ARTS
Jusqu’au 19 mai prochain, le Bicolore accueille l’exposition ultra fashion, ultra burlesque et ultra nordique : "Liminal Objects". Une mode critique contemporaine. Élégance et extravagance sont au rendez-vous dans l’espace du Bicolore, situé au 2e étage de la Maison du Danemark (Paris VIIIe). Célébration d’une mode qui valorise l’upcycling des matériaux, l’exposition prouve une fois de plus que la mode durable est à la fois raffinée et haute en couleurs !
Une robe entièrement constituée de petites cuillères en argent. Voici le genre de pièce que l’on croise au Bicolore, qui rend hommage à la mode upcyclée jusqu’au 19 mai prochain. L’inspiration de la robe : l’expression bien connue "être né avec une cuillère en argent dans la bouche". Les 8 créatrices et créateurs nordiques présentés dans l’exposition "Liminal Objects", prennent, avec une grande légèreté de ton, la mode très au sérieux.
Comme l’explique Ane Lynge-Jorlén, la curatrice de l’exposition, "la notion de liminalité renvoie au fait de se trouver des deux côtés, dans une phrase de transition, à la limite de deux mondes, et à la coprésence d’opposés". Cette frontière, qui se veut aussi point de contact, se situe entre la mode et l’art, mais également entre l’ancien et le nouveau, puisque toutes les pièces/œuvres/objets haute-couture présentés sont composés de matériaux recyclés. Des plissés aux reflets irisés, un trench XXXL rouge transparent qui s’étire du plafond jusqu’au sol, ou encore une robe-bulle blanche spectaculaire… L’upcycling, croisé au grand talent de la nouvelle génération de stylistes nordiques, a la grande classe !
Jenny Hytönenn ouvre le bal avec un immense voile de résille, parsemé de milliers de perles de verre. The Cyborg Bridge est constitué à partir… d’un filet de pêche, magnifié en une sorte de robe de mariée futuriste. Son travail rappelle celui de la styliste française Clara Daguin, qui brode elle aussi des circuits LED sous ses créations. Ici, le voile s’illumine au gré des battements du cœur de la personne qui le porte. Dans la deuxième salle, la robe bubble de Fredrik Tjærandsen, issue de la collection "Moments of Clarity", impressionne par ses volumes de latex. Le designer norvégien est connu pour ses robes en forme de bulles, que les mannequins font se dégonfler sur les défilés, tels des ballons multicolores. Ici, la silhouette a les bras englobés par deux impressionnants croissants de latex. Des manches ballon, littéralement.
Petra Fagerström se distingue par sa robe aux milles et un plissé, assortie d’une doudoune noire qui rappelle un parachute. La styliste suédoise, qui a remporté le prix de la collection écoresponsable au festival d’Hyères 2023, et le prix Chanel Ateliers des matières, s’inspire de l’histoire de sa grand-mère, une ancienne parachutiste d’URSS. Dans ses créations, elle recycle notamment les chutes de vêtements militaires. Son domaine d’expertise : des plissés dits "lenticulaires", qui se métamorphosent au gré des mouvements, faisant apparaître des images inattendues au travers des motifs. Sa démarche est hautement contestataire : sur les étiquettes d’instructions de lavage, on découvre des poèmes ; derrières les imprimés floraux, des visages de femmes soviétiques. Même lorsqu’elles sont immobiles, une subtile complexité émane de ses créations. La mode porte un message politique fort.
L’exposition propose une réflexion sur la définition même de la mode, avec puissance et légèreté. Si le mot "objets" a été choisi, c’est sans doute parce qu’il neutralise le statut de pièce haute-couture, pour l’ouvrir au champ du design et de l’art. Par exemple, le canapé de Kristine Sehested-Blad, entièrement recouvert de sacs à main, déjoue avec humour l’utilité même de cet objet. Toutes les anses et les boucles métalliques, dépassent du meuble, si bien qu’il est impossible de s’y asseoir confortablement. Peut-être est-ce là un pied de nez aux vêtements haute-couture difficiles, voire complexes (parfois) à porter…
Plus loin, les robes signées Ellen Hodakova ne passent pas inaperçu. Obsédée par la transformation des matériaux anciens en produits de luxe, elle crée des pièces tendances à partir de ceintures, de stylos à bille, ou encore de clous. La pièce phare de la collection : une robe entièrement recouverte d’anciennes cuillères provenant de services en argenterie, inspirée par l’expression "born with a silver spoon in one’s mouth" (être né avec une cuillère en argent dans la bouche). Le ton est donné.
Un trench rouge fascinant, de plus de 2 mètres de long, ferme le bal. Imaginé par la styliste et chorégraphe Cassie Augusta Jørgensen, il fait référence au film Dressed to kill de Brian de Palma. Dans ce dernier, une femme se fait tuer par une inconnue vêtue d’un trench rouge, d’une perruque, et de lunettes de soleil. Le spectateur découvrira que la meurtrière est en réalité une femme transgenre refoulée, bien connue de la morte. Le film participe d’une représentation diabolisée des personnes transgenres, que l’artiste danoise cherche à déjouer. Elle-même femme trans, elle détourne, dans ses performances, cette scène de meurtre qui l’a profondément marquée. Glissé dans une poche du trench, un préservatif, visible en transparence, semble nous rappeler avec humour de toujours sortir couvert. "Liminal Objects", c’est une bouffée d’air frais, made in Europe du Nord, à découvrir au Bicolore.
"Liminal Objects". Une mode critique contemporaine, au Bicolore-Maison du Danemark, 142 avenue des Champs-Élysées (Paris VIIIe) jusqu’au 19 mai prochain.
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