INTERVIEW
Publié le
30 octobre 2023
Santa a marqué l'été dernier avec son titre "Popcorn Salé", interprété à 40 mètres, au-dessus des toits bruxellois. Chanteuse du groupe Hyphen Hyphen, l’artiste de 31 ans manifeste sa volonté de placer l’amour au centre du cœur de l’Homme. Mais la compositrice queer veut également construire avec nous un présent affranchi et plus sécurisant. Son EP, 999, sorti en septembre dernier, propose une néo-variété vivante, intime et universelle. A l’occasion de son concert au Zénith de Paris le 10 novembre prochain, S-quive s'est entretenu avec elle. Un moment posé comme un café entre amis, aux saveurs libres et puissantes, qui réchauffe l’âme comme un beau souvenir, pour nous emmener dans un nouveau monde et redécouvrir, à nos pieds, les champs des possibles.
J’aimerais parler de jazz. Notamment d’un homme qui vous ressemble par son art : Jimmy Scott. Est-ce que ce courant, ou peut-être cet artiste, vous a influencé dans votre propre art ?
Merci beaucoup pour ce beau compliment ! Je t’avoue que c’est au-delà des références et des retours que j’espérais quand j’ai commencé la musique. Le jazz est en lien avec deux autres genres qui sont très importants pour moi : le blues et le rock’n’roll. J’ai grandi avec cette énergie rassurante et qui touche à l’âme dans ces musiques. Dans le jazz, on tente de trouver la liberté parfois dans un aspect très technique et une recherche presque scientifique quand on joue. Le blues vient davantage dans ses émotions primaires et endiablées, c’est une démarche qui me ressemble davantage et qui me parle mieux. Enfant, on a la naïveté d’être envahi et imprégné par des choses qui nous submergent intégralement sans vouloir comprendre. Le blues et le rock’n’roll ont été ses musiques pour moi.
"Artistiquement je pense qu’il faut s’amuser et aller au bout des rêves fous que l’on peut avoir."
Par sa composition et son succès "Popcorn Salé" vous ouvre un monde nouveau. Quel est votre sentiment par rapport à tout cela ?
Si on est un peu terre à terre d’abord, ce nouveau monde que je découvre est celui de la variété française. Je me suis intéressée tard à ce style de musique dans ma vie. J’ai grandi avec les musiques américaines et anglo-saxonnes. Donc j’ai commencé à explorer la variété française avec mon cœur d’adulte ou d’adulte en devenir. Et c’est en découvrant ce monde que la chanson "Popcorn Salé" m’a traversé. Je dirais que je n’avais pas le choix de la langue, de sa forme, des mots que j’ai écrit. Je t’avoue que je n’aime pas ce que je suis en train de te dire, parce que ça semble trop féerique…pas réel de parler de composition de cette façon ! Mais le fait est que c’est ainsi que ça s’est passé. J’ai eu cette montée chromatique qui m’est venue et qui s’est imposée comme une évidence. Le succès ensuite que ce titre a eu est juste fou ! C’est Adam et Line (qui compose Hyphen Hyphen, avec moi) qui m’ont convaincu de sortir le single. C’était un geste d’une grande beauté de leur part de me pousser à le proposer au public. Et même si, j’espérais une réponse positive parce que c’est normal en tant qu’artiste lorsqu’on sort une chanson, je ne m’attendais clairement pas à ça ! Mais au-delà encore de ce succès, c’est la douceur que cette chanson procure à ceux qui l’écoutent qui me rend fière de ce titre. Parce que c’est vraiment ce que j’espérais, que "Popcorn Salé" procure du bien au cœur des gens autant que ça a pu m’en faire quand je l’ai composé.
Quelle vue nous avons sur soi et sur le monde perché à 40m de hauteur ? Pouvez-vous nous raconter l’avant et l’après de cet évènement ?
La vue est troublante à 20 mètres et à 40 mètres, vertigineuse ! Mais, le plus exceptionnel a été cette balade parce que je ne suis ni restée à la même hauteur, ni au même endroit. Le fait de pouvoir avoir une grue pour me déplacer et voyager dans les airs, comme ça, a créé un moment unique et inimaginable… Presque comme une image qui sort d’une bande-dessinée ! Un instant qui pourrait sortir de Saint-Exupéry, je l’ai en face de moi ! Du vent, du sable…et des étoiles tous ensemble ! Aujourd’hui, artistiquement je pense qu’il faut s’amuser et aller au bout des rêves fous que l’on peut avoir. Mais cette hauteur, cette grande place remplie de personnes venant partager la musique ensemble, les feux d’artifices, avec en plus la pluie de pop-corn… Tout ça, je trouve, a créé un moment d’émotion pure… C’était un grand souvenir pour moi ! Et j’espère avoir pu mener la musique un peu plus haut aussi.
Thomas Hobbes a dit que l’écriture a permis le "rapprochement des hommes". Qu’en pensez-vous ? Qu’est-ce que l’écriture pour vous ?
C’est tout à fait vrai ! Ça correspond exactement à ma façon d’écrire avec Hyphen Hyphen. En anglais, "Hyphen" signifie "Trait d’union", il y a donc cette notion d’ensemble. Nous revendiquons aussi le vivre-ensemble et la différence également par le fait d’être queer. Nous voulons créer avec notre musique, et notre écriture, un endroit où on peut vivre pleinement et en sécurité avec ce que chacun est et veut et aspire à être. En revanche, concernant ma démarche solo, c’est tout autre chose. J’étais en morceau, et par l’écriture j’ai décidé d’en faire des morceaux pour me rassembler moi-même.
"Par une écriture différente, puisque j’étais seule, j’ai pu contourner et détourer ce monde pour grandir et évoluer."
Comment on esquive l’excès d’intimité dans sa musique ?
C’est tout le paradoxe ! D’une part, j’ai eu la chance de ne pas savoir que ces chansons allaient être entendues. C’était très agréable pour moi parce que je n’avais pas de but. Je les composais pendant des nuits, et, finalement, j’avais une grande liberté d’expression et d’exploration. Pour moi, c’était la possibilité de construire un monde intime qui s’est mis, ensuite, à jour lorsque j’ai commencé à la faire écouter à mes proches. Et justement par une écriture différente, puisque j’étais seule, j’ai pu contourner et détourer ce monde pour grandir et évoluer. Après ce qui me permet de maintenir une certaine distance, c’est ma pudeur et ma timidité. Et, le fait d’écrire en français m’a permis de prendre du recul et de trouver le bon juste milieu.
Nous avons vu, cette année, des piliers comme Le Règlement ou Maskey se demander où va le rap (notamment français) et évoquer leurs grandes inquiétudes quant à son évolution. Ma question est plus large encore. Où va la musique ? Et où aimeriez-vous l’amener avec vos propositions ?
Je comprends complétement leurs inquiétudes puisque je la connais également. C’est très compliqué aujourd’hui de se développer en tant qu’artiste. Les maisons de disques et l’industrie musicale recherche davantage une notoriété plus qu’un talent ou une démarche et une recherche artistique. Quant au hip-hop, je pense que les rappeurs ont renversé et mis à mal le système de la musique en déjouant certaines règles. L’achat de stream a également complétement biaisé le marché. L’engouement pour ce style a poussé les majors à acheter des contrats inimaginables et à investir des sommes qu’on n’aurait jamais pu espérer avoir dans du marketing. L’industrie s’est appuyée sur les algorithmes pour faire des écoutes et des vues. Je pense que de ce fait, c’est un peu le revers de la médaille. Je comprends que le hip-hop ne faisait plus forcément partie du système donc ces acteurs en ont fabriqué un nouveau. Mais force est de constater que ça a brisé quelque chose dont on est parfois les victimes collatérales. Et, de ce fait, j’ai du mal à apprécier cette industrie musicale. Il n’y a pas forcément davantage de pluralité, et on y perd l’individu dans la masse, à mon avis. C’est dommage. C’est un débat très complexe pour énormément de raisons. D’une part, le rap est devenu tellement mainstream que beaucoup en font sans aimer ce style et uniquement dans le but d’accéder à une gloire finalement très éphémère. Mais ça a également rendu difficile de faire du rock et de la variété française de nos jours. Pour autant, l’art est également influencé par des effets de mode. Aujourd’hui, on voit aussi le retour du rock ou d’autres styles (le métal par exemple), qui influencent le hip-hop avec la drill ou la trap. Donc ça laisse un champ libre immense et c’est rassurant de voir que rien n’est figé.
Santa sera au Zénith de Paris le 10 novembre prochain.
Plus d'articles