INTERVIEW
Publié le
10 octobre 2024
Révélé au grand public grâce à des émissions comme "America's Got Talent" et "Must Be the Music", Marcin Patrzałek a su se démarquer par son approche totalement inédite de la guitare. Au rythme effréné de ses doigts, il repousse les limites de la musique et nous offre des performances à couper le souffle. Fort de son succès sur les réseaux sociaux, notamment sur TikTok, il sort le 13 septembre dernier son album Dragon in Harmony. Une consécration pour l’artiste qui partage avec nous son temps, ses réflexions et sa vision actuelle de l’industrie musicale.
À 17 ans, vous participez à l’émission de télé "America's Got Talent" et vous vous faites remarquer par le monde entier. La vidéo de votre passage comptabilise aujourd’hui 52 millions de vues sur YouTube ! Comment vous êtes-vous senti pendant ces auditions ?
Je pense que cela a été un des jours les plus stressants de ma vie [Rires]. Je me suis retrouvé avec des milliers de concurrents qui auditionnaient le même jour que moi. Mais je ne ressentais pas vraiment la concurrence, puisque tous les talents étaient différents. Je savais qu'énormément de personnes regardaient et qu’il s’agissait d’une énorme opportunité. J’ai d’ailleurs rencontré un souci avec les producteurs qui ne voulaient pas que je joue mon morceau (La Cinquième Symphonie de Beethoven). C’était trop classique pour eux et ils pensaient que ça n'allait pas attirer le public. Pourtant, je savais ce que je faisais, parce que pour moi, arranger Beethoven était une étape importante dans ma vie, une forme de combat.
Marcin, vous qui vous exprimez par la musique, comment décririez-vous ce que vous faites en quelques mots ?
Un mot que j’utilise toujours : originalité. C’est la chose la plus importante pour un artiste. Si tu n’es pas original, alors tu ne repousses aucune limite, tu n’essaies pas d’évoluer. Donc, même si beaucoup de mes morceaux sont des arrangements, c’est moi qui les joue, à ma façon. C’est ma personnalité qui s’exprime, ce n’est pas seulement jouer de la guitare, c’est incarner un personnage.
"Marcin paye pour la guitare, il va utiliser toute la guitare.” C’est une citation qu’on voit énormément sous vos commentaires, comment prenez-vous soin de votre guitare ?
Je joue avec mon modèle signature : la MRC10.Elle est conçue spécialement pour mes besoins. Même si ma façon de jouer peut sembler impressionnante, elle ne casse pas la guitare. C’est une idée reçue. Avec une bonne technique de la main et une bonne maîtrise de ton instrument, tu ne le casses pas. Même si je bouge beaucoup sur scène, on remarque que ma main est toujours en mouvement rapide, elle ne tape donc pas trop fort la guitare.
"Je suis né l’année du dragon et j’aime la symbolique autour de ce signe. Le dragon sur la couverture me représente psychologiquement."
Vous avez sorti votre premier album Dragon in Harmony. Est-ce que ce projet, au-delà d’un apprentissage musical, vous a permis de vous comprendre ?
Oui ! L’album était une manière de m'éloigner du contenu TikTok et Instagram et de revenir à l'art et à la musique. Pour moi, un album, ce n'est pas seulement du son, c'est aussi un concept, une création sur une plus longue durée. Quand je composais pour mes morceaux originaux, comme ceux avec Portugal The Man, je me suis demandé : “Que dois-je écrire ?” Je suis jeune, je n'ai pas tant d'expérience... La seule chose que je pouvais raconter, c’était moi. Je suis né l’année du dragon et j’aime la symbolique autour de ce signe. Le dragon sur la couverture me représente psychologiquement. Tout doit faire sens dans l’harmonie, je pense qu’elle est là, la différence. Avant je participais à des compétitions, je faisais des performances impressionnantes, mais maintenant je me concentre sur la création d’un message personnel, sur ce que je veux vraiment dire, d’où le titre de l'album Dragon in Harmony. Je veux que la musique parle d'elle-même. La plupart des morceaux sont instrumentaux, ce qui peut être une barrière pour certains, mais si on dépasse cette barrière c’est super, car avec la musique instrumentale, personne ne te dit quoi penser...
En parlant du signe du dragon, avez-vous des croyances proches de la spiritualité ? La religion, la philosophie ?
Ces deux dernières années, ma carrière a beaucoup évolué, et quand je voyage autant et que je suis loin de chez moi, je cherche toujours du sens là où je me trouve. Je ne sais pas encore exactement ce que je pense, mais je lis beaucoup. Récemment, j'ai lu Le Mythe de Sisyphe de Camus, par exemple. C'est très profond, et cela t'amène à réfléchir. Je pense que pour les artistes, c'est important de rester humble, et la philosophie ou même la spiritualité peuvent vraiment t'aider à rester ancré. Tu n'as pas besoin d'être bouddhiste pour prendre quelque chose de positif de cette philosophie, tu vois ?
Pour vous, composer et jouer sont indissociables. Quand avez-vous commencé à composer et comment avez-vous su que c'était le bon moment ?
Lorsque j’ai commencé la guitare, je jouais beaucoup de musique classique, c’était apaisant, presque une sorte de méditation. Mais ça manquait d’originalité à mon sens. J’ai fini par ressentir une frustration car je ne faisais que reproduire la musique. Quand certaines personnes jouent des musiques classiques, elles ont tendance à trop se centrer sur le compositeur original. La musique est là, mais le compositeur n’est plus. Il ne vous regarde même pas, il n’est donc pas, selon moi, nécessaire de respecter chaque milliseconde, vous pouvez être vous-même. Je me suis alors mis à arranger des morceaux à ma façon et je savais que je devais aller encore plus loin, commencer à composer. Je suis très fier de mon album aujourd’hui, il est très artistique et il reflète le travail que j’ai mené sur mes morceaux depuis plusieurs années.
"TikTok, c’est un équilibre à trouver, car je pense que tu ne peux plus vraiment survivre aujourd’hui en tant qu’artiste sans l’utiliser."
Vous connaissez un fort succès sur TikTok, grâce notamment à votre reprise de Carmen. Comment appréhendez-vous la nature éphémère et les audiences impressionnantes du réseau social ?
TikTok, c’est un équilibre à trouver, car je pense que tu ne peux plus vraiment survivre aujourd’hui en tant qu’artiste sans l’utiliser. Peu importe ce que les gens disent. Si tu réfléchis, il y a quelque chose de très positif qui vient des réseaux sociaux : tu as une ligne directe avec ton public. Ça n’existait pas avant, il fallait toujours passer par un intermédiaire comme une maison de disque, un manager, un producteur... Si tu avais un clip, il fallait le diffuser sur une chaîne spéciale, tu ne pouvais pas le faire toi-même. Tu devais avoir des partenaires pour passer à la télévision. Pour se faire connaître, il fallait compter uniquement sur les tournées et les interviews. Aujourd’hui je sais comment ça fonctionne, je sais quelle vidéo va attirer une grande audience. Si tu prends Carmen par exemple, qui est une longue pièce musicale, je dois la rendre attrayante tout de suite pour capter l’attention. C’est pourquoi je glisse brusquement mes doigts sur la guitare pour captiver le public. On ne peut pas lutter contre tout ça et il faut savoir le tourner à son avantage. Avant j’étais autour des 100 000 écoutes sur Spotify et maintenant, grâce à ma promotion sur les réseaux sociaux, j’ai atteint les 600 000, ce n’est pas négligeable.
Pouvez-vous faire la promotion de votre album à un jeune de 15 ans, un adulte de 30 ans et une personne de 60 ans ?
[Rires]. Comment convaincre tout le monde ?
En général, ma réponse est toujours l’originalité, je sais que ce n’est pas un album de pop ou de rap donc je ne m'attends pas à être dans le Top 50, mais si tu es à la recherche de quelque chose d’unique, et ce peu importe ton âge, alors j’espère que tu le trouveras dans ma musique. Et c’est donc intemporel, l’originalité. Je n’ai pas besoin de cibler une tranche d’âge en particulier mais de toucher des âmes. Mais pour vraiment jouer le jeu voyons voir... Pour quelqu’un de 15 ans, je lui dirais : "Si tu aimes ce que tu vois sur TikTok ou Instagram, la guitare est de retour, c’est le moment, c’est cool, c’est moderne !" Pour les plus âgés, ils ont bien connu la guitare je pense dans les années 1970, ils connaissent bien l’instrument, c’est comme un cycle. C’est comme la mode, les choses vont et viennent. Pour les personnes âgées, c’est vraiment différent, je pense notamment à mes concerts en Asie. Je vois les jeunes bouger sur le rythme et se laisser emporter alors qu’eux, ils semblent plus découvrir et analyser ce qui se passe, car je touche à des morceaux qu’ils connaissent depuis toujours. Comment c’est possible, comment ça marche ? Je veux alors leur faire écouter quelque chose qu’ils n’ont jamais connu auparavant.
Marcin sera à La Maroquinerie le 17 mars 2025.