INTERVIEW

Mickaël Doucet : "Mes toiles sont comme mon palais intérieur, où je peux ranger toutes mes idées."

Publié le

21 juin 2024

Éblouissantes de lumière, les toiles de Mickaël Doucet se distinguent par leur minutieux art de la composition et de la perspective. Chaque objet, meuble, ou tableau dans le tableau, rangé à sa place, repose bien en ordre sur la toile. Cet art de l’ordonnancement, empreint de sérénité, provoque un apaisement de l’âme immédiat. Le thème fétiche de l’artiste : des intérieurs de villas années 70’, où ne filtre aucun mouvement. En arrière-plan, une fenêtre, une baie vitrée ou une verrière, ouvrent sur un horizon, calme, lui aussi. À l’occasion de sa nouvelle série de peintures "L’entre-deux-mondes", exposée à la galerie Escobar (Marseille, VIIIe) jusqu’au 5 juillet prochain, S-quive a rencontré ce peintre à la signature si solaire.

Mickaël Doucet

Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ? Quel est votre parcours artistique ?

J’ai eu un parcours un peu atypique puisqu’au départ j’ai fait une fac de sciences physiques et de mathématiques. À l’époque, on devait effectuer le service militaire à la fin de nos études, mais j’ai préféré faire ce qu’on appelle une "objection de conscience" (refus de faire son service militaire). À la place, j’ai dû travailler dans une association, une crèche en l’occurrence. Au contact des enfants et des ateliers créatifs, j’ai senti que quelque chose en moi vibrait, bouillonnait. Ensuite, j’ai voyagé en Inde pendant 6 mois : c’est à ce moment-là que j’ai commencé à dessiner. À mon retour, je me suis installé dans la capitale et j’ai assisté aux cours du soir de la Mairie de Paris. J’ai tout appris tout seul !

Vous travaillez en atelier, chez vous, ou en extérieur ?

Actuellement, je travaille au Ventre de la Baleine à Pantin, un lieu qui regroupe une quarantaine d’artistes de tous les continents, et plus de 300 musiciens.

Quelles sont vos principales inspirations ?

J’éprouve un grand amour pour Matisse, Picasso et Hockney, ce qui se ressent d’ailleurs beaucoup dans mes toiles. Ces artistes ont toujours perpétué une forme de tradition, de transmission, que je considère primordiale dans l’art. Même si je cherche toujours à ancrer mes œuvres dans son temps, je ne suis pas du tout un peintre postmoderniste !

"On me dit souvent que c’est parce que j’ai fait mathématiques que je suis aussi carré dans mes toiles !"[Rires]

Vous représentez exclusivement des intérieurs de villas. D’où vient cette obsession ?

En 2012, je me suis posé la question : "Qu’est-ce qu’être peintre au XXIe siècle ?". Dans les années 2000-2010 à Paris, la photographie et les installations plus conceptuelles avaient la part belle dans les foires d’art. Nous étions submergés d’images, avec la pub, l’arrivée des smartphones... Et puis des artistes comme Lucio Fontana, qui donnait des coups de cutter dans ses toiles, ou Yves Klein, qui a fait une exposition totalement vide, donnaient l’impression que plus rien n’était possible dans l’art. Je me suis dit que si je ne pouvais pas innover dans la technique, j’allais innover dans l’image ! J’ai décidé de travailler une imagerie contemporaine, dans un style qui reste "classique". Cela a donné lieu à une première série d’intérieurs : Villégiatures. Dès lors, je n’ai cessé de représenter des villas d’architectes des années 70’, selon une technique presque semblable à celle des peintres de la Renaissance.

C’est vrai que dans certaines toiles de votre nouvelle série "L’entre-deux-mondes", on remarque un compas, un cube, des éléments qui pourrait justement faire écho à un art presque géométrique…

Tout à fait ! Mon travail, c’est de la composition. Comme dans une partition de notes de musique, je viens agencer les éléments entre eux pour créer un équilibre sur la toile. J’aime aussi faire des petits clins d’œil à d’autres artistes dans mes tableaux. Les cubes et les sphères font référence à l’Alchimiste de Paulo Coelho. Chacun des éléments de mes tableaux – les statuettes africaines, les livres, les estampes japonaises etc. - laisse un message, une petite trace. Comme Matisse, je fais très attention à ce qu’il y ait un équilibre parfait pour l’œil, entre tous les éléments. Chaque objet est travaillé comme s’il était une tache de couleur au sein de l’espace coloré que je crée. On me dit souvent que c’est parce que j’ai fait mathématiques que je suis aussi carré dans mes toiles ! [Rires]

Au premier matin du monde - 116 cm x 89 cm - 2024

Vous peignez des intérieurs, qui donnent toujours sur un extérieur. Vous vous considérez plutôt comme un peintre d’extérieur ou d’intérieur, ou comme un peintre de la frontière entre intérieur et extérieur, cet "entre-deux-mondes" comme vous l’avez appelé ?

Dans la littérature, il y a différents niveaux de lecture possible (poétique, politique, sociologique…). Dans la peinture c’est la même chose. On peut voir mes tableaux comme des intérieurs colorés très sympathiques. Or, la frontière entre l’intérieur et l’extérieur que je représente n’est pas seulement picturale, elle est aussi mentale. L’intérieur, c’est son chez soi, l’endroit où l’on se sent bien, tandis que l’extérieur présente plus de risques, voire de dangers. Ma série « Shao Uo » de 2016 illustre bien cette scission entre un intérieur-cocon, très coloré, et des plantes à l’extérieur, sauvages et agressives. Mais dans d’autres toiles, la vue de la mer ou du ciel, me permet d’ouvrir le tableau vers un horizon. Il faut bien garder ce double sens à l’esprit…

"Mes toiles sont comme mon palais intérieur, où je peux ranger toutes mes idées, composer mon propre ordre. L’acte de peindre m’équilibre."

On a l’impression que tout est bien rangé, disposé, que tous les objets sont en ordre et en parfaite harmonie. Ça m’a fait penser à la maison du film Mon Oncle, de Jacques Tati, mais dans une version joyeuse, colorée, et apaisante. Quel est votre rapport à l’ordre et au désordre dans votre peinture ? Est-ce que vous voulez représenter une harmonie, ou y a-t-il aussi derrière une réflexion sur l’obsession pour le rangement, pour l’ordre ?

Dans la vie, et dans mon atelier, je suis très bordélique ! [Rires] En revanche, mes toiles sont comme mon palais intérieur, où je peux me ranger toutes mes idées, composer mon ordre intérieur. L’acte de peindre m’équilibre.

Balam Canché - 100 cm x 81 cm - 2024

Qui sont les propriétaires de ces villas que vous peignez ? Est-ce que vous les imaginez ?

Pas du tout ! Ce qui m’intéresse ce n’est pas la personne qui habite dans la villa, mais plutôt ce que je vais mettre à l’intérieur. Pour m’inspirer, je glane des images dans des magazines de design : je regarde la forme de telle ou telle villa, la position des fenêtres, des murs, comme si c’était une coquille vide. J’ai aussi un carnet de croquis, où je dessine tous mes petits éléments, toutes mes "données" - mes chaises, mes statuettes africaines, mes cubes - que je vais ensuite composer dans mon tableau.

Ecstasis - 180 cm x 140 cm - 2024

Il y a presque toujours aussi des tableaux sur vos toiles. J’ai reconnu des toiles de Rothko, des estampes japonaises de Hiroshige. Pouvez-vous nous en dire plus sur toutes ces références ?

Les tableaux de Rothko sont un clin d’œil à l’exposition qui a eu lieu cette année à la Fondation Louis Vuitton. J’aime beaucoup les plantes que peint Ellsworth Kelly aussi, auquel j’ai fait référence dans une de mes toiles, avant même de savoir qu’il serait aussi exposé à Vuitton ! Maintenant on a un double Vuitton dans ma toile ! [Rires] Quelquefois, c’est aussi pour le pur plaisir de peindre en miniature des œuvres sublimes.

"Ce qui m’intéresse ce n’est pas de multiplier les projets, mais plutôt de susciter un regard sur mes tableaux !"

Il me semble qu’on trouve une évolution dans la texture de vos œuvres, qui semblent aller de plus en plus vers la lumière et éclaboussent l’œil de soleil. Est-ce le cas ?

Complètement ! Dans la série "Entre-deux-mondes", j’ai plus que jamais travaillé l’intensité des couleurs, pour amener une lumière très puissante ! Et puis j’ai découvert des nouvelles huiles – les huiles Leroux – qui sont composées uniquement de pigments purs ! Quelquefois un simple changement d’ingrédient peut changer ta manière de peindre, et apporter de la lumière au tableau.

L'ouverture à la lumière - 116 cm x 89 cm - 2024

Enfin, quels sont vos projets à venir ?

Je travaille sur des grandes natures mortes pour une exposition en Allemagne avec le sculpteur Jules Andrieu l’année prochaine. Je pense insérer dans mes natures mortes en très grand format certaines de ses sculptures. Et puis je voudrais m’amuser à insérer des toute petites toiles qui seraient en fait mes propres tableaux ! Il y aura des perroquets, des plantes… Je vais aussi retourner à Miami, pour la foire Art Miami où j’ai déjà exposé. J’ai un projet, qui s’appelle "Dedans Dehors", à venir en avril 2025, avec un collectionneur. Il souhaite acheter les œuvres de 10 artistes, pour ensuite les exposer pendant 10 ans dans un appartement qui donne sur le Vieux Port de Marseille. À la fin de l’exposition, quelqu’un écrira un texte sur les artistes, et un livre sera publié. Ce qui m’intéresse ce n’est pas de multiplier les projets, mais plutôt de susciter un regard sur mes tableaux !

"L’entre-deux-mondes", de Mickaël Doucet à la galerie Escobar (Marseille, VIIIe) jusqu’au 5 juillet prochain.

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