bon. Il faut commencer par les bases : faire des biscuits, comprendre l’interaction des œufs, du sucre, l’importance des températures, des textures… Donc apprenez à faire bon et goûtez, goûtez, goûtez !
La marque de montre française Apose a créé un logo à votre effigie en s’inspirant de vos initiales mais aussi du dressage de vos assiettes… Parlez-nous de cette singularité ?
On a l’habitude d’écrire mes initiales "SV" et là, on a le "V" sur le "S" avec une typographie très élégante. Le "V" est représenté comme des tuiles ou des chips de fruits ou de légumes, très légères, que je pose sur les desserts. Elles sont dans le vent, c’est très fin. J’ai trouvé la réflexion très intéressante !
"Déguster un dessert, c’est comme regarder un coucher de soleil, c’est un instant de plénitude."
Cette collaboration fait écho à la temporalité... C’est un paramètre majeur dans la pâtisserie ?
Oui, c’est important parce que dans la pâtisserie, on fait évoluer des bases intemporelles. On aime les Paris Brest, les mousses au chocolat, les flans… C’est intemporel. Avec Le Sarkara, j’ai créé quelque chose et j’ai inspiré des jeunes. Aujourd’hui, il y a une tendance dans le dessert à utiliser des légumes, des herbes… Des choses que l’on ne voyait pas et auxquelles j’ai contribué avec le restaurant. Ce serait extraordinaire d’avoir marqué une période de la pâtisserie et que cela perdure. Il y a un parallèle avec la montre qui est un objet que l’on transmet et qui supporte un héritage. La première fois qu’on la met au poignet, on s’approprie et on crée une histoire. Le faire avec Apose, qui a cette volonté de faire du 100% français et de relancer un savoir-faire malheureusement perdu en France, fait de leur pièce un véritable objet dès la conception. Cette idée me plaît énormément.
Mais pâtisser n’est-il pas aussi un moment hors du temps pour s’évader ?
Quand je fais de la pâtisserie, c’est pour faire plaisir. En vérité, on n’a pas besoin de pâtisserie pour vivre. Acheter un dessert ou faire un tea time, c’est aller chercher un plaisir qui doit être intense. C’est une pause, un petit instant le temps d’une dégustation. J’adore ça, je pense que je suis drogué à la pâtisserie. [Rires] Mais aussi à l’émotion que ça peut faire ressortir. C’est comme regarder un coucher de soleil, c’est un instant de plénitude. Mon but, c’est d’offrir ce genre de sensation avec la pâtisserie.
Vous valorisez la cuisine 100% végétale. Cela va de pair avec cette tendance aux desserts moins sucrés ?
Le dessert moins sucré, c’est n’importe quoi ! Dessucré est une bêtise. Si on va vers les desserts, c’est pour nous faire plaisir. La meringue, des cuisiniers ont essayé de la faire salée, d’utiliser des édulcorants, du saccharose pour la recherche du goût sucré… Ce sont des produits qui restent dans le corps, et dont on ne connaît pas vraiment l’interaction. Donc, mangez des desserts. Mangez-en moins, mais bon ! Tout est une question d’équilibre. Dans tous mes plats, il y a un jeu de température, une amertume qui apporte une fraîcheur ou une acidité. Un fruit confit est bon car il est gorgé de sucre, tout comme une confiture, par exemple.
"Il faut faire ses preuves, cela permet d’apprendre, d’encaisser et d’être dur au mal."
J’ai lu que vos parents n’étaient pas encourageants quant à cette voie qu’ils percevaient comme une "lubie". Quel regard portent-ils aujourd’hui sur votre parcours ?
Quand j’ai dit à mes parents que je voulais être pâtissier, ils m’ont dit : "Oui, oui, passe ton Bac d’abord et ensuite, tu verras ça à 25 ans !". J’ai dit : "Oui mais non !". [Rires] Je comprends l’inquiétude des parents qui sont en voie scientifique et qui disent à 6 mois du Bac : "J’arrête tout, je veux être pâtissier". Si, on se loupe sans diplôme, il faut pouvoir rebondir ensuite. Mes parents étant maraîchers, métier de labeur qui nécessite de véritables efforts (pas de week-end, cumul d’heures, de fatigue…) donc je pense qu’ils espéraient un métier moins laborieux. Quand ils ont vu que je prenais mon pied dans ce que je faisais, tout cela a été oublié. Ceci étant, il a fallu que j’ai ma première étoile pour que mon père me dise : "Tu as peut-être bien fait de ne pas passer ton Bac !". [Rires] Il faut faire ses preuves, cela permet d’apprendre, d’encaisser et d’être dur au mal.
Que faut-il esquiver dans la pâtisserie ?
J’allais reparler de cette fausse idée d’enlever du sucre ! [Rires] Il faut esquiver tout ce qui impacte des réseaux sociaux aujourd’hui. Il y a un décalage entre l’image que l’on donne sur les réseaux et la réalité. Comme je le disais tout à l’heure, la promesse des images n’est pas toujours fidèle à la réalité. Attention au décalage et à ne pas créer des choses exprès uniquement pour faire de la visibilité. Il faut esquiver les pièges !
Si vous deviez nous recommander un dessert et sa recette pour cet été ?
C’est difficile pour l’été car le soleil n’est pas au rendez-vous ! [Rires] A cette période-là, j’adore la pêche, c’est très délicat.
Pour faire un sirop de pêche :
Vous taillez des pêches (même un peu passées) en morceaux pas trop gros ; Vous enlevez les noyaux et vous les faites macérer dans du sucre (Il faut 60% du poids en sucre) ;
Vous laissez les fruits une semaine au frigo et vous les égouttez ;
A côté, vous faites une salade de fruits très simple avec des pêches, des abricots, un peu d’amandes fraîches… ;
Vous reprenez ce sirop de pêche, avec un jus de citron, une goutte de liqueur de pêche, une gousse de vanille grattée ;
Vous mélangez tout ça et vous avez une salade de fruits simple et incroyable à servir au déjeuner !
Par contre, sur Instagram, la salade de pêche ne rend pas forcément très bien ! [Rires]