ARTS
Publié le
5 décembre 2023
Majestueuse collection de 60 000 œuvres conservées, le Palais des Beaux-Arts de Lille invite le public à découvrir une nouvelle exposition exclusive. Investigation autour de 135 œuvres d’art qui sommeillaient au sous-sol du musée, pour cause : elles sont toutes réalisées par des femmes. Mises en lumière par Camille Belvèze et Alice Fleury, ces artistes-femmes refont surface, le temps d’une exposition tristement temporaire.
Dénoncer la présence infime des artistes-femmes dans ses collections pour les mettre en lumière, c’est le pari fait par le Palais des Beaux-Arts de Lille. Une idée qui trottait dans la tête d’Alice Fleury, la co-commissaire de l’exposition, depuis sa prise de poste en juillet 2020. "Il fallait les mettre en avant, d’une façon ou d’une autre", affirme avec ferveur la commissaire.
Elle s’empare alors de la brèche ouverte pas l’annulation d’une autre exposition au musée, pour y placer "Où sont les femmes ?". Un concours de circonstances qui a pourtant le mérite de présenter au public des œuvres et des artistes jamais montrées jusqu’alors. Mais pourquoi cette invisibilisation systématique de l’artiste-femme ? C’est l’interrogation de départ de l’équipe muséale.
Après une longue enquête sur les œuvres et leurs auteures, les résultats sont présentés en trois parties qui analysent la carrière d’une artiste. Une exposition qui s’inscrit dans l’élan parisien initié en 2009 par le Centre Pompidou avec "Elles@centrepompidou" ou plus récemment "Pionnières. Artistes dans le Paris des années folles" en 2022 au Palais du Luxembourg. Un élan, donc, qui ne date pas d’hier et qui a pour seul critère de sélection des œuvres : l’identité de genre.
Située au cœur du Palais, l’exposition se découvre avant même le parcours officiel, au détour d’œuvres dont les cartels ont été réhabilités au travers d’un "female gaze" qui fait concurrence au "male gaze" (regards masculins portés sur les femmes) des artistes d’époque. Représentations du corps des femmes y sont expliquées par une mise en contexte et un (nouveau) regard critique féminin. On y découvre une représentation d’Olga, pas anodine, sous le prisme de son aventure amoureuse houleuse avec Picasso (Pablo Picasso, Olga au col de fourrure, 1923).
Au fil de l’exposition, les différents obstacles à la reconnaissance a posteriori des femmes sont présentés : parentèle obligée, prise de nom masculin pour se faire connaitre de leur vivant, invisibilisation post mortem, manque d’intérêt des grands collectionneurs. Jusqu’à les enfermer dans un genre artistique en particulier : pas de scène historique dans cette exposition, car le génie incarné par ces œuvres n’était réservé qu’aux hommes.
Ici, les œuvres se cantonnent à représenter ce que leurs auteures ont eu le droit de matérialiser : les paysages, des falaises d’Yport (Élodie La Villette, Falaises d’Yport, 1877) à Chantilly (Jacques-Marie, L’Étang de la Reine Blanche de Chantilly, 1868), les natures mortes (Rachel Ruysch, Roses et tulipes sur tablette de marbre, 1747). Ou encore les monochromes, dont certains sont restés célèbres et reconnus : le bleu de Geneviève Asse, dit bleu Morbihan. Pourtant définitivement moins retenu que celui de Klein…
C’est parce que, pour ces artistes à qui l’École des Beaux-Arts n’est pas ouverte avant 1897, une seule solution pour créer : intégrer les ateliers de son père, mari ou frère, à l’instar de Marie-Amélie Cogniet, sœur de Léon Cogniet (Marie-Amélie Cogniet, Intérieur d’Atelier, 1893), ou s’établir dans des associations non-mixtes à l’image de l’UFPS (Union des Femmes Peintres et Sculpteurs fondée en 1881) grâce, déjà, à la force de la sororité.
L’exposition met en lumière des génies marginalisés et des talents oubliés aux côtés d’autres rares figures plus chanceuses et connues de l’Histoire de l’Art : Rosa Bonheur, Sonia Delaunay, Camille Claudel ou Suzanne Valadon. Pour les autres, connues de leur vivant mais oubliées a posteriori, ici, toutes y trouvent leur place, nouvelle et dûment méritée.
Et après ? Il est grand temps de "sortir de l’Histoire de l’art écrite à l’aune des grands chefs d’œuvres (et donc uniquement par les hommes ndlr)", déclare Alice Fleury, commissaire de l’exposition. Un chantier colossal, qui veut sortir les femmes-artistes de leur dimension évènementielle pour les inscrire dans la durée. Le but : ne plus avoir à préciser "artistes-femmes" mais seulement "artistes" et que d’emblée, le terme soit mixte. D’ailleurs, en vue de les faire intégrer à la collection permanente du musée, certaines œuvres ont été intégralement rénovées. Mais cette rénovation concerne uniquement quelques œuvres sur les 135 exposées. Les autres retourneront au sous-sol dès le 12 mars 2024.
Malgré une exposition exclusive, et un nouveau public curieux et conquis par cet élan progressiste : en majorité des jeunes étudiants, les artistes-femmes ont du mal à s’implanter définitivement dans les galeries. Et même si Où sont les femmes souffle un vent de renouveau pour la condition féminine, la normalisation de la présence des artistes-femmes dans nos musées semble encore un peu hors de notre portée.
L'exposition "Où sont les femmes ?" au Palais des Beaux-Arts de Lille jusqu'au 11 mars 2024.
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