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Mannequin internationale et photographe, Manon Leloup a travaillé pendant plus de 12 ans dans l’industrie de la mode. Après l’effervescence liée au milieu et son documentaire Paroles de poupées dans les coulisses des fashion week, la photographe a souhaité retrouver le calme en s’installant en Lozère. Aujourd’hui, elle immortalise les gens, à coup de clichés naturels et authentiques.
Si vous deviez vous présenter en quelques mots...
Je suis une grande girafe qui vient du nord de la France, je suis créative, généreuse et sincère. Je souffre d’épisodes dépressifs. J’adore les chiens. Je préfère la poésie à la philosophie.
Depuis quand êtes-vous passionnée de photographie ?
Quand j’avais 13 ou 14 ans, j’ai rejoint un atelier de photographie argentique avec le développement noir et blanc des images réalisées. Bien sûr, nous étions déjà dans l’ère numérique mais j’aimais la magie de la pellicule. J’ai commencé avec mon tant aimé Nikon FM, un reflex argentique. Ma maman avait fait, avec ce même boîtier, des photos de famille vraiment jolies qui m’ont probablement donné envie. J’organisais des séances photos dans ma chambre, donc naturellement j’avais plutôt envie de prendre les gens en photo plutôt que de photographier les paysages. J’adorais les nus de Jeanloup Sieff. Actuellement, j’étends mon travail en appliquant de l’encre de couleur sur des tirages de portrait noir et blanc. J’explore aussi plusieurs médiums d’expression artistique : dessin, encre, peinture, argile…
De manière générale, préférez-vous être devant ou bien derrière l’objectif ?
La question est compliquée car, pour moi, les deux font appel aux mêmes sens : quand je travaille en tant que mannequin, je "vis" l’image. J’aime beaucoup quand les photographes me laissent proposer des choses : je fais vivre le vêtement avec un processus de références imaginaires. Par exemple, pour faire une série éditoriale avec des robes de haute couture, j’imagine que je porte un vieux jean et naturellement le contraste entre l’attitude et le vêtement apporte quelque chose de chouette. J’ai développé beaucoup de réflexes pour que la silhouette soit la plus avantageuse possible par rapport aux vêtements et au résultats recherché. Je me suis beaucoup amusée à faire des poses en imaginant être Michael Jackson ou bien un cow boy avec deux pistolets, imaginer retrouver l’amour de ma vie pour sourire juste avec les yeux, être une actrice italienne des années 1960… Selon moi une bonne mannequin est à mi-chemin entre le danseur, le mime et l’acteur. Par ailleurs, je ne me soucie pas d’être belle ou ne pas l’être, je fonctionne de façon instinctive. Quand j’ai le rôle de photographe, je travaille tout autant en contact avec mon instinct : je suis absorbée par la vision des formes, des ombres, et ce que dégage mon model. Je m’adapte à la personne : je peux diriger énormément tout en laissant place aux propositions. Mon expérience me permet de voir rapidement ce qui fonctionne le mieux dans les postures : écarter un pied, cambrer une hanche pour que l’image prenne une autre dimension.
"J’ai eu la chance d’être exclusivité éditoriale avec David Sims pendant 6 mois. Il m’a beaucoup complimentée et je me suis sentie importante. C’est ce que j’essaie de reproduire avec les autres !"
Qu’est-ce que le monde de la mode vous a apporté en photographie ?
J’ai pu observer des centaines de photographes, travailler, et s’adapter aux aléas de la météo, de la lumière naturelle, des demandes de leur clients. Les esthétiques et les codes de la mode se sont indéniablement imprégnés dans ma vision des choses. J’ai beaucoup travaillé avec David Sims qui est très important dans le milieu et j’ai eu la chance d’être exclusivité éditoriale avec lui pendant 6 mois. C’est incroyable car il est capable de changer d’idée en modifiant complètement la lumière du studio en un éclair ! Il m’a beaucoup complimentée et je me suis sentie importante. C’est ce que j’essaie de reproduire avec les autres ! Je fais attention à expliquer tout ce que je fais et ce je vois pour ne pas laisser la personne dans le flou, à perdre son énergie. J’ai l’impression que les gens apprécient mon empathie, savent généralement que j’ai été face à l’objectif et se détendent, c’est thérapeutique !
Vous avez réalisé un documentaire il y a 11 ans, Paroles de poupées, sur le quotidien des mannequins lors de la fashion week. Comment avez-vous vécu cette période intense avec vos amies mannequins ?
Pour Paroles de poupées, c’était lors de ma deuxième saison, la première avait été surprenante, magique et grisante : tout s’est passé très vite. J’avais envie de documenter cet univers, je me suis procurée une caméra sur place et j’ai tellement filmé que les filles ne faisaient plus attention à moi. J’adorais mon double rôle de mannequin et espionne à la caméra. Les rencontres avec les autres mannequins ont été super enrichissantes. Nous venions de plein de pays différents avec un bagage socio-culturel différent tout en étant confrontées à la même situation. Nous vivions des choses intenses et difficiles, loin de chez nous. Je n’ai pas remarqué de comportement négatif lié à la concurrence et la jalousie car nous comprenons vite que l’on ne peut pas agir sur les choix des directeurs de casting. J’étais fascinée par la beauté des autres filles. J’estime avoir eu quelques "muses", comme Marine Deleeuw que j’ai beaucoup photographiée.
A la fin du documentaire, vous évoquez le moment où il faudra "réattérir à la vie normale" après s’être habituée à la vie de mannequin. Comment s’est passé cette étape ?
Ça ne se passe pas du jour au lendemain. Dans ma vie privée, je suis tombée dans une période très sombre et très anxieuse. Le mannequinat, avec son instabilité, n’a pas aidé dans le sens de la santé mentale même si c’était toujours un grand exutoire pour moi de participer à un shooting. Je me suis progressivement et naturellement installée en Lozère, la région moins peuplée de France ! J’avais rencontré mon futur compagnon qui vivait là-bas. En Lozère, les paysages sont variés et magnifiques, j’y ai découvert la simplicité des gens, leur gentillesse et j’ai pu avoir rapidement une prise en charge dans un centre médico psychologique.
Votre vision du monde de la mode a-t-il changé en 10 ans ?
Ce qui est sûr c’est que les super modèles, c’est fini depuis longtemps ! Il y a beaucoup de nouvelles agences de mannequin, énormément de mannequins et tout le monde recherche des "nouvelles têtes. Les designers et les directeurs artistiques évoluent avec les progrès de la société : il y a davantage d’inclusion. Plus de mannequins noires, métisses, asiatiques, transsexuelles, non genrées, des filles avec des vraies formes dite “curve” sont apparues dans les défilés. J’ai remarqué que l’on commençait à moins retoucher les photos, laisser les vergetures, les petites rides… Et puis j’ai vécu l’explosion des réseaux sociaux avec Instagram. En 2012, je prenais des photos argentiques dans les backstages et j’étais la seule. Aujourd’hui, les téléphones sont les appareils photo : et il a une injonction à se photographier partout et tout le temps pour nourrir l’image que l’on veut donner sur les réseaux sociaux. Incitées par les agences, les mannequins deviennent aussi des influenceuses. Personnellement, je trouve que ce n’est pas le même métier et j’ai trouvé cela pénible. C’est tout un travail de créer du contenu qui doit être 100% positif pour être stylée, sportive, jolie, heureuse, montrer qu’on fait du yoga et qu’on mange bio, parce que ça plaît et que ça fait augmenter le nombre de followers. Malgré tout, c’est aussi la possibilité d’avoir une “voix”, de s’exprimer, d’exposer des créations, d’aider des associations et des causes.
Comment vous sentez-vous dans votre corps ?
Quand je faisais du 34/36 pour 1m80, je complexais sur mon ventre parfois ballonné, sur mes fesses que je ne trouvais pas assez musclées, sur la largeur de mon bassin… Aujourd’hui, j’ai 35 kg de plus, parfois, j’ai du mal à me reconnaître au détour d’un reflet mais globalement j’apprécie d’avoir plus de poitrine, plus de formes. Je refuse de complexer. J’ai mieux à faire. Quand je me regarde ou que je montre des photos de moi avant, je ressens un peu de nostalgie mais je sais que derrière ces images magnifiques se cache une grande tristesse. Ce que j’ai vraiment appris dans la vie, c’est qu’il ne faut jamais se fier aux apparences. J’ai eu la chance de n’avoir aucun problème de trouble alimentaire et d’avoir un très bon métabolisme, j’étais mince naturellement. Mais lorsque l’on fait une dépression sévère, on peut être confronté à une prise de poids. Il y a deux choses essentielles et inséparables pour remonter la pente : la chimie et la thérapie.
"Je suis spontanément portraitiste, j’aime mettre en lumière toutes les beautés."
Qu’est-ce que vous esquivez ?
Peut-être que j’esquive mes véritables ambitions. J’ai réduit mes ambitions à un rang plus local, moins grandiose et ça m’a fait du bien. Cela n’empêche pas que ça puisse évoluer. Mon compagnon a été réalisateur. Il a fait la plus grande école de cinéma d’Europe, et il me dit : "Manon, il faut que tu fasses de la photo d’art, que tu exposes en galerie, que tu réalises ton court-métrage et que tu refasses du théâtre". Pour l’instant, je fais les choses pour moi, pour le plaisir, tout en pratiquant la photographie "commerciale" en dehors des sentiers de la mode : mariages, photo de famille… J’aime apporter aux gens mon savoir-faire, sans calculer ma carrière. Finalement, je me sens très libre et décomplexée.
Quelles sont vos inspirations en photographie ?
Mes inspirations sont variées et ambivalentes, j’aime la photographie "documentaire" de la vie réelle pourtant je suis influencée par le cinéma, les actrices et la photographie de mode. Je recherche une image forte mais "évanescente", intemporelle et authentique. J’aime autant Nan Goldin que Paolo Roversi, Sally Mann, Peter Lindbergh, Hans Silvester avec ses portraits en Éthiopie… En peignant à l’encre de couleur sur des portraits noir et blanc, j’explore l’idée d’un masque. Les masques interchangeables que nous portons… La couleur apporte une humeur et une identité à partir d’un visage figé dans le temps par le noir et blanc. Il y a beaucoup de choses que je souhaite continuer à explorer sur plusieurs supports.
Quels messages cherchez-vous à faire passer à travers vos photographies ?
Peu m’importe les messages qu’il pourrait y avoir dans mes images, ce qui m’importe ce sont les émotions qu’elles procurent. Mes photos sont le résultat d’un échange avec des personnes qui m’ont fait confiance. Je suis spontanément portraitiste, j’aime mettre en lumière toutes les beautés.
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