INTERVIEW
Nili Hadida a le souffle d’une sincérité vivante dans ses gestes. Elle a le bruit du tambour qui bat dans ses mots. Elle a l’incandescence de cette flamme qui subsiste par-delà la dernière nuit. Elle a ce beau de l’humain qui vous saisit pour vous faire (re)venir au cœur. Elle a cette fureur douce de vouloir chanter avec nous. Elle a cette tentative trop oubliée de vivre avec justesse. Elle est la bande son de sa vie ! Nili Hadida est sa musique !
Dans la première chanson "2022" pour cet album, vous chantez : "Tout ce que je sais c'est que j'aurai un an de plus" . Quel lien entretenez-vous avec le temps qui passe ?
Assez problématique : je suis obsédée par la mort depuis l’enfance. Cela fait partie des questionnements que l’on a tous. Sauf que chez moi, c’est accentué. J’ai un rapport au temps en lien avec la mort. Parce que c’est inévitablement se rapprocher de cette échéance. Mais plutôt que de me morfondre, j’essaye de transformer ça en quelque chose de super positif. J’ai cette « fureur de vivre » car je sens qu’un jour ça va s’arrêter.
Votre clip sort tout droit des années 1990. Etes-vous nostalgique ?
Aujourd’hui, l’instantanéité disparaît. J’adore que tout soit hyper connecté, mais il y a une forme de candeur qui s’estompe au fur et à mesure que l’on a accès à cette nouvelle technologie. La rencontre à l’ancienne n’existe plus assez avec ça. Cet été, j’étais nostalgique de ces années-là. On est en train de foncer dans le mur, donc forcément, je ressasse le passé.
"Malgré tout, je ne me sens pas très proche des êtres humains."
En préparant notre rencontre, j’écoutais Alone Together de Chet Baker. Il fait écho à votre morceau "2022". Qu’est-ce qui nous isole des autres selon vous ?
C’est très drôle que tu me fasses écouter ça. Il y a quatre ans, j’ai participé à un festival à Villefranche-sur-Mer, qui s’appelle La crème, et j’y ai fait un hommage à Chet Baker. Par rapport à la question, je pense que l’isolement est un choix. On peut être à la fois très entouré et très seul. C’est une question de personnalité. Je pense que j’en fais partie. Si je parle des autres, c’est pour parler de moi. Comme beaucoup d’artistes, je suis très narcissique. Malgré tout, je ne me sens pas très proche des êtres humains.
Vous affectionnez particulièrement les cuivres. Que produisent-ils de si particulier à leur écoute ?
Ce que j’aime dans les instruments à vent, c’est une chaleur. Le souffle dans ces instruments est pour moi synonyme de vie. Il n’y a pas le côté mécanique d’un instrument à cordes par exemple. C’est plus organique. Le vent fait partie de la nature, qui n’est pas lié à l’être humain, à nous. C’est une force naturelle indépendante que j’aime.
"Après les années qu’on a vécu et que j’ai vécu, j’ai envie de faire du bruit ; de saturer les guitares et de mettre des crashs sur tous les temps."
Votre musique, en duo avec Lilly Wood and the Prick ou en solo, est classée dans le genre pop. Pourtant c’est l’esprit rock, soul, hip-hop voire underground qui semble dominer. Je pense par exemple à Brazilian War, dans votre premier album solo : le beat est lourd, comme des fausses notes au piano, la voix profonde et violente dans son ton. "2022" rassemble des sons garage/grunge… Qui est Nili à travers la musique ?
Ce n’est pas agréable d'être systématiquement estampillée par un style de musique. C'est de votre faute à vous, les journalistes ! Souvent, t’as un critique va te coller une étiquette qui va te suivre parce qu’on va simplement la répéter. Ensuite, mon premier album solo, je l'ai enregistré avec le duo de producteurs américains Christian Rich, très connus dans le milieu hip-hop. Et pour finir sur Brazilian War, c’est moi qui, avec mon poing, tape au hasard sur le piano pendant que la musique défile. Il a suffit d'une prise pour avoir le résultat final ! Qui plus est, j’ai grandi avec la musique rock, mon album préféré de tout le temps c’est Doolittle des Pixies. J’ai écouté énormément de hip-hop et de pop. J’ai appris à chanter en écoutant Aretha Franklin. Après les années qu’on a vécu et que j’ai vécu, j’ai envie de faire du bruit ; de saturer les guitares et mettre des crashs sur tous les temps. L’art est un espace de liberté. Il ne faut pas vouloir à tout prix réduire et cantonner les personnes à une catégorie. La réponse à ta question est simple : dans ma musique je suis simplement moi.
"Même l’être humain le moins sincère est dans la même galère que nous ; et il essaye juste d’exister au mieux."
Vous vous intéressez avant tout à l’être humain. Dans votre dernier titre, on peut entendre "ils ne portent plus de visage". Selon le philosophe Emmanuel Levinas, ce qui fait l’Humanité en nous, c’est le visage de l’autre. Qu’en pensez-vous ?
C’est intéressant ce que tu me dis. Peut-être parce que l’on ne se voit qu’à travers le regard de l’autre. Ce qu’on va penser et connaitre de nous est dû grande partie à l'image que les autres renvoient de nous. Enfin bon, donner une théorie arrêtée est contraire à la philosophie. Mais j’aime beaucoup cette idée.
Vous êtes très spontanée. Quel sens peut encore avoir ce mot dans notre société d’influenceurs actuelle ?
Je ne sais pas si c’est antinomique influenceur et sincérité. Bon, moi, j’ai 200 ans donc je ne connais pas bien cet univers. Mais je pense par exemple à Natoo, qui me paraît toujours sincère et vraie. Il ne faut pas autant catégoriser. C’est difficile d’être sincère. C’est le temps qui te permet de t’accepter, t’assumer, t'aimer, te respecter et donc tenter d’être le plus fidèle à soi-même et honnête vis-à-vis des autres. Exister est difficile pour tout le monde, il faut donc être souple avec les autres et soi-même sur ce sujet. Nous faisons tous ce que nous pouvons. Même l’être humain le moins sincère est dans la même galère que nous ; et il essaye juste d’exister au mieux.
"On vit dans une société qui dit que pour être complet tu as besoin d’une moitié. C’est trop consensuel. Il y a pleins de formes d’amour."
L'amour est un thème récurrent dans votre œuvre. Que représente ce sentiment pour vous ?
J’ai l’impression de passer mon bac de philo ! (rires) Ce que je peux déjà dire c’est que ça ne facilite pas la vie. Je pense que c’est quelque chose dont on fait croire que tu as besoin. On vit dans une société qui dit que pour être complet tu as besoin d’une moitié. C’est trop consensuel. Il y a pleins de formes d’amour. C’est une grande question que je me pose, mais je n’ai pas la réponse pour l’instant.
Votre dernier amour musical ?
Mon dernier amour musical, comme tout le monde, c’est le groupe Wet Leg. Il y a un autre de Los Angeles qui s’appelle Los Bitchos, vraiment super. Un autre groupe de filles, mon coup de cœur de 2022 : Automatic. Tout est génial, il faut vraiment les écouter !
"[La musique] c’est l’art le plus noble."
J’aimerais revenir sur votre musique, mais à travers la personne que vous êtes, pas uniquement l’artiste. Je pense à Girls and Boys (Blur) et Pink Matter (Franck Ocean). Que vous évoquent ces titres ?
J’ai écrit une chanson qui s’appelle Franck par rapport à lui justement. Au-delà du fait que c’est l'un des premiers artistes hip-hop à assumer ouvertement son homosexualité, j'aime ses textes. Il aborde des thèmes, des sujets et des questions rarement évoqués et ça fait du bien. C’est plaisant d’entendre des propos plus introspectifs plutôt que des clichés qui ne durent qu’un temps.
Pour finir, j’aimerais entendre ta réponse sur une question que je me pose chaque fois que j’écoute une chanson. C’est quoi la musique ?
Je pense que c’est l’art le plus noble. Il peut être consommé partout et tout le temps. Quand tu cours, quand tu fais le ménage, quand tu fais l’amour, quand tu conduis, quand tu marches, quand tu nages. La musique est un art qui me sauve, qui me rend heureuse, qui me fait vibrer, que j’aime le plus au monde. C’est une bande son de vie ! C’est plus qu’un art, c’est un sixième sens.