INTERVIEW

Mathilda : "C’est très important d’avoir des figures féminines qui ne sont pas désolées de qui elles sont."

Publié le

6 février 2025

Une voix soufflée, un timbre envoûtant… On murmure qu’elle serait la nouvelle Lana Del Rey française, mais Mathilda est bien plus que cela. Artiste à l’aura en clair-obscur, elle façonne un monde à son image : cinématographique, fantastique et teinté de mystère. Sur scène, elle envoute son public, l’attirant dans un paysage sonore minutieusement conçu, perfectionné. Le 24 janvier dernier, elle dévoilait son tout premier chapitre musical, nous entraînant dans les couloirs étranges de L’Hôtel Hilbert, un lieu aux frontières du réel et de l’imaginaire. Avant son passage à l’Hyper Weekend Festival, S-quive a rencontré cette artiste fascinante.

Mathilda ©Elisa Parron

Votre nouveau clip : "Évidemment/ Shoganai", nous transporte dans l’univers de l’Hôtel Hilbert. Pouvez-vous nous présenter cet hôtel, comme si vous en faisiez le synopsis d’un film ?

L’hôtel Hilbert, c’est le seul hôtel infini du monde. Il est dirigé par ce réceptionniste un peu étrange nommé Tony. Il est le seul personnage omniscient du projet. Je joue un humble personnage qui vient faire un séjour dans cet hôtel pour découvrir les aléas de l’infini, trouver des réponses, peut-être se perdre parfois… En tout cas, on se cherche quoiqu’il en soit et on trouve des choses plus ou moins inattendues, plus ou moins belles, ou plus au moins sombres aussi. C’est une sorte de miroir finalement.

Et cela signe le premier chapitre de votre série musicale ? Pouvez vous nous parler du processus de création derrière ce projet et pourquoi vous le présentez sous cette forme ?  

C’était de grandes réflexions avec des personnes qui font partie de l’industrie musicale par rapport aux sorties classiques qu’on peut faire, nous, en tant qu’artiste émergent. C’est-à-dire sortir des EP, et puis des albums... Ce format, j’y suis déjà passée deux fois et il ne me convenait pas vraiment. Il y a ce côté à mettre en avant quelques morceaux sur les plateformes qui se retrouvent ensuite effacés par les EP qui suivent. C’est triste de devoir choisir, et venant du cinéma, avant même la musique, j’avais vraiment envie de créer une œuvre plutôt que quelque chose qui puisse s’étaler sur le temps.  C’est, je crois, environ 5000 sorties de titres en France tous les vendredis, c’est vraiment énorme ! Tu peux essayer de faire des vidéos, de la promo pour essayer de relancer la chanson, mais je trouve qu’à un moment donné, ça s’épuise. Je suis beaucoup plus à l’aise avec cette idée de série musicale qui rassemble, au final, toutes mes passions : le cinéma, la musique, la mise en scène, le live. J’aime que les gens comprennent ce qu’ils ont besoin de comprendre. Ça donne cette liberté d’avoir une lecture que tu auras à laquelle moi je n’ai pas du tout pensé, et c’est ce qui est génial.

"Je ne suis pas dans la considération portée sur le business, mais sur la beauté, sur ce qui est exprimé, sur l’art et tout ce qu’il représente."

L’Hyper Weekend Festival vous offre une opportunité exceptionnelle de faire votre retour sur scène aux côtés d’artistes de renom tels que Hoshi ou Raphaël. Vos collaborations sont nombreuses (SCH, Christophe, Rilès, Dinos, Patricia Kaas, Kyan Khojandi, entre autres) et réunissent des humoristes, des rappeurs et des chanteurs de variété française. Quelle importance accordez-vous à cette diversité, et qu’en retirez-vous ?

Ce qui compte pour moi, c’est l’humain. La seule question que je me pose, et c’est un peu comme à travers un regard d’enfant : est-ce que ça me touche ? Ai-je envie de faire partie de cette histoire-là ? Je ne suis pas dans la considération portée sur le business, mais sur la beauté, sur ce qui est exprimé, sur l’art et tout ce qu’il représente.

Qu’attendez vous de la scène du festival ?

Je souhaite, avec l’équipe qui m’accompagne sur la tournée et avec qui j’ai pu répéter dans les bonnes conditions, proposer un live immersif, de la même manière qu’est le clip de l’Hôtel Hilbert sur YouTube. On veut vraiment recréer cet univers sur scène, avec toujours les interventions de Tony, par exemple, et aussi des invités qui interviendront.

Quel regard portez-vous sur les femmes dans l’art ?

J’adore les femmes. Je trouve que nous sommes incroyables. Tout ce qu’on sait et peut faire, est vu certaines fois comme un sort mais qui, pour moi, est plutôt de l’ordre du don. Je ne vais pas m’excuser d’être une femme pour plaire à qui que ce soit et rentrer dans les codes. Je ne triche pas et je propose une image travaillée, c’est très important d’avoir des figures féminines qui ne sont pas désolées de qui elles sont. Je pense aux actrices des années 1960, que ce soit des Claudia Cardinale, des Sophia Loren, ou plus récemment, je pense à Béatrice Dalle avec son féminisme plus "cru" et "franc". Je m’en inspire tous les jours et j’en suis admirative.

Vous ne vous concentrez pas uniquement sur la musique, mais aussi sur l’image, avec une place importante accordée au cinéma dans votre création. Que cherchez-vous à raconter à travers l’Hôtel Hilbert ?

A travers L’Hôtel Hilbert, je joue un personnage qui va véritablement se découvrir au fur et à mesure des chapitres. Je suis souvent accompagnée de Tony le réceptionniste, personnage asexué avec qui il n’y a pas de jeu de séduction et qui est en quelque sorte un guide, un marionnettiste dans l’histoire. A l’instar de la série "White Lotus", il s’agit là d’une critique de la société, où je mélange du sarcasme, du cynisme, de l’humour, de l’autodérision. J’incarne un personnage qui est un peu malmené dans cet hôtel [Rires]. C’est important pour moi de montrer qu’à toujours vouloir se regarder, évidemment qu’on finira par trouver quelque chose qui ne va pas, mais est-ce vraiment une réalité ? Nous sommes, aujourd’hui, tous très autocentrés et c’est important de dire quand ça ne va pas trop.

Votre style musical est souvent comparé à celui de Lana Del Rey, pouvez vous me dire ce qui vous rassemble ?

Je suis toujours surprise très positivement quand on me compare à Lana del Rey. Malgré notre différence d’âge, nous sommes très attirées par les années 1960. Le cinéma mais également la musique à travers notamment Nancy Sinatra. Tout ce féminisme et cette féminité. Cela rejoint aussi cette sensualité que nous pouvons avoir en commun. Et aussi cette voix soufflée, basse, un peu nonchalante.

"C’est lui qui m’a poussé à chanter en français, c’est lui qui écoutait mes premières maquettes et me faisait des retours honnêtes et très complets !"

Le chanteur Christophe nous a quitté en 2020. Nous savons combien il a compté pour vous, tant sur le plan artistique que personnel. Qu’a-t-il su voir en vous ? Quels conseils vous a-t-il donnés qui vous inspirent encore aujourd’hui ?

Christophe, c’est quelqu’un de fabuleux. En 10 secondes, vous auriez compris le personnage. Il a fait tout ce qu’une personne de bienveillante peut faire. Je suis reconnaissante à l’infini. Il a su voir en moi ce que je n’osais même pas apercevoir. C’est lui qui m’a poussé à chanter en français, c’est lui qui écoutait mes premières maquettes et me faisait des retours honnêtes et très complets ! Et même quand ça n’allait pas, il me le disait. C’était vraiment un ange-gardien, un mentor. Il était un perfectionniste maladif et il me l’a un peu transmis [Rires]. Notre morceau "Océan D’amour", je me souviens, on en a fait je pense une centaine de versions. Il m’appelait à 4 heures du matin en me disant : "Le piano, là ça ne va pas, il faut tout recommencer". Nous avons travaillé de façon acharnée tous les deux. Ça été une bénédiction de le connaître.

Quel est le contexte idéal dans lequel vous aimeriez que votre musique soit écoutée : ambiance, moment de la journée, lieu, entourage ?

Eh bien justement, avec le projet de l’Hôtel Hilbert, je pense qu’il y en a pour tous les goûts. Il y a des sons où on va pouvoir danser, d’autres plus orchestraux et étranges où on se plongera dans la musique… Libre à chacun de choisir et c’est ça le plus beau.

Faites-nous la promotion de votre musique au près d’un ado, d’une personne adulte et d’un personnage âgé ?

Le point commun qui touche toutes ces générations, c’est que ce projet est ludique. Il y a des épisodes où on peut revenir, réécouter. On ne sait pas trop ce qu’il peut se passer. Je veux investir les gens dans cet hôtel, c’est un mini court-métrage, il va se passer plein de choses. Et il y aura forcément des invités au sein de cet hôtel… Le maître mot, c’est "ludique"..

Qu’esquivez-vous dans la musique ?

L’égo de cette industrie qui est vraiment la grosse machine broyeuse de toute forme artistique, de pureté et de naïveté. C’est un milieu qui peut se montrer fourbe et pas très joli, j’essaie d’esquiver au maximum ce mauvais côté.

Si vous étiez un film ?

Elephant Man.

Le rêve récurrent que vous faites ?

Je faisais énormément de gym petite, et je rêve souvent que je fais de la poutre [Rires]

La langue que vous aimeriez parler ?

L’espagnol mais je trouve aussi le japonais très riche.

La personne avec qui vous rêvez de discuter ?

Avec Mylène Farmer !

Si vous deviez avoir un super-pouvoir quel serait-il ?

Donner de la tranquillité et de la paix à quiconque.

Une phrase que vous diriez à la jeune Mathilda ?

On y va, on l’a fait, on ne va rien lâcher. Il y a eu beaucoup d’obstacles mais tout s’est aligné.

Comment êtes-vous pendant une dispute ?

Je suis quelqu’un de très calme et qui déteste la colère, mais si on me provoque je peux dire des mots vraiment nuls et qui dépassent ma pensée. Je l’évite complètement.

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