INTERVIEW
Publié le
29 mai 2024
Sandra Terdjman est une femme qui croit en la puissance de l’art. Curatrice et mécène, c’est en ce sens qu’elle a cofondé KADIST, une organisation à but non lucratif, qui place l’art contemporain en tant que moteur de transformation sociale. Depuis dix ans, dans une démarche philanthropique, la cofondatrice du réseau international AFIELD accompagne les initiatives sociales portées par des artistes. En 2023, parmi les lauréats, on retrouvait : Elisa Silva, Necati Sönmez et Louis Oke-Agbo autour de thématiques axées sur les déficiences mentales, physiques et visuelles au Bénin, la peinture comme une passerelle d’expression, la danse en prolongement naturel des soins médicaux… Des portes transitionnelles et créatives ouvertes vers l’autre. Rencontre avec une passionnée d’art, qui recherche sans cesse, à travers son soutien aux projets, à contribuer à l’évolution de la société.
AFIELD a été cofondé en 2014, qu’aviez-vous en tête en créant ce réseau ?
Au départ, l’objectif était de rendre visible et d’accompagner les initiatives sociales portées par des artistes. Très vite, nous avons compris que la force d’AFIELD était dans le réseau d’entraide, dans la synergie créée entre les projets à un niveau international. Proposer un soutien financier mais aussi des événements et des programmes théoriques comme pratiques tout au long de l’année était essentiel. Nous voulions mettre en relation des personnalités et des projets qui ont beaucoup à partager, mais qui ne se seraient jamais rencontrés autrement.
Après dix ans d’existence, le réseau compte près de trente lauréat(e)s. Suivez-vous l’évolution de chacun(e) ?
Nous échangeons régulièrement par mails avec l’ensemble des lauréat(e)s, et nous organisons tous les deux mois ce que nous appelons des "Kitchen Calls", ouverts à l’ensemble du réseau. Ces discussions en visio permettent de prendre des nouvelles de chacun(e) et de mettre en lumière les défis auxquels certain(e)s peuvent être confronté(e)s, afin de les aider au mieux.
Comment sélectionnez-vous les 3 artistes à qui vous portez votre soutien chaque année, au-delà de l’alliance entre l’aspect artistique et sociétal ?
Les lauréat(e)s AFIELD sont principalement issu(e)s du domaine des arts mais aussi de la culture en général : arts visuels et du spectacle, littérature, cinéma, design, architecture, mode ou gastronomie. Tout en étant reconnu(e)s pour leur pratique artistique, ils/elles doivent avoir lancé un projet qui porte une action sociale concrète et sur le long terme, ayant un impact direct et durable sur leurs communautés. Cette idée de changement sur la durée est cruciale pour nous.
"L’accompagnement est au cœur de la mission sociale que je me suis donnée."
AFIELD supporte des initiatives très concrètes d’un aspect financier, mais pas seulement. Par exemple, vous étiez présente à Hong Kong pour une visite d’espaces d’artistiques. Pouvez-vous expliquer en quoi consiste ces événements, et quels sont vos différents leviers d’action ?
Ces événements ont pour but de faire connaître AFIELD au plus grand nombre, qu’il s’agisse du milieu de l’art contemporain ou en dehors. Au-delà des foires, nous organisons ou co-organisons des événements plus grand public afin de sensibiliser sur les actions des membres de notre réseau. Ils permettent d’agrandir en quelque sorte la communauté d’AFIELD, et de trouver de nouveaux soutiens, y compris financiers.
Avez-vous un exemple de la naissance d’une collaboration artistique, à la suite d’une rencontre entre les membres de votre réseau ?
Farid Rakun est l’un de nos "advisors" à AFIELD et fait partie du collectif "Ruangrupa", une initiative artistique créée par un groupe d'artistes à Jakarta, en Indonésie. Ce même collectif a été nommé commissaire de documenta à Kassel (Allemagne) en 2020 et a permis à huit artistes du réseau d’être exposé(e)s dans ce cadre. Une très belle opportunité pour eux/elles qui n’aurait pas eu lieu sans nous.
AFIELD soutient des projets multidisciplinaires à travers le monde, c’est un réseau très décentralisé, était-ce une volonté au départ ?
La dimension internationale du réseau a toujours été une volonté forte de ma part. Nous ne souhaitions pas couvrir certaines régions du monde ou nous spécialiser dans certaines géographies. Je suis convaincue que les artistes peuvent traverser certaines difficultés en commun ou se poser des questions similaires lorsqu’ils/elles montent des projets. C’est pourquoi ce réseau trouve un tel écho, partout dans le monde, au-delà des frontières et des problématiques locales.
Comment imaginez-vous l’avenir du réseau ?
Le réseau a vocation à s’agrandir tout en gardant ce qui fait sa force : des échanges chaleureux et personnels. Notre plus grand défi sera donc de garder cet esprit et cette entraide tout en structurant le réseau à une plus grande échelle. En complément de notre système de "fellowship", nous mettons également en place depuis peu d’autres bourses avec des thématiques bien précises. La première d’entre elles est dédiée à la justice transitionnelle. D’autres suivront à l’avenir.
"J’ai toujours voulu mettre en avant le rôle des artistes au sein des débats de société."
Depuis toujours, vous avez cru en l’impact de l’art au-delà des œuvres ?
J’ai toujours voulu mettre en avant le rôle des artistes au sein des débats de société et soutenir la compréhension du monde qu’ils/elles peuvent apporter. Selon moi, l’art produit des changements sociaux significatifs et son influence peut ensuite s’étendre à d'autres domaines.
Pouvez-vous nous parler de certaines initiatives que vous avez été particulièrement fière de soutenir ?
Il m’est difficile de choisir entre l’ensemble des lauréat(e)s… Mais nous avons organisé, par exemple, au mois d’avril une projection du film Berbu de la réalisatrice kurde Sevinaz Evdike, à l’espace DOC!, à Paris. Malgré le succès international de cette artiste, qui avait reçu une des bourses AFIELD en 2020, c’était la première fois qu’elle pouvait assister à la projection d’un de ses films en Europe, pour des questions de visas notamment. C’était un très beau moment partagé ensemble.
Votre passion pour l’art ne vous a pas porté en tant qu’artiste, malgré un fort intérêt pour la peinture. Pourquoi avez-vous privilégié l’accompagnement des autres dans leurs projets ?
Je n’ai jamais été attirée par le rôle d’auteur, ma pratique "curatoriale" s’est toujours exprimée depuis le collectif, en collaboration avec d’autres commissaires d’exposition, auteurs, penseurs, activistes. J’ai aussi eu l’opportunité de concevoir très tôt des structures de soutien de long terme, comme KADIST. L’accompagnement est au cœur de la mission sociale que je me suis donnée.
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