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Naples : le bleu et le noir

Publié le

12 mars 2025

Le cinéaste Paolo Sorrentino dresse le portrait de sa ville natale, Naples, avec Parthénope, son dernier film qui sort en salle aujourd’hui. Pour S-quive, la photographe napolitaine Leda De Simone a capturé l’essence de cette cité paradoxale, entre vétusté et beauté, vitalité et tristesse. Des clichés qui montrent une chose puis son contraire, comme la ville.

Naples © Leda De Simone

Cigarette entre ses doigts, une femme est accoudée aux rebords de sa fenêtre grande ouverte, les deux pieds dans son salon. Devant elle, une autre femme est assise dans la rue, sur une chaise en plastique légère, plus facile à transporter de fenêtre en fenêtre. Pour voler de conversation en conversation. Après quelques clichés elles invitent évidemment la photographe à prendre un café : l’hospitalité napolitaine. Comme si la barrière entre l’intime et le collectif n’existait pas, chez soi c’est aussi la rue devant chez soi. Les portes sont ouvertes mais personne ne rentre, l’invitation est déjà donnée quand la conversation commence… de toute façon. Parallèlement, la vitesse et l’agitation symbolisées par la ruée vers l’or de chaque scooter qui dévale les pavés du quartieri spagnoli contraste avec le calme de la conversation entre les deux femmes, l’une imperturbable, l’autre indétrônable, digne d’un moment de cinéma. Au bout d’une matinée elle se relève, fin de l’entracte : "Ciao a tutti !", s’exclame-t-elle en déplissant sa robe et tranquillement, elle se glisse à nouveau dans le théâtre de la ville.

Naples © Leda De Simone

Joies et peines sacrées

Une scène caractéristique de la cité et de ses habitants, à la fois débordants de vitalité et d'agitation, puis soudainement calmes, certains marqués par une tristesse omniprésente et un rapport particulier à la mort. L’histoire d’une des plus vieilles villes d’Europe l’explique : la grande peste de 1656 décime près de la moitié des habitants du royaume mais il suffirait d’évoquer l’actualité. Derrière la cacophonie citadine se dresse un volcan qui a déjà fait ses preuves avec la tristement célèbre destruction de Pompéi. Le Vésuve est sans doute le seul napolitain que tout le monde veut laisser dormir. Une vie sur fond d’angoisse donc, certainement la raison, entre autres, de la place prépondérante de la religion qui se traduit par la présence de plus de 500 églises pour le seul centre historique, quand Paris en compte à peine plus d’une centaine. Il y a également ces petits autels improvisés dans les rues, les cages d’escalier, les halls d’immeubles en plus des autocollants représentant des saints, plus importants que les dieux pour beaucoup de napolitains, fixés aléatoirement sur les vitres ou les parebrises. En somme, le sacré. Sa contemporanéité n’est pour autant pas laissée de côté, avec ses explosions de joie comme lors de la victoire du championnat d’Italie de football le 4 mai 2023. Le sacro-saint sport de la ville justement, avec Diego Armando Maradona hissé très sérieusement à Naples au statut de dieu. Un jonglage entre passé et présent pour le moins surprenant, orchestré par des acteurs et des histoires qui font de la ville un lieu de tournage. "Naples est à la fois religieuse, criminelle, culturelle et artistique ", selon Paolo Sorrentino pour le journal suisse 24 heures. Les décors seraient donc déjà prêts et la ville est redevenue un fief du septième art.

Naples © Leda De Simone
Naples © Leda De Simone

La coexistence napolitaine

"Les contradictions coexistent à Naples, et c’est ce qui la rend unique", rappelle Paolo Sorrentino toujours dans 24 heures. L’architecture elle-même devient une métaphore des disparités qui marquent la ville. Comme un trait de lumière, Spaccanapoli, artère qui découpe Naples d’est en ouest sur 2 kilomètres, incarne cette division. Les rues étroites et sombres sont bordées de bâtisses imposantes qui semblent oppresser le ciel. Pour apercevoir un peu de lumière, il faut lever les yeux ou s’échapper vers la mer qui berce la ville. Les habitants hésitent entre la vitalité parfois étouffante de ses ruelles, et l’immensité de la Méditerranée, un dialogue constant entre étroitesse du quotidien et liberté. Dialogue qui a inspiré de nombreux artistes. Sorrentino n’est pas le seul et encore moins le premier à s’emparer du "grand théâtre" et de ses contraires avec Parthénope, et La Main De Dieu, sorti en 2021. Il y a aussi la série à succès Gomorra, adaptation du roman de Roberto Saviano sur la Camorra (mafia napolitaine), et les écrivains que sont, entre autres, Elena Ferrante en passant par Erri De Luca et Stendhal, tous se sont saisis de la vague d’intérêt pressentie par Mozart qui souhaitait faire jouer ses plus grands opéras en premier à Naples.

Naples © Leda De Simone

En 2023, à Paris, se tenait l’exposition "Naples dans le regard des cinéastes", autre raison de penser que le lien entre le cinéma et la ville est réel et reconnu. Naples serait même plus justement une histoire de lien. Un amour-haine marque ses habitants et particulièrement une jeunesse qui rêve d’ailleurs, mais qui est inlassablement rappelée par la cité parthénopéenne. Une dynamique reflétée par l’étonnante proximité de l’aéroport au centre-ville. De chaque quartier, à intervalles réguliers, on entend le bourdonnement des avions qui décollent, emportant ou ravivant ces envies d’évasion. Françoise Sagan avait confié dans un de ses articles intitulé "Bonjour Naples" : "Quelque chose vous force à partir, avant qu’il ne soit trop tard et que l’on soit obligée d’y rester, et de consacrer sa vie à essayer d’y être heureux".

Naples © Leda De Simone
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