INTERVIEW
Publié le
29 juillet 2021
À l’origine du lancement de la version française du magazine Vanity Fair, co-fondateur du label de ski Black Crows, professeur à l’école de Penninghen et propriétaire du café grec Yorgaki, le designer aux compétences protéiformes, Yorgo Tloupas, s’est donné pour mission de soigner, voire de "réparer", l’identité visuelle des labels qui font appel aux services de son Studio Yorgo&Co. Loin de se revendiquer "gourou du logo", le directeur artistique qui excelle dans l’art du logotype et de la typographie délivre ses expertises quasi mathématiques et pédagogiques pour redorer le blason de grandes maisons. La nouvelle formule des Inrocks fraîchement signée, celui qui fuit les tendances depuis ses débuts porte une vision hybride de son travail, alliant les aptitudes d’un médecin et le savoir-faire d’un archéologue. Rencontre.
C’est dans le quartier branché du 10e arrondissement de Paris que la devanture noire du Studio multidisciplinaire Yorgo&Co., fondé en 2011, se fond dans le décor. Ce matin-là, Yorgo Tloupas travaille dans l’open space avec son équipe, composée d’une dizaine de personnes, avant de nous présenter les lieux. Atmosphère minimaliste et épurée, meubles USM, skis Black Crows, objets Ricard, tirages Loro Piana, chemin de fer des Inrocks et œuvres du galeriste Kamel Mennour, entre autres, habillent les bureaux créatifs. Le designer, "né dans l’art", du sculpteur grec Philolaos Tloupas et d’une mère prof de dessin, a tenu à réaliser lui-même l’aménagement du lieu. Éloquent et vif, il aborde les étapes de son parcours et ses convictions les plus tranchées.
Designer, Art Director et professeur, entre autres… Si vous deviez vous présenter en quelques mots…
A chaque fois que j’arrive aux douanes américaines, quand ils me demandent : "What’s your job ?", je réponds : "Designer". Premièrement, c’est plus court, et deuxièmement, ça permet au grand public de comprendre ce qu’on fait, c’est-à-dire la forme des choses. Au final, mon rôle c’est de m’occuper de l’enveloppe de ce qui nous entoure, que ce soit des objets, des magazines, des logos ou des skis. Je ne suis pas "Product Designer" techniquement car c’est un peu ce à quoi on associe ce mot mais ça peut m’arriver de faire des tables et des meubles. Et c’est aussi notre rôle de s’occuper de toute cette superficie superficielle, disons, qui est primordiale. Ça peut paraître peu important dans le grand schéma des choses mais, en l’occurrence, nous sommes entourés d’objets et il y a une part de responsabilité pour que ce rapport aux objets soit agréable.
Nous sommes ici dans le Studio Yorgo&Co. que vous avez fondé en 2011. Parler de "Studio" et non d’une "agence" vous permet d’imposer votre savoir-faire, votre vision et votre indépendance face à vos clients ?
C’est un peu du snobisme et du mépris pour les agences de pub que j’assume pleinement [Rires]. C’est une différence de fonctionnement en fait. Une agence, c’est une sorte d’usine qu’il faut alimenter pour qu’elle tourne. Pour ça, il faut parfois faire des compromis et accepter des choses qui sont rémunératrices mais peu satisfaisantes et nous, on fait l’inverse. C’est-à-dire qu’on prend des choses pas rémunératrices mais très satisfaisantes. Je ne crois pas avoir déjà fait un boulot alimentaire. A l’époque je partageais mes bureaux avec H5, un autre studio de design, et la seule chose alimentaire qu’ils ont eu pendant longtemps, c’était le Salon du funéraire et c’était vraiment alimentaire car tu ne pouvais pas en parler ! [Rires] Ils géraient quand même Dior etc… Et au bout de quelques années, la décision a été prise d’arrêter. Moi, je n’ai pas de Salon du funéraire caché ou des squelettes dans le placard. Nous faisons que des trucs qui nous plaisent et dont nous sommes fiers. Il y a aussi une question de taille. Au-delà de 20 personnes, je ne pourrai plus considérer la structure comme ce qu’elle est maintenant. Aujourd’hui, il n’y a pas un truc qui sort d’ici sans que ce soit moi qui n’y ai mis la dernière touche quasiment. Je surveille tout, je crée tous les logos personnellement et tout ce qui sort est validé avec mes équipes, ce que je ne pense pas que tu puisses faire dans une grosse agence.
Vous avez étudié à l’école de direction artistique et d’architecture d’intérieure, Penninghen, où vous enseignez d’ailleurs. Mais il me semble que vous aviez pensé au journalisme auparavant ?
Oui, je ne sais pas pourquoi. Peut-être pour me différencier de mon héritage familial où ma mère était prof de dessin et mon père sculpteur… Potentiellement, maintenant que j’y pense, c’est peut-être à cause de mon obsession des magazines de skate et de surf dans ma jeunesse, qui m’a poussée vers ça. J’ai grandi avec ces magazines qui m’ont aussi appris l’anglais. L’ambition de journaliste n’a pas duré longtemps mais au final, ça se retrouve dans mon métier d’aujourd’hui. J’ai lancé plusieurs magazines et je travaille toujours dans la presse. Ça m’intéresse beaucoup, je suis passionné. Je suis encore un dinosaure qui achète des journaux et le matin j’ai l’habitude de lire mon New York Times en papier.
"Le logotype et la typographie sont les formes d’arts appliqués les plus présentes."
Certains relèvent un "style suisse très structuré" pour parler de votre travail. Comment définiriez-vous votre empreinte visuelle ?
Justement, j’essaie qu’elle ne soit pas trop stylisée. Quand j’ai fait Crash Magazine en 1998, si tu regardais Technikart et les autres magazines français de l’époque, on était sur un graphisme hyper destructuré avec des fioritures et une sorte de langage qui explorait les possibilités données par l’ordinateur, qui venait de rentrer depuis quelques années dans notre métier, et moi je suis parti sur un style très suisse à l’époque et c’est ce que je fais toujours. C’est ce que tout le monde fait aujourd’hui… Je n’ai pas de style particulier. Mon style, c’est de répondre le plus efficacement possible, j’espère, aux demandes des clients. C’est de rendre les gens contents de leur identité et que ça fonctionne.
Quelles sont vos principales inspirations ?
Je n’ai pas d’inspiration spéciale. J’évite de regarder ce que font les autres et je déconseille très fortement à mes élèves, par exemple, quand ils font des présentations, de montrer le travail d’autres graphistes. S’ils me montrent des références, je leur dis : "Vos références ne peuvent être qu’issues de la nature, de l’art ou de l’histoire." Montrer le travail d’un autre graphiste, c’est une forme de flemmardise et c’est très risqué pour les élèves.
"Tu ne peux pas passer une journée sans voir un logo à moins d’être naturiste sur une île."
Mais une inspiration, ça peut être une époque…
J’avais écrit la préface d’un bouquin pour des amis graphistes et qui parlait justement d’inspiration. Ils expliquaient que l’inspiration pouvait venir d’un nombre infini de sources. L’inspiration peut aussi être contre-intuitive d’une certaine manière mais moi j’évite de me référer à trop de choses. On pourrait dire qu’il y a pas mal de trucs Op Art dans mon travail si je devais résumer mais je ne veux pas être réduit à ça. J’utilise souvent des lignes, j’aime beaucoup les lignes mais je ne fais pas que ça, loin de là.
Les motifs répétitifs reviennent dans vos travaux avec Dyptique ou encore le logo du label de ski Black Crows. C’est une constante dans le graphisme ?
C’était une demande de Dyptique car ils ont un peu identifié ce paramètre dans mon travail. Il n’y a pas que ça, quand je fais une campagne de pub pour Loro Piana, il n’y a ni motif, ni modernisme suisse. Oui j’aime bien les motifs, d’ailleurs j’avais fait un petit film pour Dyptique où j’expliquais l’histoire du motif. On peut essayer de se concentrer sur le motif qui est en soit une des premières formes de graphismes. C’est-à-dire quelque chose de décoratif, non fonctionnel et antique. Il y a des vases égyptiens qui ne sont pas couverts de hiéroglyphes, qui eux ont une fonctionnalité de communication, mais juste de motifs. Et ça, c’est techniquement la première forme de graphisme au sens un peu limité du terme. "Graphiste", c’est un peu ça aussi, c’est quelqu’un "qui décore" [Rires]. C’est un peu triste à dire. Le motif m’intéresse beaucoup dans toutes ses formes, dans toutes les époques. Je n’en fais pas tout le temps mais il m’arrive d’envisager, quand je fais un logo ou une entité, comment on pourrait tirer un motif de ce que j’ai fait.
"Quand je travaille pour une marque ou un magazine, mon rôle est proche de celui d’un archéologue."
Certains grands titres vous définissent comme un "gourou du logo" ou comme "le directeur artistique le plus mondain", ça vous parle tout ça ?
[Rires] Il y a deux choses ! "Mondain" déjà, c’est juste que je suis curieux et que j’aime sortir voir des choses. Je suis curieux, je travaille beaucoup la journée et le week-end je fais du sport. Quand est-ce que je vais voir les expos ? Lors des vernissages. Je n’ai pas d’autres choix en fait. En l’occurrence, je rencontre des gens car je suis aussi curieux humainement. Donc, en effet, je sors depuis longtemps et je rencontre du monde et de fil en aiguille, ça ramène des travaux mais ce n’est pas non plus une stratégie pré élaborée ou quoique ce soit.
Et "gourou du logo", gourou que dalle ! Mais par contre passionné par le logo, oui. Je suis très intéressé par le symbole, je ne sais pas dire pourquoi. Je pourrais, psychanalytiquement, dire que mon père signait ses œuvres avec une lettre grecque qui est le "Phi" (Φ). Il avait un poinçon en métal et il tapait dans ses sculptures en acier inoxydable le "Phi". Cela pourrait être la source primaire de cette passion. En soit, c’est un sujet hyper intéressant. Dès qu’on se penche dessus, on se rend compte de l’importance du logotype et de son omniprésence. C’est la forme d’arts appliqués la plus présente. Il n’y a pas plus présente sauf la typographie. Mais les autres Arts avec un grand "A" comme l’architecture, le théâtre, le cinéma, la musique sont beaucoup moins présents que le logo. Tu peux passer une journée sans même entendre de musique si tu te débrouilles bien. Tu ne peux pas passer une journée sans voir un logo à moins d’être naturiste sur une île. Mais littéralement ! Tu as le logo de ta chemise, le logo de tes semelles, de ton jean, de ton sac, de ton téléphone, de toutes les applis de ton téléphone et tu en vois des centaines et des centaines dans la journée parce que je considère que les pictogrammes et les signaux indicatifs sont des logos. Le symbole "handicapé" sur une place de parking, c’est un logo. Le symbole "Europe" sur une plaque d’immatriculation, c’est un logo avec les étoiles. Donc ça me passionne car c’est hyper intéressant et délaissé car il y a très peu de critiques et d’intérêt pour ce sujet.
"Je ne souhaite pas transformer chaque client à mon image, je veux leur trouver la meilleure solution possible."
Quel est votre processus créatif lorsque vous conceptualisez une typographie ? Comment vous avez trouvé celle de Vanity Fair France, baptisée "La Vanité", par exemple ?
Évidemment, lorsque j’ai un sujet comme ça, la première chose que je fais, c’est d’aller fouiller les archives de la marque ou du magazine sur lequel je travaille. Et il y a toujours quelque chose à trouver. C’est hyper intéressant, il y a une partie de mon travail qui est proche de celui d’archéologue. Pour le coup, ta première responsabilité est d’aller voir ce qui a été fait avant. Quand on te confie une marque ancienne, tu dois savoir ce qui est utilisable, ce qui est inaltérable, ce que je dois respecter, ce que je peux m’autoriser à changer, ce que je peux faire revenir… Typiquement "La Vanité", la typographie de Vanity Fair France, que j’ai créée avec le typographe Jean-Baptiste Levée, vient d’une couverture de Vanity Fair US de 1917. Après ce n’était pas exclusif à Vanity Fair de l’époque, c’était un style Art déco très présent dans ces années-là mais à partir de cela, on a redessiné des lettres, on a créé tout un système et on l’a modernisé pour que ce soit complètement rétro.
"Avec la version papier, le journal fait un choix. Il y a un besoin mental pour les gens, le feuilletage d’un journal s’arrête à la dernière page, le feuilletage de TikTok ne s’arrête jamais. Le papier donne un cadre et je crois en son avenir ne serait-ce que pour ça."
Et quand vous modernisez une typographie comme celle des Inrocks ?
Les Inrocks, c’est plutôt au niveau de l’esprit du magazine. C’est-à-dire l’esprit rock, culture, cinéma, musique, danse etc… en essayant de synthétiser, on tombe souvent sur des typographies "machine à écrire", ce qu’on appelle des "Slab Serif" en anglais. Dans des pochettes d’albums de John Lennon, des affiches du film "Fahrenheit 451" ou même un scénario de film est écrit à la machine à écrire traditionnellement donc je leur ai montré ça en disant que c’était un peu l’essence de la culture du XX-XXIe siècle. A partir de ça, on a dessiné une typo "Slab Serif" mais qui n’est pas spécialement rétro car elle a pleins de variantes de chasse ou de graisse. J’ai livré cette typographie avec Martin, mon typographe, et même si cette typographie ne vient pas des archives des Inrocks, elle vient de l’esprit et de la culture à laquelle ils s’intéressent.
D’ailleurs, vous croyez vraiment en l’avenir du format Print des magazines ?
Je suis optimiste et j’y crois toujours. Ça fait 25 ans que je travaille dans la presse et qu’on me dit chaque année : "Print is dead" et ça existe toujours. Évidemment la presque quotidienne régionale en France, en Angleterre et aux États-Unis est en déclin mais il en restera j’espère toujours. Le problème du digital, c’est la synthèse et le choix. Même sur le site du New York Times, que je consulte quotidiennement, la quantité d’informations disponibles est immense. Avec la version Print, le journal fait un choix, le papier te réduit à quelque chose face à l’immensité d’internet. Il y a aussi un besoin mental pour les gens, le feuilletage d’un journal s’arrête à la dernière page, le feuilletage de TikTok ne s’arrête jamais. Tu peux passer ta journée sur Insta ou TikTok à scroller sans fin. Le papier donne un cadre et j’y crois ne serait-ce que pour ça.
"L’efficacité d’un logo est quasiment mathématique."
Comment modernise-t-on un logo ? Toucher à l’identité visuelle d’une maison, c’est toujours un peu risqué, non ?
Oui c’est comme le relooking de quelqu’un, c’est délicat. La situation la plus difficile, c’est quand une famille possède une marque ancienne et qu’il faut la revoir. C’est difficile mais tout est une question de curseur, à savoir si tu veux le placer entre évolution ou révolution. Il faut aussi être réaliste. Je ne souhaite pas transformer chaque client à mon image, je veux leur trouver la meilleure solution possible, que ce soit une marque d’alcool, de vélo ou un magazine. D’autres designers et graphistes mettent leurs pattes donc tu vois qu’ils sont passés par là.
Quand sait-on qu’un logo sera efficace ?
L’efficacité d’un logo est quasiment mathématique. J’ai défini une liste de 8 règles qui, si elles sont suivies, font que le logo est commercialement efficace. Il n’y aucune subjectivité là-dedans. Je ne vais pas les énumérer car c’est ma petite recette mais si tu les suis, tu sais que le logo marchera car il coûtera moins cher à produire, il marchera à toutes les échelles, il aura une possibilité d’être décliné de manière plus large etc… Je ne suis pas le seul à avoir mis des règles de logo, beaucoup de gens dans le passé ont énuméré des règles mais il y aussi l’expérience, l’usage qui fait que je m’aperçois de ce qui fonctionne et je me suis déjà retrouvé avec des logos qui manquaient d’efficacité dans certaines catégories.
"J’essaie d’esquiver les tendances. Il n’y a rien de pire qu’être à la mode dans le design."
Qu’est-ce que vous esquivez lorsque vous créez ?
J’essaie d’esquiver les tendances. Il n’y a rien de pire qu’être à la mode dans le design. J’ai vécu des modes dans le graphisme que je n’ai jamais suivies. Fin des années 1990, c’était la mode du graphisme un peu déstructuré. Le graphiste David Carson avait créé le magazine Ray Gun qui avait beaucoup influencé le monde. Après, il y a eu d’autres époques de design un peu maniéré et en ce moment il y a une grosse mode de la 3D et de la forme un peu Death Metal dans les lettres. Et je ne vais pas la suivre car je sais que c’est estampillé "Premier semestre 2020".
Si vous deviez donner des conseils à un jeune designer ?
J’en donne souvent comme je suis prof. Le conseil que je donne souvent, c’est d’aller travailler dans le domaine qui leur plait, pas d'aller bosser dans une grosse boîte de pub qui travaille pour les compagnies d’assurances sauf si tu es passionné d’assurances [Rires] ! Je suis prof aussi à l’Institut Français de la Mode (IFM) et il y a une géorgienne qui a un style très gothique et elle bosse pour des marques de fringues qui font des bijoux pointus, noirs et qui tournent la nuit dans des cathédrales du XIIIe siècle ! Elle va vers ce qu’elle aime et tant mieux et ça va marcher. Moi je suis allé vers ce que j’aime dès le début. Mon premier job, c’était faire un logo et une gamme de snowboards pour Rossignol qui était mon sponsor de snowboard à l’époque quand je faisais de la compét’. C’était ma passion et ça m’a amené d’autres boulots, je n’ai pas bossé toute ma vie dans le skate et le snow, même très peu en fait. Mais au final, aller vers ce que tu aimes, ça te pousse vers d’autres choses. Pour tous les gens qui le font, ça marche.
Dans une interview pour Galerie Incognito, vous déploriez le fait que les marques demandent "des noms" pour réaliser leur campagne. Vous pensez qu’elles font fausse route ?
Ça a complètement changé depuis. Quand tu ouvres un Vogue UK, il y a des nouveaux noms. En l’occurrence, les marques vont essayer de se rassurer avec les grands noms mais c’est vraiment en train de changer.
Et pourquoi ?
Parce que Instagram… Instagram a donné de la visibilité à beaucoup d’autres gens et la jauge de reconnaissance n’est plus "où tu es publié". Avant le tampon, c’était une parution dans Vogue ou W Magazine, maintenant le tampon, c’est le nombre de followers. Beaucoup de marques regardent le nombre de followers pour bosser avec quelqu’un. Je ne dis pas que c’est mieux parce que parfois c’est complètement faussé mais ça ouvre beaucoup de portes. Évidemment, il y a toujours les mastodontes mais qui sont venus comme ça : les Kim Kardashian etc… Ils ont beaucoup de followers mais ils l’ont eu de façon inhabituelle par rapport au parcours établi depuis des décennies.
Il y a deux ans, vous avez ouvert le café Yorgaki, dit "le premier café grec de la capitale". Pourquoi se lancer dans cette nouvelle aventure ?
"Yorgaki" c’est mon surnom en grec. En grec, le diminutif rallonge. C’est comme ça que mes parents m’appelaient et ça sonnait bien. Je voulais le faire depuis longtemps et je suis passé en vélo rue des Martyrs, j’ai pris une photo de la façade, je l’ai envoyée à mon associée Emmanuelle et je lui ai dit : "C’est combien le loyer ?". Et donc voilà. [Rires] Je résume six mois, même deux ans de galère avec "Donc voilà !". J’avais aussi envie de faire un autre métier, de donner directement aux gens, c’est hyper plaisant, ça fait découvrir les spécialités grecques. C’est aussi un luxe de me lancer là-dedans car ma société me le permet.
"Une fois de plus mon métier n’est pas de dessiner des logos mais d’éduquer les gens à comprendre pourquoi il faut qu’ils acceptent le logo que je leur propose."
Vous vous déplacez beaucoup à vélo. Comment peut-on créer un magazine comme Intersection, très axé sur l’automobile, et se déplacer à vélo ? C’est un sacré virage !
Intersection, c’est un magazine sur la mobilité, pas que sur les voitures, même si à la base c’était les voitures. J’adore conduire, j’ai trois voitures mais la voiture, c’est pour un type de déplacement et le vélo pour un autre. Philippe Starck m’avait dit une fois qu’il avait pour chaque distance un moyen de transport. Pour 0 à 100 mètres, c’était les pieds, pour 100m à 500m, c’était la trottinette, pour 500m à 5km, c’était le vélo, pour 5km à 20km, c’était la moto, ensuite la voiture, ensuite le train et l’avion. J’aime bien l’efficacité, je suis très impatient donc je suis impatient d’aller d’un endroit à un autre. Quand je suis à pied, ça me rend maboul ! Je ne peux pas être à pied, je ne marche jamais en fait !
Aujourd’hui, les logos qu’on voit le plus au quotidien, c’est ceux des réseaux sociaux. Que pensez-vous de celui d’Instagram ?
Avant, c’était une sorte d’image d’un appareil photo qu’ils ont logotypé d’une manière plutôt exemplaire. Après, il n’est pas fou, je préfère celui d’Airbnb qui est très réussi pour le coup. Et ce qui est intéressant, c’est que lorsque Airbnb a voulu refaire son logo, il y a eu une sorte d’esclandre pour conserver l’ancien pourtant il était monstrueux. C’est aussi une vraie leçon de mon métier. Le désavantage de la prise de parole qu’ont donné les réseaux sociaux à la population au sens large, c’est qu’ils s’expriment sur des sujets qu’ils ne connaissent pas forcément. Et ils sont très bruyants alors que je défie quiconque aujourd’hui de dire que c’était mieux avant. C’est pour cela que c’est un art omniprésent mais une culture très peu développée. Qui va faire autorité ?
Il n’y a pas de police du logo ?!
Il n’y a pas de police du logo mais il y a un peu la police de la mode ! Il n’existe pas de Festival de Cannes du logo par exemple !
"Ce qui m’intéresse, c’est les trucs qui sont réparables. Je suis un médecin. Il y a des marques où il n’y a rien à toucher comme Celine, Yves Saint Laurent… Par contre, Free, SFR ou Veolia, oui ça m’intéresserait."
Il y a quelques années, votre "rêve" était de modifier l’identité visuelle de la police française ? C’est-à-dire ?
J’aurais aimé mais ils l’ont fait récemment de manière catastrophique. J’ai un problème qu’on vit tous, mais que peut-être je vis de manière plus accentuée, c’est que mon quotidien est une agression pour mon bien-être de par la piètre qualité du design qui m’entoure. C’était moche avant et c’est moche aujourd’hui. La police municipale a refait son identité récemment et c’est catastrophique. Ils ont fait une vidéo mais ce n’est pas efficace.
Vous seriez parti sur quoi alors ?
J’aurais réfléchi, j’ai une connaissance assez accrue des identités visuelles de service d’état dans le monde sur les véhicules, que ce soit les polices, les garde-côtes, les pompiers, les postes. J’ai déjà fait ce qu’on appelle un benchmark dessus, j’ai des centaines de photos de flics péruviens et des garde-côtes grecs. Une fois de plus mon métier n’est pas de dessiner des logos mais d’éduquer les gens à comprendre pourquoi il faut qu’ils acceptent le logo que je leur propose. C’est que de la pédagogie. Pour vendre un logo à une marque, c’est 300 pages de présentation (analyse du brief, rappel du logo d’avant…). Quand j’ai refait les logos des multinationales Martell et Ricard, pour chacune, j’ai dû faire un film de 45 secondes pour montrer au dirigeant de la boîte pourquoi il fallait changer de logo et pourquoi le nouveau logo était bien et ça a marché. C’est juste pour moi, pour Yorgaki, que j’ai fait un logo et c’était ça.
En ce moment, vous êtes sur des gros projets ou vous souhaitez modifier l’identité visuelle d’un label en particulier ?
Je suis sur des gros projets mais je ne peux pas spécialement en parler. Mon principal projet, c’est que j’écris un bouquin sur tout ce dont je viens de parler. Je suis en négociation avec plusieurs maisons d’édition sur l’histoire du logotype depuis l’Antiquité. Je commence avec cette période, puis je poursuis avec la Mésopotamie, l’Égypte antique, la Grèce, Rome, le Moyen Age et aujourd’hui. J’explique comment les logos sont nés avant l’écriture car c’était des symboles. Avant de pouvoir écrire le mot "forêt" ou "bœuf" ou "montagne", il fallait bien le symboliser. Le symbole cunéiforme mésopotamien de la montagne, c’est une montagne qui ressemble au symbole de Black Crows par exemple. J’explique que le symbole vient de là, qu’il s’agissait de symbole indicatif. Dès l’Égypte antique, il y a eu des symboles collectifs avec le marquage de vaches. Le "branding", c’est le marquage. La marque, aujourd’hui vient de ça, du troupeau. Ce sont les premiers logos, c’est la marque du troupeau. Ce livre va donner lieu à une exposition qui est en préparation au Musée des Arts Déco. Les deux sont en cours à cause du covid. Ce sont deux projets différents.
Là j’ai un nouveau projet qui est mon train de nuit, je me suis associé avec des jeunes startuppeurs, c’est génial comme aventure. J’aimerais bien faire une compagnie automobile, aérienne. Je préfèrerai refaire la marque Free, j’en avais parlé avec Xavier Niel, que Celine. Ce qui m’intéresse, c’est les trucs qui sont réparables. Je suis un médecin. Il y a des marques où il n’y a rien à toucher comme Celine, Yves Saint Laurent… Par contre, Free, SFR ou Veolia, oui ça m’intéresserait.