ARTS
Des marabouts béninois à Harry Potter en passant par la grande illusion et les sœurs Halliwell de Charmed, la sorcellerie est à l'honneur au Musée des Confluences, à Lyon. Jusqu’au 5 mars 2023, l'exposition "Magique" raconte l'histoire d'une fascination bien réelle et mondiale, à travers un parcours initiatique dans l'univers de la magie.
"La pensée magique reste très présente dans nos sociétés cartésiennes", s’amuse Francis Duranthon, directeur du Muséum d’Histoire naturelle de Toulouse, où est né l'acte I de l’exposition "Magique". La présence des nombreux mediums et cartomanciens italiens sur la Piazza Navona à Rome, la pratique de médecines alternatives lors de festivals chamaniques amérindiens dans le Sud-Ouest américain, ou encore la persistance de simple superstitions quotidiennes viennent en attester. À ce titre, plus d’un quart des Français a déjà eu recours à une voyante ou un médium, dont le nombre s’élève à 100 000 en France (RTL, 2019). Pourquoi nos sociétés contemporaines sont-elles autant fascinées par l’univers de la magie, alors même que celles-ci sont intrinsèquement dominées par le progrès et ses irréfutables avancées scientifiques ? C'est ce mystère que tente de résoudre l'exposition "Magique", levant le voile sur les pratiques les plus occultes, à travers des centaines d'objets.
Les rituels et pratiques relevant du monde de la magie remontent aux confins de l’humanité, mais plus précisément à l’Antiquité égyptienne et grecque. Ainsi l’exposition offre une approche universelle et multisectorielle de l’histoire des croyances occultes, et de leur confrontation progressive au développement des sciences humaines. Des marabouts béninois aux guérisseurs vaudous, l’exposition dévoile par le prisme d’objets symboliques, une magie d’abord issue des phénomènes naturels et des éléments (plantes magiques, pierres vertueuses, astres divinisés…), puis ensuite une magie relevant du monde du spectacle et de l’illusion.
L’exposition met également en lumière comment la magie moyenâgeuse s’est d’abord présentée pour les précurseurs scientifiques comme un raccourci permettant de comprendre le sens de la vie, comme un outil pour expliquer le monde, penser l’invisible et l’inconcevable. Cependant, la Renaissance est aussi le moment de la plus importante répression des adeptes de la sorcellerie, ceci pendant quatre siècles jusqu’à un éditroyal de 1682. Ceci conféra à la magie toute sa dimension énigmatique, discrète, et occulte par la suite. À travers la présentation de nombreux rituels, le parcours de l’exposition s’intéresse peu à peu au spiritisme, aux "magies de l’intime", puis à l’ambivalence de l’intention magique, qui peut être aussi bénéfique que maléfique. Une impressionnante collection d’amulettes protectrices et de statuettes d’envoûtement du XIXe siècle et XXe siècle, illustrent la diversité de ces répertoires ésotériques.
Après avoir foulé un étrange pentagramme à l’entrée de l’exposition, le spectateur avance dans une pénombre embaumante, est le témoin prudent de l’illumination d’une boule de cristal, ou de la mise en abyme d’une séance de spiritisme. Le visiteur sera sans doute amusé d’apprendre que Lyon était le berceau du spiritisme, soit l’ensemble de pratiques visant à entrer en communication avec les morts. En effet, en 1857, le lyonnais Hippolyte Léon Denizard Rivail, sous le pseudonyme d’Allan Kardec, fonde la doctrine spirite qu’il théorise dans Le livre des Esprits.
Dans son livre Sorcières, la puissance invaincue des femmes (2019), Mona Chollet explique comment les mentalités collectives se sont progressivement noyées dans des représentations faussées de la figure de la sorcière. Il s’agissait bien souvent d’une femme laide au nez crochu, juchée sur un balai, et dont le rire machiavélique transperçait la pleine lune. L’exposition revient sur ces "chasses aux sorcières", en tant que véritables génocides institutionnels, sur l’évolution des mythes et des légendes, et enfin, sur les conflits internes au monde de la magie (entre illusionnistes et spiritistes, par exemple). Une mise en débat de notre rapport au monde enrichit alors l'exposition. Elle explore brillamment (avec un manque d’interaction cependant) la fine frontière qui sépare les vérités des "illusions" – toutes sujettes à l’expérience, à la réflexion, et à l’expérimentation.
Finalement, on comprend à quel point la magie est un sujet fédérateur "Qui n’a jamais glissé dans sa poche un grigri ? Elle émerveille, mais elle participe aussi d’une quête de sens", souligne Hélène Lafont-Couturier, directrice générale du musée des Confluences. Ainsi, des premiers contes de fées aux nombreuses saga et séries TV – la sorcière, le magicien, et les phénomènes surnaturels occupent une place de choix dans notre imaginaire collectif. Les sœurs Halliwell, Harry Potter, Gandalf, Sabrina… voici une belle brochette de noms qui, parmi tant d’autres, ont contribué à assoir une curiosité prononcée pour le fantastique, et l’importance idéologique d’une lutte du "bien contre le mal".
La fascination pour le monde de la magie continue d’enchanter les âmes en quête d’émerveillement, et de répondre parfois à certaines de leurs questions existentielles. Les pratiques de sorcellerie moderne (magnétiseurs, hypnotiseurs, astrologues, spécialistes de transe, médiums, etc.) sont les preuves vivantes de la diversité intrinsèque du monde de la magie et de ses évolutions historiques. À l’image d’un grimoire poussiéreux, dont la puissance de ses incantations grandirait avec le temps, la fascination populaire pour cet univers mystérieux semble bien loin de s’affaiblir.
"Magique", jusqu'au 5 mars 2023. Musée des Confluences, 86 Quai Perrache, Lyon 2e.
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