MUSIQUE

Chien Noir : "On a du mal à parler d’amour."

Publié le

23 décembre 2022

Regard assumé et brillant d’intérêt, Jean Grillet, dit Chien noir, n'a pas peur d'affirmer que l'amour n'a rien de risible. Auteur, compositeur et interprète, l'artiste bordelais nommé cette année aux Victoires de la musique revient sur son parcours artistique et personnel, indissociable d'un univers musical délicat, rempli d'humanité et de poésie. Avant d'achever son deuxième album et de faire résonner sa prose lumineuse au Café de la Danse (Paris XIe) le 15 mars 2023, Chien noir partage ses messages d'espoir et ses conseils pour garder une âme d'enfant. Rencontre avec "Un homme heureux".

Chien Noir

Qui est Chien noir ?

Je suis un musicien qui écrit des chansons. Je dirais presque que je fais de la poésie avant de faire des chansons. C’est vous dire l’importance que le texte a pour moi. Je fais une musique qui est proche de ce que j’aime. Le sens que je mets aux choses, je le place avant tout dans le texte, puis dans la musique, en me basant uniquement autour du "je". C’est-à-dire que tout est composé et écrit, il n’y a jamais du "tout-fait", comme une boucle par exemple.

L’enfance est une période de votre vie qui vous est chère. Que représente-elle à vos yeux ?

C’est marrant que vous me posiez cette question, parce que je me la pose énormément en ce moment ! Mais en réalité, je me la pose à l’envers : C'est quoi être un adulte ? Ce n'est pas une question évidente. Déjà, il est facile d’idéaliser son enfance avec nostalgie, le fameux "C’était mieux avant !" C'est dangereux de dire cela car ça n’a jamais été vrai. Simplement l’enfance est quelque chose que je recherche et protège dans ce qu’elle m’apporte de naïveté. Mais ce n’est pas un gros mot d’être naïf. Au contraire, ça te permet de garder un regard toujours neuf. En ayant les yeux de quelqu’un d’abîmé ou frustré, on en vient à faire du mal aux autres.

"Être adulte, c’est comprendre et faire la part des choses entre ce qu’on attendait que tu deviennes et ce que tu es vraiment."

C’est quoi devenir adulte ? Et quand le devient-on ?

Honnêtement je ne sais pas. C’est trop dans mes questionnements du moment. Je finis d’écrire mon album qui parle clairement de ça. Je suis trop dans cette démarche pour avoir une réponse encore claire. Mais j’ai l’impression qu’être un adulte, c’est comprendre ce que les autres ont voulu de toi enfant. C’est faire la part des choses entre ce qu’on attendait que tu deviennes et ce que tu es vraiment.

Vous avez fait partie du groupe A call at Nausicaa. Dans le film de Hayao Miyazaki, Nausicaa tente de redonner du sens à l’humanité en déclin par son amour inépuisable pour la vie. Pourquoi chantez-vous l’amour dans vos chansons ?

Parce que je pense que nos façons d’aimer parle de nos visions du monde, de ce qu’on en attend aussi (du monde). Et je me suis construit en aimant. C’est parce que je suis tombé amoureux que j’ai appris des choses sur moi et ce que j’attendais de la vie mais aussi sur le monde et les autres qui m’entourent.

Quel est votre premier amour musical ?

Je me souviens que j’avais 5 ans, et j’ai vu un clip de Prince. En vérité, quand j’y pense, c’est assez chaud de diffuser ça à 17h. Mais je me rappelle que j’avais halluciné, par le groove, sur la musique et l’image !

Vous avez écrit que les "histoires vraies, elles parlent toutes de liberté". C’est quoi la liberté selon vous ?

C’est lié à ce que je disais quand on évoquait l’enfance. A ce moment, on attend des choses de toi. En fait, ces "Histoires Vraies", ce sont ces histoires qui sont parfois douloureuses et violentes mais aussi hyper banales. Et ce sont ces histoires qu’on a tendance à taire parce qu’elles touchent à la famille. Elles parlent de liberté, parce qu’elles parlent de liberté de faire du mal mais surtout de sortir de cette histoire, de prendre sa liberté. Cette chanson, c’est un moment charnière dans ma vie. Écrire ce titre m’a sauvé. Parce que j’ai compris, tout d’un coup, que ma vie a du sens et que je suis libre autant que les personnes qui m’ont fait du mal.

"Dans ma peau, il y a toute la vie, tous ceux que j’ai aimé", c’est ce que vous dites dans le titre "Dans ma peau". Qu’y a-t-il de bon pour vous dans les traces que les autres nous laissent ?

Souvent, on garde des choses toutes simples des autres. Par exemple, je ne sais pas comment rire. Et un jour j’ai entendu le rire d’un ami, et j’ai pris ce rire parce qu’il m’a parlé, il a fait sens. Ce qui est génial, c’est prendre les choses les plus simples des autres pour devenir riche du monde. Et ça te conduit jusqu’à l’amour, où tu as envie de devenir l’autre. Pour en sortir riche, de tous ceux t’ont aimé et que tu as aimé.

"Sans ‘Au DD’ de PNL je n’aurais jamais écrit ‘Lumière bleue’. Ce que j’essaie toujours de faire, c’est d’avancer, continuer à aller vers la modernité et le renouveau. Je pense que le plus important reste le texte et la mélodie. Les styles catégorisent trop les choses."

J’aimerais vous parler de Cocoon car vous avez travaillé avec un de ses membres, Mark Daumail. Pouvez-vous nous raconter ce moment ?

C’était au tout début de l’idée de Chien noir. J’avais écrit deux chansons, c’était un peu pété. J’ai demandé à un journaliste musique avec qui on s’entendait très bien un retour sur ces musiques. Il ne me l’avait pas dit mais il avait envoyé mes morceaux à la femme de Mark qui a adoré. Ensuite, elle m’a contacté pour me proposer de la rencontrer. C’est parti de là. C’était très enrichissant de travailler avec lui : j’ai vraiment appris l’importance de l’exigence d’une musique. Avec lui, j'ai compris ce qu’était vraiment une chanson. Avant, je marchais au feeling, alors qu'une chanson c’est une broderie très très fine.

Mark m’a évoqué votre travail ensemble. C’est une période qu’il a beaucoup aimé. Notamment parce qu’il créait avec vous des chansons en français. C’était évident pour vous d’écrire en français ?

Oui ça l’a été. Quand tu chantes en anglais on n’écoute pas ce que tu dis parce que tu n’es pas compris. De plus, quand tu chantes en français tu ouvres plus de portes. En France, la musique est un milieu avec un marché très étrange. Il y a cette histoire de quotas. Donc si tu veux te nicher dans les 20%, tu dois faire face à des Rihanna, Adèle, Justin Timberlake. Il faut réussir à rivaliser avec ces gens-là. Qui plus est, ce n’est pas ma culture l’anglais. Mes racines c’est Stéphane Eicher, William Sheller également. Donc il était évident que ma musique serait en français.

Chien Noir

Votre inspiration se situe principalement dans la folk intimiste. Mais votre dernier EP, "Beau", emprunte des sons hip-hop voire trap. Le hip-hop peut-il être folk et inversement ?

Je pense que oui. Vous voyez, par exemple, sans "Au DD" de PNL je n’aurais jamais écrit "Lumière bleue". Ce que j’essaie toujours de faire, c’est d’avancer, continuer à aller vers la modernité et le renouveau. Je pense que le plus important reste le texte et la mélodie. Les styles catégorisent trop les choses.

J’aimerais revenir davantage sur votre musique et un aspect très particulier qu’on peut y entendre, c’est son évidence. On a la certitude qu’elle est toujours juste et que c’est exactement ce dont on a besoin. Pourquoi a-t-on ce sentiment d’après vous ?

En fait oui ! J’ai commencé le piano à 6 ans avec ma mère. C'est immédiatement devenu un moyen de m’exprimer. Mais il y a un autre aspect important : le travail de la musique est très proche de la méditation. Tu travailles sur l’apprentissage des gestes et de la technique. Tu dois être concentré sur tes muscles, ta mémoire, ton cerveau et être silencieux. Quand j’étais au conservatoire je travaillais ma guitare 8h par jour et j’ai adoré parce que je ne pensais plus à rien. C’est comme quand je joue aux jeux vidéo. Si tu y joues, tu sais, quand tu fais des grosses sessions et tout le long que tu es uniquement dédié au jeu, et finalement c’est ça qui te permet de te recentrer et de revenir à toi.

Après avoir présenté Chien noir, peut-on savoir qui est Jean ?

Bonne question ! Je ne sais pas comment y répondre. Je ne me sens pas revanchard, j’apprécie les cadeaux que la vie me fait. Pour autant, je suis très en colère du monde dans lequel on vit. C’est sans doute pour ça que je parle d’amour dans mes chansons. Je voudrais que les gens se demandent, et trouvent des solutions pour s’aimer plutôt que se battre. J’aime énormément la vie, et je suis tout autant en colère de voir ce qu’e l'on en fait.

"On a du mal à parler d’amour."

Vous citez souvent Sufjan Stevens comme inspiration musicale, et notamment Carrie and Lowell qu’il a composé après le décès de sa mère en 2012. Que représente cet album pour vous ?

Déjà, c’est une période de ma vie qui n’a pas été évidente. Une période durant laquelle j’étais dans une quête de sens. Du coup, il est très important pour moi. C’était comme une main sur l’épaule qui me disait "ça va aller". Mais surtout, c’est un album qui m’a fait comprendre qu’on pouvait sans aucun problème parler d’intimité : de sa famille, de sa mère, son père. Cet album a été fondateur pour ma musique et pour moi !

L’écrivain Milan Kundera a dit que ce qui manque à la personnalité humaine c’est l’intimité. Or, votre musique est d’une grande intimité…

Déjà vous me plaisez beaucoup à parler de Mila Kundera. Pour moi, c’est un très grand philosophe. Il est difficile hors contexte de savoir de quoi il parle exactement. Mais je pense spontanément que l’intimité est là de base, elle est inhérente à l’Homme. Cependant, ce qui est sûr c’est qu’on a du mal à être intime. Par exemple, on a du mal à parler d’amour. Permettre aux gens qui m’écoutent de mettre des mots sur leur intimité, c’est le but de ma musique.

C’est quoi la musique selon vous ?

C’est une bonne question. J’ai une vraie passion pour la musique traditionnelle. Par exemple, la musique malgache, le maloya ou la country. Dans toutes cette musique, il y a une gamme commune qui s’appelle la "Pentatonique". Elle se base sur 5 notes, d’où son nom, que tu trouves partout. Et en fait, cette gamme c’est la voix du monde, c’est la voix des hommes. Si je devais définir, pour moi la musique, c’est la pentatonique.

Chien Noir sera en concert au Café de la Danse (Paris XIe) le 15 mars 2023.

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