INTERVIEW
Publié le
4 novembre 2024
Jeune femme de son époque, Rori dépeint, avec audace, de véritables sujets de société. De la difficulté d’être traitée avec respect sur les bancs de l’école dans "Loser" à son récent titre "Jalousie", évoquant la comparaison et l’irrationalité liées aux réseaux sociaux, la Belge mêle vécu et empreinte artistique singulière. Inspirée par le cinéma japonais, le rock des années 1990 et le style manga-british, l’artiste qui a marqué les esprits lors de la première partie de Lana Del Rey au festival Rock en Seine l’été dernier, s’ancre sur la scène musicale avec maturité et fraîcheur. Rencontre avec une âme sincère au tempérament ardent.
Rori, si vous deviez vous présenter en quelques mots…
Je m’appelle Rori et je fais de la musique. Voilà, c’est déjà pas mal, je trouve ! [Rires]
Vous avez récemment sorti le clip de "Jalousie". Pourquoi avoir choisi ce sentiment sombre pour en faire un titre ?
C’était quelque chose que je ressentais quand même pas mal. Aujourd’hui, on se compare tout le temps à cause des réseaux sociaux. C’est un des maux du siècle. Même s’il ne faut pas le faire, quand tu es un artiste en développement, tu te compares toujours avec les gens autour de toi. Le sentiment de jalousie se crée et ce n’est pas juste parce qu’on finit par ne plus être reconnaissant de ce qu’on a déjà. C’était aussi pour changer ma façon de voir les choses. Je sentais que je me comparais et je n’appréciais plus toutes les belles choses qui m’arrivaient. Ça s’est fait très naturellement et ça a fait du bien.
Vous avez eu besoin d’extérioriser car vous pensiez basculer dans ce sentiment de jalousie ?
Oui exactement. Je sentais que je basculais là-dedans et j’avais peur de devenir ingrate. C’est difficile de ne pas reconnaître ce que tu as déjà accompli. Tu as l’impression que tu n’avances pas, c’est un sentiment totalement biaisé. Tu n’es jamais content de rien, je ne voulais pas aller vers ce chemin. Je pense que la jalousie naît de cela.
"On est tous en train de se regarder, d’envier, d’être jaloux et de ne plus être satisfait de ce qu’on a déjà."
Justement, dans ce titre, vous abordez la comparaison avec les autres, l’obsession à regarder les photos, l’influence des réseaux sociaux… Pensez-vous que la Gen Z est confrontée à cette émotion de façon décuplée aujourd’hui ?
Oui, totalement, et cela concerne toutes les générations. Même si tu ne fais pas de la musique, quoique tu fasses, peu importe le milieu, que tu sois riche ou de la classe moyenne, si elle existe encore … ! On fait tous ça. On est tous en train de se regarder, d’envier, d’être jaloux et de ne plus être satisfait de ce qu’on a déjà.
L’imagerie du clip colle parfaitement avec cette période d’Halloween ! C’est rock, vintage, explosif, parfois trashy et réalisé dans un château… Vous souhaitiez une ambiance et une scénographie presque cinématographique ?
J’aime prendre le temps pour réfléchir les visuels, je veux que ça corresponde à la musique et que ce soit fort pour proposer des choses différentes. L’inspiration, c’était le film d’animation japonais Perfect Blue qui a été fait dans les années 1990. Je voulais retrouver ce truc un peu cinématographique et nostalgique avec la scène des télés où j’observe la personne. J’adore le cinéma et les vieux films, c’est génial de pouvoir ramener cela dans ce que je fais. C’est une direction dans laquelle j’ai envie d’aller de plus en plus.
Avec le titre "Loser", vous abordiez le harcèlement scolaire et vous disiez : "Je veux chanter pour les losers". C’était une manière d’encourager les personnes harcelées à sortir du silence ?
Personnellement, je ne me suis pas fait harceler par des élèves. J’ai plus vécu un rabaissement par les professeurs durant toute ma vie scolaire. Ils me qualifiaient comme étant quelqu’un qui était bon à rien et qui ne ferait pas grand-chose. A vrai dire, je ne sais pas ce qu’ils espéraient que je devienne ! [Rires]
"Tous ces gens qu’on appelle 'losers', je leur dis : ‘Ne vous inquiétez pas, on est ensemble !’"
Vous-même, vous vous êtes sentie loseuse ?
Ah oui, complètement. C’est vraiment le propos de cette chanson. Je sais ce que c’est et je dédicace cette chanson à toutes les personnes à qui on a fait croire qu’on était des bons à rien. Tout ce qu’on a pu me dire s’est tellement ancré dans ma tête, j’ai vraiment cru que j’étais bonne à rien et encore aujourd’hui, je le paie. Je dois encore travailler sur la confiance en soi. Cette chanson se passe à l’école, et je sais que cela se poursuit pour des adultes qui sont rabaissés par la famille, des amis, des collègues… Tous ces gens qu’on appelle "losers", je leur dis : "Ne vous inquiétez pas, on est ensemble !" [Rires]
J’ai lu votre Bio Insta : "Artiste dyslexique en ruote vesr la gliore". Comment réussissez-vous à vous surpasser dans l’écriture ?
Le mot "gliore" me fait rire, je trouve drôle d’écrire ça. Pour être honnête, je ne pense jamais à la dyslexie. Je ne le vis pas comme étant un poids, j’en rigole plus aujourd’hui. On peut passer au-dessus de ça. Il ne faut pas que ça devienne seulement ce qui te caractérise. Être dyslexique ne veut pas dire qu’on ne sait pas écrire, c’est le fait de confondre des lettres. On peut avancer et se surpasser. C’est ma façon de me moquer de moi-même et de se détendre, disons ! [Rires]
En parlant de dépassement de soi, vous avez fait la première partie de Lana Del Rey à Rock en Seine, l’été dernier. Qu’avez-vous ressenti lorsqu’on vous l’a annoncé ?
Je me suis dit : "Ah ouais ?" [Rires] Mon cerveau a été intelligent et il n’a pas trop voulu réfléchir. C’est le jour-même où je me suis dit : "Personne ne me connaît et je vais monter sur scène !" [Rires] Ça s’est super bien passé et j’étais plus que surprise par le public incroyable. Il m’a donné beaucoup de force et m’a applaudi dès que je suis rentrée sur scène. Ça m’a donné confiance et c’est passé hyper vite. C’était juste génial !
"J’aime bien les Nineties, l’univers de Courtney Love, toute la période rock de cette époque avec Radiohead, Nirvana… Ça s’est infusé dans mon esprit et jusqu’à mes vêtements."
Vous avez eu l’impression qu’il y a eu un avant et un après ce concert ?
Oui, j’ai vu que beaucoup de gens sont venus me suivre, et étaient intéressés par ce que je faisais. J’ai reçu beaucoup de messages pour le titre "Jalousie" et c’est aussi pour cela que je l’ai sorti quelques mois après. Je ne m’attendais pas à tout cela et c’était assez surprenant, je dirais.
Est-ce la revanche d’une "loseuse" ?!
[Rires] Oui vraiment ! Après La revanche d’une blonde, La revanche d’une loseuse, c’est bien dit !
Vous avez un style vestimentaire très affirmé. Quelles sont vos inspirations ?
J’aime bien les Nineties, l’univers de Courtney Love, toute la période rock de cette époque avec Radiohead, Nirvana… Ça s’est infusé dans mon esprit et jusqu’à mes vêtements. J’ai envie d’incarner cela version 2024. Il y a aussi le manga Nana avec un des personnages qui a ce style très rock, elle s’habille souvent avec la marque très British Vivienne Westwood. Mais bon, je n’ai pas le porte-monnaie pour du Vivienne Westwood ! Peut-être un jour ! [Rires]
Que faut-il esquiver dans la musique ?
Il faut un peu esquiver les réseaux. Être présent mais pas non plus que ça devienne une activité principale, ne pas oublier que tu fais avant tout de la musique.
Où peut-on vous retrouver prochainement ?
Le 22 novembre, je serai à Dunkerque et le 6 décembre, à Sannois et d’autres dates, il me semble ! Je tourne pas mal en Belgique et j’espère aller partout en France aussi !