RIVE GAUCHE
Dans son Manifeste intemporel des arts de la préhistoire (Flammarion), le paléoanthropologue Pascal Picq bouscule nos idées reçues sur l'homme de Cro-Magnon, plus affamé de beauté que de gibier.
"On les a tous imaginés avec leurs borborygmes, dans un état sauvage, complètement affamés, comme s'ils étaient plus dépossédés d'eux-mêmes, meurtris par les éléments naturels, arasés par les fauves, et que la création artistique leur était impossible, mais c'est faux !", plaide Pascal Picq sur les ondes de France Inter, invité à défendre son Manifeste intemporel des arts de la préhistoire (Flammarion). Paléoanthropologue et maître de conférences au Collège de France, il célèbre l’impérieuse nécessité de la création des humains depuis la nuit des temps, et nous offre une démonstration éblouissante des richesses de l’évolution.
Englués dans une vision darwinienne de l'évolution, nos préjugés sur l'homme préhistorique ont la peau dure. Pourtant, lorsque Sapiens débarque en Europe il y a 46 000 ans, il maîtrise déjà toutes les formes d'art. Il faut attendre la fin du XIXe pour que de nouvelles pratiques artistiques émergent, avec la photographie et le cinéma. Nous n'imaginons pas pas que ces hommes et ces femmes aient du temps pour le beau, or ils ont consacré un temps vertigineux à créer de l'art, faire de la cosmétique... Nous sommes d'ailleurs les seules espèces à pratiquer la cosmétique, terme ayant la même racine que "cosmos" : se mettre en rapport avec l'environnement. Seul l'humain modifie son apparence par le maquillage, le tatouage, etc. D'ailleurs, certains outils n'étaient pas du tout conçus pour leur simple efficacité technique mais ils s'inscrivent dans une recherche esthétique.
De la même manière, les grottes ne sont pas seulement considérées comme des habitations mais comme des lieux de représentations symboliques et sacrés. Reste à découvrir comment les humains ont été pris du désir de confier à la matière une sensation, une émotion. De Sapiens à Néandertal, en passant par Dénisova, toutes les formes de créativité des diverses humanités identifiées à ce jour ne sont-elles pas le résultat d'un éternel recommencement des œuvres de l’esprit et du geste ?
Manifeste intemporel des arts de la préhistoire, de Pascal Picq (Flammarion, 160 p.)