INTERVIEW
Publié le
24 avril 2025
Avec Paris, capitale de la solitude, Nochka livre un premier album en trois actes, dont le dernier paraîtra prochainement. Un disque intime et contrasté, où la dark pop se frotte à des éclats d’espoir. Encore quelques semaines avant que ce journal de bord musical, traversé par des textes bruts et une mélancolie assumée, ne soit entièrement dévoilé. Elle refermera ainsi une boucle — sans doute pour en rouvrir une autre. En attendant la scène de La Maroquinerie le 18 novembre où elle rencontrera ceux que sa musique touche au cœur, c’est à Paris qu’elle s’est confiée à S-quive.
Sortir un premier album c’est excitant. Comment vous sentez-vous en ce moment ?
Comme je l'ai sorti en plusieurs étapes, en 3 fois exactement, je suis moins excitée qu’il y a un an quand la première partie est sortie ! Aujourd’hui, je suis contente parce que c'est la phase terminale de l'album, j'ai un peu peur aussi…
Il sort prochainement, ça vous donne encore un peu de temps pour le savourer !
Oui ! Il faut que je pense à la façon de le défendre sur scène évidemment, il ne s'arrête pas à sa sortie. J’ai remarqué qu’à partir du moment où mes titres sont dévoilés, je ne les écoute plus du tout, alors que jusqu’à ce moment précis, je les écoute en boucle, puis j'ai une nouvelle phase où je les re-aime. C’est un long processus finalement !
Vous décrivez Paris, capitale de solitude comme de la "dark pop". Pourriez-vous nous expliquer ce que cela représente pour vous, justement, la "dark pop" ?
Mot pour mot, c'est "pop sombre". Pour moi, c'est un mélange de plein d'univers. Il peut y avoir des influences de rock. J'écoute beaucoup Twenty One Pilots ! Lady Gaga aussi mais ses sons d’il y a 10 ans, du blues... Ces morceaux c'est plutôt ce que j'écoute pour composer et écrire. Ce sont des musiques qui sont dans les graves, avec des mélodies très mélancoliques. Je dis "pop" parce que ce sont des chansons avec des textes plutôt populaires, qui peuvent parler à beaucoup de monde. Et "sombre", pour les thèmes et les sonorités.
"Je donne le maximum à mon univers visuel."
Paris, capitale de solitude, vous le pensez ? D’autant plus que cela fait cinq ans que vous y vivez…
Oui vraiment ! C'est cyclique, quand je suis arrivée, je me suis fait plein d’amis et ensuite je m’en suis éloignée. Je suis née à Lyon et j'ai grandi à la campagne où j'avais tous mes potes avec qui j'étais au collège-lycée mais personne ne faisait ses études à Paris. Donc à ce moment-là, je me suis sentie très seule. Pendant un temps, mon seul entourage c'était l'industrie musicale avec des gens qui ont entre 10 et 20 ans de plus que moi, il y avait un petit décalage. Maintenant, ça va mieux et mes amis sont en train de finir leur master donc ils arrivent tous à Paris.
C’est un projet sans filtre, avec des morceaux qui parlent en profondeur de vous. Qu’est-ce qui vous a donné cette impulsion de transparence ?
Quand j’écrivais mes premières chansons, je me prenais pour Baudelaire ! [Rires] C’était très poétique, rempli de métaphores. Je me souviens relire mes textes et me dire : "Je ne comprends même plus ce que j’ai voulu écrire". J’ai évolué et j’ai essayé d'écrire de la manière la plus crue possible pour aller à l'opposé. Par exemple, j'aime bien ce que fait Orelsan, je trouve qu'il dit des choses simples avec des mots simples. À l’écoute, on se prend vraiment une claque !
Vous évoquez des sujets durs, avec des mots simples aussi justement, il y a peu de censure dans l’écriture. Y a-t-il des chansons qui vous ont fait peur au moment de les sortir ?
Oui, il y en a que j'ai eu du mal à sortir par crainte. Dans "Golden Gate", je parle de suicide. J’avais peur que les gens interprètent mal ce morceau. Même s’il ne m’appartient plus quand je le sors, c’était une réelle crainte. C’est paradoxal parce que c’est un des titres les plus importants pour moi, sur scène c'est un de ceux que je préfère faire.
Aussi parce qu'il fait de la prévention et les gens qui ont ressenti ça se sentent moins seuls. Mais oui, il m'a fait peur.
Est-ce qu’un album vous a inspiré, vous, personnellement, ou vous a aidé à aller mieux un jour ?
Le premier album de Billie Eilish m'a énormément inspirée ! J’avais 17 ans, c'est le moment où j'ai commencé à faire de la musique et entendre quelqu'un de mon âge, pile à ce moment-là, écrire sur les thèmes que je ne verbalisais pas, ça m'a libérée d’un tabou. J'ai commencé à me servir davantage de ce que j'écrivais de sombre. Dans mes journaux intimes, c'était vraiment très sombre, et je pensais que c’était imbuvable. Cet album, c'est un album déclic…
Vous vous en êtes inspirée musicalement également ?
Oui un petit peu, je l'ai tellement écouté... Dans mon morceau "Gotham", au bout de 3-4 phrases, je dis : "J'ai mis mon CD préféré" et à la base, je voulais citer l’album de Billie Eilish seulement ça ne collait pas dans le son. Il faut savoir que "mon CD préféré", c’est le tout premier album de Billie !
"Les vêtements que je crée, c’est mon armure."
L’exigence que vous vous imposez dans la création – du son jusqu’aux vidéos – est-ce une manière de garder le contrôle dans un monde qui parfois vous échappe, ou vous a échappé ?
Il y a un peu de contrôle mais surtout c'est la volonté de livrer le plus de moi-même. Généralement, quand un morceau me plaît, et que je sais qu’il va me plaire sur le long terme, je fais appel à l’image. Par exemple, je suis sur une autoroute, la nuit, seulement éclairée par les phares, avec cette sensation d’être presque dans un film grâce à l’association du son à l’image. Sur les réseaux sociaux également, je me dis que si jamais les gens retiennent mon image, ils peuvent me retrouver facilement. Certaines personnalités ne montrent rien, on ne sait pas qui ils sont parce qu'ils ne montrent même pas leur visage. En ce qui me concerne, les gens savent déjà à quoi je ressemble, je ne peux plus me cacher, donc je donne le maximum à mon univers visuel en parallèle.
Vous évoquez un rapport très fort à l’image, à la mode. Vos tenues sont souvent oversize, composées, presque sculptées. C’est une armure ?
J'aime bien concevoir mes propres vêtements, ça les rend évidemment uniques, et les vêtements que je crée, c’est mon armure, exactement ! Ce que je porte aujourd’hui, je l’ai fait hier, c’est oversize et cette taille, cette largeur, ça s’est installé en douceur, je redoute d’ailleurs l’été. J'ai un rapport à mon corps compliqué, parce que j'ai eu des prises et des pertes de poids qui m'ont secouée. Je sais que j'ai encore un chemin à faire là-dessus, donc c'est vraiment une armure. La mode, c'est aussi une autre forme d’expression artistique, la création d’hier c’est de la couture, mais j'ai des vêtements que je peins, je fais des dessins, je les customise.
Vous touchez à d’autres supports artistiques ?
J’ai touché à la vidéo et j’ai commencé à faire des moyens-métrages d’environ 40 min sur des sujets assez durs, d’ailleurs. Ensuite j’ai essayé de faire ça avec des formats plus courts, c'est là que la musique m’est revenue un petit peu, tout est lié.
L’autonomie est une nécessité dans votre processus de création… dans votre vie aussi ?
Oui exactement, le seul endroit où je ne suis pas autonome c'est affectivement ! Sinon je suis très autonome ! [Rires] J’aime faire les choses seule, j’ai d’ailleurs tendance à me mettre seule dans cette case "solitude". C'est positif comme négatif. Mes parents travaillaient beaucoup, ma mère rentrait tard. Depuis mon enfance, j'ai été habituée, la solitude s’est un peu ancrée chez moi.
"Il faut esquiver le regard des autres quand on parle de soi."
Vous évoquez vos parents, votre famille vous a fait toucher à la musique assez tôt. Est-ce que vous vous sentez proche de cet héritage-là, ou il a fallu justement vous en éloigner pour vous trouver ?
Plutôt m’éloigner, mes parents adorent la musique, ma mère était passionnée et donc elle voulait toujours m'aider, me tirer vers le haut, me faire des retours, avec son lot de moments où ça m'étouffait beaucoup. Petite, j'ai fait du hautbois, je me souviens avoir un examen que j’ai d’ailleurs raté, j’étais sur le point de tout arrêter. Pendant un temps, j’ai pensé que je ne ferais jamais ça et petit à petit je me suis réconciliée avec la musique, seule. Aujourd’hui, elle me fait des retours quand je chante sur scène et c’est génial ! C'est plus apaisé. J'avais besoin personnellement d’essayer de faire de la musique. Ne pas le faire parce que mes parents m’avaient dit que c’était cool.
Vous avez quitté les études, les cadres, pour suivre un tempo plus instinctif, plus autonome encore une fois. Pour vous, réussir, c’est quoi ? C’est aller où ?
J'aimerais beaucoup pouvoir faire plusieurs tournées, mondiales, que ça s’inscrive vraiment dans le temps. Un petit peu comme ce que fait Zaho de Sagazan, elle va même faire des petites salles à l'étranger ou des salles moyennes. Ce serait vraiment quelque chose que j’aimerais beaucoup atteindre. Et pouvoir faire de la musique avec des gens que je n’aurais jamais rencontrés si je ne faisais pas ce métier, n'importe où sur la planète. Le dernier point, c'est de le faire en étant heureuse ! C’est paradoxal parce que j’aimerais réussir à m'apaiser aussi vis-à-vis de la réussite, la barre est haute, et je sais que ça peut très vite être un poids.
Sur scène ou en studio, y a-t-il un moment précis où vous sentez que vous êtes exactement à votre place ? Un déclic, une sensation physique ?
Sur scène c'est encore rare mais ça arrive ! Quand le public chante. C’est un des moments où ça devient réel, je ne fais pas seulement découvrir mes morceaux mais je les partage réellement avec eux.
Qu’est-ce qu’il faut esquiver quand on parle de soi aussi intimement ?
Il faut esquiver le regard des autres quand on parle de soi. C'est ce que je sais pourtant le moins faire. Il faut l'esquiver, mais en même temps, ça dépend de qui sont "les autres", et des intentions. Je ne vais pas ignorer les conseils de mon entourage, des gens que j’aime. Il faut éviter de se comparer aussi, ce qui est hyper complexe avec les réseaux sociaux !
"Paris, capitale de la solitude", de Nochka.
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