INTERVIEW
Publié le
27 mars 2025
Souvent définie par le prisme des membres de sa famille princière monégasque, Pauline Ducruet s’est imposée avec sa marque Alter Designs dans le paysage mode actuel. Lancé en 2018, son label, saison après saison, s’est ancré aux côtés de celles et ceux qui ont choisi de placer la durabilité et l’inclusivité au cœur de leur travail. Avec Alter, la créatrice propose des pièces unisexes et inclusives, avec comme objectif de s’adapter à tous les corps et toutes les personnalités. Et comme si une seule prise de position ne suffisait pas, Pauline Ducruet a choisi dès le départ de n’utiliser que des chutes de tissus qu’elle upcycle ensuite pour ses collections. Un choix assumé qu’elle défend avec brio, comme en témoignent ses créations mêlant esthétique contemporaine, influences underground et allure chic. Patchwork de denim, costumes aux couleurs pop, robes ultra sexy, outerwear revisité… Elle distille ses créations comme des petits morceaux de sa personnalité. La fille aînée de la Princesse Stéphanie de Monaco met également un point d’honneur à valoriser ses racines, que ce soit à travers une collection inspirée par la Formule 1, le Grand Prix de Monte Carlo, ou une campagne mettant en scène sa famille au grand complet. Avec un storytelling authentique et des créations désirables, la fondatrice d’Alter Designs compte bien prouver que luxe rime avec des valeurs inclusives et écoresponsables.
Vous avez présenté votre premier défilé pendant le calendrier officiel de la fashion week de Paris le 21 janvier dernier. Pouvez-vous nous parler de cette collection et nous raconter sa préparation ?
Cette collection s’appelle “Chrysalis”. Nous avons préparé la collection et le défilé en pensant à cette émancipation de l’alter, à la sortie du cocon, à la chrysalide. Au début du défilé nous avons choisi de présenter des pièces neutres et couvrantes pour terminer sur des pièces beaucoup plus colorées et légères pour symboliser la naissance du papillon. Nous avons travaillé un an sur cette collection, en se basant sur les valeurs de la marque : inclusivité, adaptabilité et écoresponsabilité. Il n’y a aucune production de tissu sur toute la collection, tous les tissus viennent de chez Nona Source, qui récupère les deadstock des marques de LVMH. Nous voulions proposer des pièces “playful”, qui peuvent se porter de différentes façons en fonction des corps. Enfin, nous avons aussi développé la maroquinerie sur cette collection, avec deux sacs : le premier en denim upcyclé et le second en nylon recyclé et simili cuir upcyclé.
Pourquoi était est-ce important d’ancrer votre label dans une démarche inclusive et écoresponsable ?
Quand j’ai créé Alter en 2018, j’ai senti qu’il y avait une véritable problématique en ce qui concerne l’inclusivite et l’écoresponsabilité. C’était important pour moi que mes valeurs personnelles soient transcrites dans mon travail. La mode est une industrie très polluante, alors je ne voulais pas faire une énième marque qui fait de jolis vêtements. Je voulais proposer un vrai message d’inclusivité et d’écoresponsabilité à travers ma marque afin qu’elle soit en accord avec les valeurs que je défends.
"Je souhaitais prouver que l’on peut faire du luxe et de jolis vêtements tout en étant respectueuse de la planète."
Pensez-vous la mode comme un vecteur de message ?
Oui exactement. Je souhaitais prouver que l’on peut faire du luxe et de jolis vêtements tout en étant respectueuse de la planète. Quand j’ai commencé, il y a sept ans, les gens pensaient qu’une marqué écoresponsable, c’était forcément des vêtements peu attractifs aux couleurs ternes. Je voulais prouver le contraire avec Alter.
Faites-vous face parfois à des limites dans la création ?
Oui bien-sûr, nous n’avons aucune production de tissu dans nos collections donc ça peut s’avérer compliqué en fonction des commandes. C’est aussi plus de travail au niveau de la recherche des matériaux et de la supply chain, mais ce sont des efforts qui sont importants à mes yeux.
Pourquoi ce nom “Alter” ? Était-ce une volonté d’imaginer cette marque comme un alter de votre personnalité ?
Au début c’était un projet de fin d’étude qui partait de l’altération des vêtements en prenant ce qu’on avait déjà dans nos dressings pour en faire quelque chose de plus design et contemporain. Ensuite, c’est parti sur l’alter ego, comme un alter de personnalité mais surtout je ne voulais pas faire une marque en nom propre. Alter, c’est l’altération des vêtements, l’alter ego, mais aussi une alternative écoresponsable au luxe.
Vous avez un parcours remarquable. Vous avez étudié à Paris à l’Institut Marangoni, travaillé pour Vogue US, pour Rabih Kayrouz puis vous avez été diplômée de Parsons. Qu’est-ce que vous retenez finalement de toutes ces expériences ?
Je pense qu’elles m’ont montré les bons et les mauvais côtés de la mode, mais aussi les aspects sur lesquels je souhaitais apporter des solutions avec ma marque.
Au printemps 2024, vous avez dévoilé une campagne mettant en scène toute votre famille. Vos proches sont-ils une source d’inspiration pour vous ?
Je ne voulais pas faire de marque en mon nom propre parce que j’avais envie d’exister en tant que designer, donc j’ai voulu dresser le sujet de ma famille et de Monaco à ma façon. Nous avons mis en scène ma famille de ma grand-mère à ma petite sœur dans des vêtements Alter. On essaye de parler à un maximum de personnes et de générations en proposant des pièces adaptables. Voir ma famille habillée dans mes créations, c’était vraiment sympa et c’était une façon de dresser ce sujet-là à travers Alter.
"Dans le storytelling, il n’y a rien de plus vrai et de plus authentique que lorsqu’on parle de sa famille et son vécu."
Est-ce important pour vous de valoriser l’endroit d’où vous venez ?
Bien-sûr. Dans le storytelling, il n’y a rien de plus vrai et de plus authentique que lorsqu’on parle de sa famille et son vécu.
Le style de vos collections est très éclectique, parfois sportswear, edgy, underground, chic ou casual. C’est assez différent de ce que l’on peut s’imaginer d’un vestiaire monégasque. Était-ce une volonté de ne pas forcément aller là où on vous attendait ?
C’est toutes mes personnalités ! Ce n’était pas une volonté de ne pas aller là où on m’attendait mais c’était une volonté d’aller là où moi j’ai envie d’aller. Je ne veux pas me mettre dans des carcans sur le style monégasque ou le style parisien. J’ai énormément voyagé et j’ai vécu dans plusieurs pays. Alter, c’est la concrétisation de tous mes styles. Je suis une jeune femme qui vit dans son temps, il y a des jours où j’ai envie d’être un peu underground, d’autres un peu plus chic, d’autres masculine… C’est aussi une volonté de parler aux jeunes femmes de mon époque et de ne pas nous mettre dans des cases.
Votre mère, Stéphanie de Monaco, possède un lien très étroit avec la mode. Quelle influence a-t-elle eu sur vos choix concernant votre marque ?
Elle a eu une influence sur moi en général. C’est quelqu’un de créatif, elle a eu sa propre marque de maillots de bain. C’était aussi une icône de mode dans les années 1980. Forcément, j’ai grandi avec son imagerie d’elle qui passait d’un Bal de la Rose en tenue de gala au lendemain avec son mom jean et son perfecto. Toutes nos mamans ont un impact sur notre approche de la mode et sur la façon dont on se voit en tant que femme.
Vous aviez confié dans une entrevue à Paris Match : “Un nom connu a été un coup de pouce, mais il faut transformer l’essai”. Pensez-vous que l’essai est en train de se transformer ?
Je l’espère en tout cas ! Je pense qu’au fur et à mesure des collections, on s’installe de plus en plus dans le paysage mode. J’ai eu la chance d’être mise en avant plus qu’une jeune designer lambda mais il faut réussir à montrer la légitimité de son travail et de soi-même en tant que designer.
Quels sont vos projets à venir ? Des collaborations ?
En plus des prochaines collections, nous travaillons sur une ligne de maillots de bain, en clin d’œil à la marque de ma maman dans les années 1980.
Le média s’appelle S-quive, alors qu’est-ce qu’il faudrait esquiver dans le monde de la mode selon vous ?
La fast fashion ! Il faut la fuir comme la peste.
Alter, disponible au Printemps Haussmann, Galeries Lafayette Champs-Elysées et Monaco