INTERVIEW
Publié le
29 octobre 2022
Une fille. La fontaine de Trevi. Et la naissance d’une diva. Mais Anita Ekberg n’est pas juste "la ragazzanella fontana" dans La dolce vita. Le film documentaire The Girl in the Fountain d'Antongiulio Panizzi, projeté à l’occasion de la 14ème édition du Festival Lumière à Lyon, s’évertue à le montrer. Face à la plus française des actrices italiennes, couronnée "plus belle femme du monde", un double portrait met face à face deux icônes à deux époques distinctes. Entre images d’archives et prises de vues contemporaines, le film révèle une Monica Bellucci en pleine introspection lorsqu’on lui propose d’incarner Anita Ekberg. Une mise en abyme édifiante qui interroge l’image de deux actrices aux destins liés.
La vie et la carrière d’Anita Ekberg, n’est ce pas l’exemple total d’une envie de liberté qui a été complètement entravée ?
En effet, cette femme avait un courage hors norme. Je parle de courage car aujourd’hui c’est facile de partir d’Italie ou d’un autre pays, voyager, partir à l’aventure mais à cette époque, ce n’était pas pareil. Elle est partie très jeune en Amérique, elle a appris l’anglais, puis elle est venue en Italie, elle a appris l’italien, et quand elle est arrivée elle avait déjà une carrière qui commençait bien puisqu’elle avait eu un Golden Globe "Star of the year" en Amérique. Par la suite, elle est arrivée en Italie faire La dolce vita, présenté à Cannes, qui a fait d’elle une star internationale. Mais cette liberté, elle l’a payée très cher, aussi parce que c’était une époque où l’on ne pouvait pas être libre comme elle l’était. Ce qui est intéressant dans ce film, c’est qu’il y a une double comparaison entre deux époques - l’époque du star system après la guerre et aujourd’hui - et les femmes à l’époque et celles d’aujourd’hui. Ce qu’on voit dans le film c’est deux vies en confrontation : qu’est-ce que c’est que d’être une actrice aujourd’hui ? Qu’est-ce que c’était à l’époque ? Je pense que le problème de l’époque c’était que l’image et la personne, c’était la même chose. C’est-à-dire qu’Anita Ekberg était Anita Ekberg, tout le temps. Quand elle sortait, elle dansait sur les tables, elle faisait la Dolce Vita, et ensuite au cinéma, elle faisait la même chose, il n’y avait pas de distance. Et c’est un gros risque car quand l’image et la personne deviennent la même chose, c’est très très risqué et je pense qu’elle est tombée dans ce piège. Elle est arrivée à un moment donné en Italie où tout était très créatif, tous les grands metteurs en scène et sociétés de production étaient là, mais il y avait des codes, notamment le fait de ne plus pouvoir continuer à travailler après un certain âge... Tu pouvais avoir tout le talent que tu voulais, le système faisait que ta carrière était liée à un moment biologique de toi en tant que femme. Aujourd’hui on a plus ça. Ce film est donc important car à la fois il raconte un moment magnifique du cinéma où il y avait des lois très dures pour les femmes qu’on a plus aujourd’hui. A mon âge, je n’aurais plus eu de travail depuis 20 ans.
Vous-même avez changé les lignes en arrivant de la mode. Maintenant on a moins de préjugés sur les femmes dans la mode, pensez-vous avoir permis cela ? En avez-vous conscience ?
Oui, lorsque l'on m’a proposé ce film, je me demandais ce que j’avais en commun avec cette femme et c’est vrai qu’Antonigiolio Panizzi a pensé à ça en amont dans le sens où moi aussi je viens de la mode. Bien sûr qu’à l’époque il y avait des aprioris avec cette image-là qui était plus forte que moi en tant que comédienne : les gens parlaient de moi alors que je n’avais pas encore fait grand-chose. Ensuite, j’ai travaillé et ça a changé. Le fait que l'on m’appelle pour jouer Maria Callas ou Anita Ekberg illustre ce changement de mentalités.
"Aujourd’hui on rit un peu quand on fait la star, parce qu’on n’y croit pas. (...) J’apprécie le fait que les jeunes assument leur vulnérabilité."
Parmi les similitudes qu’il y a entre Anita Ekberg et vous, on peut voir le développement de vos carrières à l’étranger, est ce que c’est une forme d’émancipation ?
A l’époque, c’était quelque chose de peu commun. Aujourd’hui, des acteurs français travaillent en Italie et inversement. Moi, je suis venue en France pour chercher à "faire fortune", un peu comme une immigrée culturelle. J’ai toujours eu un grand amour pour le cinéma français et la vie a fait que la France est devenue une de mes bases. J’ai fait un film français L’appartement, qui a gagné un BAFTA et tout s’est ouvert. J’ai juste suivi quelque chose qui était possible depuis entre la France et l’Italie. Aujourd’hui, c’est différent car il n’y a pas beaucoup de films italiens qui sortent à l’étranger et beaucoup moins de productions italiennes.
Lorsque vous dites qu’à l’époque, l’image et la personne se confondent, j’ai quand même l’impression qu’il y a une scène très importante dans le film où il y a quelque chose qui résiste chez Anita Ekberg ; ce geste quand elle arrive en Italie dans La dolce vita. On vous voit répéter et décomposer ce geste, vous ne semblez pas y parvenir. Avez-vous réussi à vous l’approprier ou c’est quelque chose qui lui appartient totalement ?
Ça lui appartient totalement. Quand elle fait ça elle y croit et c’est ça qui est beau, c’est aussi une manière de dire : je suis une star et je l’assume. Aujourd’hui on rit un peu quand on fait la star, parce qu’on n’y croit pas. Avec les réseaux sociaux comme Instagram, on sait très bien que tout ça est faux, on peut s’inventer une vie, on sait que c’est une illusion mais à l’époque les stars, lorsqu’on les voyait au cinéma, c’était des êtres tellement distants de la réalité. Quand on regarde Ava Gardner ou toutes les actrices de l’époque, c’est une image qui est loin de la réalité, c’est des femmes inapprochables. De nos jours, on n’y croit pas à ça, n’importe qui peut façonner son image. J’apprécie le fait que les jeunes d’aujourd’hui assument leur vulnérabilité, qu’ils disent que ça ne va pas, qu’ils sont fragiles, il n’y a pas de honte à ça. A cette époque, on devait être une femme magnifique et intouchable. La vérité devait restée cachée.
“Même pour être soi-même il faut être une bonne actrice.”
A ce propos, dans le film documentaire, il est dit qu'"Anita Ekberg n’était peut-être pas une grande actrice mais elle était elle-même". Que pensez-vous de cette affirmation ?
Même pour être soi-même il faut être une bonne actrice. Ça revient au problème de la beauté qui crée beaucoup de préjugés car tout le monde pense que lorsqu’on est belle, tout est accessible. Mais si tu ne dégages rien, il n’y a rien. Et cette femme avait beaucoup de talent mais c’est cette beauté qui l’a un peu étouffée. Si elle n’avait pas eu de talent, on ne parlerait pas d’elle aujourd’hui.
Qu’avez-vous trouvé en commun avec elle ? Qu’est-ce qui vous rassemble ou vous divise ?
Ce qui me divise c’est l’époque, qui fait qu’elle a dû terminer sa carrière très tôt et nous, les femmes d’aujourd’hui, on peut faire longtemps carrière car l’idée de la femme et de son image a changé. C’est une grande différence. Après ce que nous avons en commun, c’est le risque que l’image te mange. J’ai risqué ça.
Car vous n’avez pas confondu amour et désir…
Ça c’est vrai [Rires]. Mais même ça on l’apprend, c’est très facile de confondre amour et désir et, en effet, on a vu que les hommes avec qui elle a été, ils lui ont tout pris. Maria Callas, c’est la même chose. C’est l’époque des premières femmes indépendantes mais elles ne savaient pas encore gérer ça. C’était des femmes dans un monde d’hommes : une nouvelle liberté compliquée à gérer.
Il y a une scène dans le film étonnante où personne ne connaît Anita Ekberg...
Oui, c’est incroyable, c’est pour ça que le film est important car même les jeunes à l’Université (dans le film) ne savent pas qui elle est. Je pense que cette femme a vraiment marqué quelque chose de très important, elle est représentative d’une époque, d’un monde et des femmes d’hier. Elle a fini dans la tristesse et la solitude et je pense que ce film va lui redonner la lumière qu’elle mérite.
"Grâce à des femmes comme Anita Ekberg, on a appris à se défendre."
Lorsque le réalisateur vous fait cette proposition de l’incarner, il y a différentes émotions qui vous traversent…
Il y a un contraste en effet, je me demande ce que je vais faire là-dedans.
Les choses changent. Aujourd’hui, il n’y a que 8% des femmes de plus de 50 ans qui sont dans les films du cinéma français et le film contribue sûrement à ça…
Oui le film contribue à ça. Au théâtre, au cinéma, les choses changent. Je viens de faire une comédie au cinéma avec Toni Collette, nous sommes deux femmes qui font une comédie américaine sur la mafia… c’est drôle et nous avons abordé ce sujet justement.
Une dernière question que l’on ne vous a pas posé peut être, le tir à l’arc vous l’avez appris pendant le film ?
J’en avais déjà fait avant mais c’est une belle métaphore qui veut dire : à travers vous, on a appris à se défendre.
Interview croisé avec Anaïs Calon de Maze, Jean Marc Aubert de Les Chroniques de Cliffhanger et Philippe Hugot de Baz’art.