INTERVIEW

Olivier Margot & Etienne Bonamy : "En France, on admire ceux qui ne renoncent pas."

Publié le

14 juin 2024

Avec The Last Heroes: 100 Moments of Olympics Legend (Editions Assouline), Olivier Margot et Étienne Bonamy retracent les 100 moments les plus marquants de l'histoire des Jeux Olympiques d'été. Entre photographies impressionnantes, devenues iconiques et scènes émotionnelles remplies de suspense, ce beau livre célèbre la déception, l'adversité et le triomphe. Pour S-quive, les deux journalistes français racontent une ère de rêve, de compétition et de surpassement, du sportif au héros.

©Russell Chyne/Allsport/Getty Images ©Assouline

La première citation du livre est la suivante: "The important thing in life is not the triumph, but the fight; the essential thing is not to have won, but to have fought wel". Pourquoi ce choix pour débuter votre ouvrage ?

Cette citation, prêtée à un évêque américain, Mgr Ethelbert Talbot, est à l’origine de la phrase attribuée à tort à Pierre de Coubertin : "L’important, c’est de participer". La renaissance des Jeux en 1896 est moins une question de performances que de présences. Il y avait 241 athlètes, tous masculins, à Athènes en 1896 et un saut dans l’inconnu. Le sport ne connaissait encore ni les fédérations, ni les rencontres internationales, il s’essayait à parcourir le monde, rapprocher les pays. L’important était de participer, c’était le début de l’histoire. En 2024, pour 80% des athlètes, c’est encore le cas. On l’oublie souvent.

Comment avez-vous choisi les 100 moments marquants des Jeux Olympiques ?

Nous voulions évoquer des femmes, des hommes et des faits qui ont donné au rendez-vous olympique son actualité mais aussi sa modernité, ses faiblesses, ses réussites. Nous n’avons pas retenu que les records, que les chronos mais aussi les destins. Chaque édition est surprenante.

2 ©Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents ©Assouline

Les Jeux Olympiques s’inscrivent dans la culture et reflètent l’évolution de nos sociétés à travers les années. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans l’histoire des JO ?

Les Jeux de 2024 n’ont plus rien à voir avec ceux du début du XXème siècle et, pourtant ils collent à leur époque. Le fait que ce soit un rendez-vous quadriennal a sans doute évité la routine, l’usure et sûrement des dérives importantes. Les Jeux sont un symbole de pouvoir pour les pays qui les accueillent mais ce sont toujours les participants qui en maîtrisent l’action. Berlin 1936, c’est Hitler et Owens, deux images face à face. Qui aurait pu imaginer un tel scénario ? Les Jeux ont subi toutes les tentatives de récupération politiques et elles ont toutes échoué à en modifier le cours.

Dans le livre, comme dans son titre, il y a cette idée de champion olympique, de mythe et de légende. Quelle est la limite entre un sportif et un héros selon vous ?

Le sportif ou la sportive est célébré par sa victoire, son talent. Le héros est repéré par l’émotion qu’il suscite le jour J. Son moment. D’un côté, il y a Éric Moussambani, nageur guinéen inconnu. Il est devenu un héros des Jeux à Sydney en 2000 après un 100m nagé en séries seul le matin dans la piscine, à la limite de la noyade, ovationné par 20 000 spectateurs. Il avait dépassé sa peur, une course sans médaille, sans autre but que de participer. A l’autre bout, on trouve Johnny Weissmuller, star de la natation, impressionnant de force et bientôt légende du cinéma dans le rôle de Tarzan. La gymnaste Comaneci et son 10 à la poutre, Abebe Bikila, le marathonien pieds nus dans les rues de Rome, etc… Rien n’est écrit à l’avance. C’est l’instant qui va faire basculer d’un côté ou l’autre.

"Mettre des mots sur une photo, c’est comme le petit mot qui accompagne le bouquet de fleurs, l’intention qui porte."

Le sport, comme la photographie, permet de véhiculer des valeurs et des émotions. Lier les deux était-il une évidence pour vous ?

Bien sûr. L’instantané d’une photo raconte tant de choses. Comme les mots qui prennent toute la place pour décrire. La caméra filme sur la durée et passe à autre chose, l’objectif de l’appareil photo suspend le temps. C’est un regard, une grimace, une ride, des poings serrés, un sourire. Et là, on imagine tout. Quand le photographe saisit Derek Remond, blessé pendant le 400m de Barcelone, et soutenu par son père accouru sur la piste pour l’aider, en boîtant, à parcourir les derniers mètres jusqu’à la ligne d’arrivée, le cliché est un tableau. C’est un condensé d’émotions. Il n’est plus question de résultats, de classement, c’est juste l’instantané sportif. Il n’y a pas plus fort. Mettre des mots sur une photo, c’est comme le petit mot qui accompagne le bouquet de fleurs, l’intention qui porte.

©John W. McDonough/Sports Illustrated/ Getty Images ©Assouline

Pouvez-vous nous en dire plus sur le processus créatif et de recherches pour créer un ouvrage avec la maison d’édition Assouline ?

Quand la maison Assouline nous a contactés, elle n’est pas venue avec un projet déjà décidé, une commande. Elle nous a sollicités pour réfléchir au projet. De la discussion est née une idée, un souhait, une recherche. Cela a pris des semaines. C’est dans l’échange entre nos connaissances et l’expérience de la maison Assouline en matière d’ouvrage de ce type qu’est apparu le contenu. Une co-construction enrichissante pour associer les mots et les photos.

"En France, on admire ceux qui ne renoncent pas."

Vous avez tous les deux travaillé à L’Equipe pendant des années : la qualité d’un bon sportif selon vous ?

Vaste débat. Pas sûr d’avoir, après des décennies, trouvé la juste réponse. Dans le parcours d‘un sportif, il y a sa trajectoire personnelle, que ce soit dans une discipline collective ou individuelle. Au-delà du talent, c’est la persévérance, l’engagement qui vont porter une carrière. En France, on dit qu’on n’aime pas les gagnants, que l’on préfère les beaux perdants. C’est surtout que l’on admire ceux qui ne renoncent pas. Après, la réussite, parfois la chance, donne le dernier petit coup de pouce. Même dans la défaite, le sportif peut être grand.

©Gilbert Uzan/Gamma-Rapho/Getty Images ©Assouline

Votre photographie préférée dans le livre et pourquoi ?

Celle du départ du 100m à Athènes. Les sprinters écrivent l’histoire et il n’y a aucun repère. Certains sont debout, l’américain Thomas Burke a sa technique de poser les mains au sol sur la cendrée du stade. C’est la première fois, une révolution, mais qui le sait… La photo dit un départ vers l’inconnu. Il y a zéro référence, beaucoup de curiosité. Burke sera champion olympique.

"Il faut laisser au sport l’imaginaire, l’imprévu."

Que faut-il esquiver dans le sport selon vous ?

Le sport est cerné par beaucoup de dangers, évidemment. Certains, par souci du spectacle, voudraient en gommer l’incertitude ou la codifier. Il faut laisser au sport l’imaginaire, l’imprévu. Si on cherche à préfabriquer des compétitions, des rendez-vous pour découper l’émotion en tranches, notamment pour en faire un spectacle que l’on vend à des partenaires commerciaux ou des formats télé, il y a un risque. Grandir, évoluer ça ne veut pas dire qu’il faut renoncer à un état d’esprit.

©Michael Macor/The San Francisco Chronicle/Getty Images ©Assouline

Si vous deviez résumer les valeurs incarnées par les Jeux Olympiques en quelques mots…

On pourrait dire que les 100 moments de The Last Heroes racontent une somme de valeurs incarnées par les Jeux Olympiques. Beaucoup sont apparues par hasard, c’est encore plus rassurant. Les Jeux ont rapproché les hommes, au moins le temps des compétitions, mais il y a de tout dans le récit. Ce ne sont pas les athlètes qui ont pu empêcher les boycotts, les attentats, le gigantisme commercial. Ils sont pourtant la colonne vertébrale. A Paris, plus de 10 000 sportives et sportifs seront présents, à parité hommes-femmes. Cela dit le chemin parcouru, les obstacles surmontés. Qui s’en rend compte ? Une des valeurs, s’il faut employer ce mot, des Jeux Olympiques c’est de toujours imaginer la suite, d’être vivants.    

“The Last Heroes: 100 Moments of Olympics Legend” est disponible sur Assouline.com.

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