INTERVIEW
Publié le
9 juin 2023
Etoile montante du rap londonien, Jeshi a performé, cette année, au festival We Love Green. Sorti le 27 mai 2022, son album Universal Credit conte son histoire personnelle et dresse le portrait complexe de la jeunesse anglaise autour de textes introspectifs et poétiques.
L’interview se déroule au village des artistes, un lieu paisible et reculé du reste du festival, vendredi soir avant sa performance sur scène. Jeshi est avenant et enthousiaste à l’idée de répondre aux questions. Il évoque son amour pour Londres, sa ville de cœur, l’idée derrière son album Universal Credit et partage de très bons conseils.
Vous avez l'habitude de jouer à Londres, le public français de We Love Green est tout nouveau pour vous. Comment vous vous sentez à l'idée de performer ce soir ?
Je me sens très bien ! Je n'ai jamais joué dans un festival en France. J'ai fait pas mal de concerts à Paris à la fin de l'année dernière pour Pitchfork, c’était vraiment bien, il y avait un bon public. J'adore jouer à Londres, mais c'est bien aussi d'aller dans d'autres endroits et de rencontrer d’autres publics.
Le public des festivals change-t-il beaucoup de celui des concerts ?
Je pense que les festivals sont beaucoup plus fun. Les gens sont beaucoup plus ivres [Rires] Ils sont là pour passer un bon moment. J’apprécie plus les festivals et je pense que les gens les apprécient plus aussi. Dans l'ensemble, c'est une bonne ambiance et un bon environnement pour tout le monde. J'adore aller dans les festivals, même si je n'y joue pas. Mais c'est encore mieux quand on joue !
Si vous deviez vous présenter aux autres avec une seule musique, quelle serait-elle ?
Je pense que "3210" est un bon choix. Il y a une très bonne énergie britannique dans la production et elle raconte les hauts et les bas d'être jeune, de ne pas avoir beaucoup d'argent et de vivre dans une période aussi folle. Je leur dirais probablement d'écouter tout l'album, mais si je devais choisir une chanson, je choisirais celle-là aujourd'hui.
"Je voulais faire quelque chose d'humain, auquel les gens pouvaient s'identifier."
Vous avez sorti votre premier album, Universal Credit, le 27 mai dernier. Que voulez-vous que le public retienne de celui-ci ?
Pour moi, l'important avec cet album, c’était d'essayer de montrer aux gens les imperfections de la vie et non pas cette "rosy vision" selon laquelle la vie est parfaite tout le temps. Tout le monde est obsédé par le fait de se montrer d'une certaine manière, ce qui n'est pas très humain d’après moi. Donc je voulais faire quelque chose d'humain, auquel les gens pouvaient s'identifier.
Quelles étaient vos inspirations étant adolescent ?
Quand j'étais très jeune, ma mère avait beaucoup de CDs, des disques d'Eminem, de The Neptunes et d'Erykah Badu. Ce sont les artistes que j'écoutais très jeune, avant d'avoir les moyens de sortir et de chercher mes propres trucs. C'est ce à quoi j'avais accès et, encore aujourd'hui, ce sont des musiques que j'aime beaucoup et qui résonnent toujours en moi. J'adore cette période du début des années 2000 et de la fin des années 1990, il y avait tellement de bonnes musiques.
Londres est une ville très importante pour vous. Vous y avez grandi et vous en parlez beaucoup dans votre musique. Qu’est-ce que vous aimez le plus à Londres ? Pourquoi cette ville est si importante ?
Ce que j'aime le plus, c'est la mixité. On côtoie des gens qui ont de l’argent, des gens sans argent, des gens de toutes les origines ethniques, de toutes les orientations sexuelles. C'est comme un grand "melting-pot" de plein de choses différentes. Je pense aussi que la ville est si petite et si rapide qu'elle donne naissance à de grandes œuvres d'art parce qu’il y a beaucoup de colère et de "feelings". Les gens veulent faire des choses qui signifient quelque chose parce qu'ils n'ont pas l'impression d'avoir grand-chose justement. La plupart du temps, tout le monde se bat pour faire quelque chose, ce qui n'est pas toujours génial, mais c'est aussi ce que j'aime à Londres.
"Si tu peux faire quelque chose qui peut aussi toucher les gens et apporter des changements, alors c'est génial."
Vous accordez une attention particulière à vos textes qui sont socialement engagés. Pensez-vous que la musique doit nécessairement porter un message ?
Pas nécessairement. Si c'est quelque chose que tu ressens, c'est bien, mais ce que je déteste, ce sont les gens qui se forcent à le faire sans que ce soit vraiment ce qu'ils sont ou ce à quoi ils tiennent vraiment. C'est très bien si c'est le cas, c'est un bonus, mais pour moi, la chose la plus importante, c’est la bonne musique. Si tu peux faire quelque chose qui peut aussi toucher les gens et apporter des changements, alors c'est génial, mais je ne pense pas que ce soit pour tout le monde. J'aime beaucoup de musiques qui n'ont même pas de paroles, qui ne disent rien sur le monde, et c'est quand même de la bonne musique.
Pouvez-vous me parler du processus créatif derrière votre musique ?
J'ai la chance d'avoir des musiciens extraordinaires autour de moi. Au studio, on se met dans l’ambiance et on s’amuse avec des idées et la production. Ensuite, j'essaie de trouver quelque chose qui me plaît, je commence à écrire des paroles et à tout assembler ensemble. J'essaie de ne pas prendre ça trop au sérieux parce que c'est mon travail mais j'aime le faire et ça devrait être fun ! En fait, j'essaie juste de passer un bon moment et de m'amuser. Ce qui est bien, c'est qu'il en résulte souvent de bonnes choses.
Quelle serait la collaboration de vos rêves ?
La question de la collaboration est toujours délicate, ça dépend des jours… Je vais juste dire qu'il y a un groupe londonien que j'adore qui s'appelle Warmduscher, ils sont géniaux !
"Je pense que le meilleur conseil que l'on puisse donner à quelqu'un est de n’écouter personne parce que personne ne sait rien."
Quel est le meilleur conseil que vous ayez jamais reçu dans l'industrie musicale ou humainement parlant ?
Je pense que le meilleur conseil que l'on puisse donner à quelqu'un est de n’écouter personne parce que personne ne sait rien. Surtout quand on est jeune et qu'on fait de la musique, c'est tellement facile d'écouter ce que les gens de l'industrie musicale nous disent, parce qu'on pense qu'ils en savent beaucoup plus que nous. Mais en fin de compte, je pense que personne ne sait rien. Tout le monde prétend savoir, mais tout le monde se contente juste d'improviser. Lorsque tu te rends compte de ça et que tu réalises que tes pensées et tes sentiments n'ont pas moins de valeur que ceux des autres, je pense que tu prends les meilleures décisions. Parce qu'elles sont basées sur ce que tu veux, et non sur ce que les autres veulent que tu fasses.
Est-ce que vous projetez votre carrière dans le futur, avec de nombreux projets et objectifs en tête, ou c’est plus au jour le jour ?
Un peu des deux. Evidemment, j'ai plein de choses en tête que j'aimerais faire, mais j'essaie d’y parvenir en fonction de ce qui se trouve immédiatement devant moi et des choses que je peux contrôler. Parce que je pourrais m'asseoir ici et dire : "Je veux jouer à ce festival, je veux faire ceci", mais en fait, c'est toutes les petites étapes qui font qui je suis ici aujourd'hui, que je participe à ce festival, que je sors cette chanson, que je finis ceci, etc... C'est l'ensemble de ces petites étapes qui te permet d'atteindre ces objectifs. Donc j’essaie de me concentrer sur les choses immédiates qui m'entourent et que je peux contrôler.
Enfin, quelle est votre découverte musicale de ce festival ?
Il y a beaucoup d'artistes que j'ai hâte de voir : ce groupe, JockStrap, qui vient aussi de Londres, et Young Lean. C'est vraiment bien organisé, il y a tellement d'artistes géniaux. J'espère que j'aurais un peu de temps pour faire le tour et que je découvrirais de nouveaux artistes.