INTERVIEW
Publié le
29 juin 2024
D'origine palestinienne et américaine, Lana Lubany se définit comme le mélange du Moyen-Orient et de l’Occident. Avec des textes mêlant l’arabe et l’anglais, l’artiste porte fièrement son héritage dans sa musique à l’ambiance vibrante et aux paysages sonores riches de nombreuses influences. Porté par les réseaux sociaux, son single "The Snake" est un véritable succès, qui a propulsé l’artiste sur le devant de la scène. S-quive l’a rencontré le jour de la Fête de la musique, quelques heures avant son show à l’hôtel Hoxton (Paris IIe).
Souriante et chaleureuse, Lana Lubany est excitée à l’idée de se produire sur scène ce soir. Avec sincérité et spontanéité, elle revient sur ses origines, le succès de son single "The Snake" et sa vision artistique pour retranscrire ses mots en images.
Vous jouez au Hoxton ce soir pour la fête de la musique, comment vous sentez-vous ? Quelle chanson avez-vous hâte d’interpréter sur scène ?
Je me sens vraiment bien ! Je suis un peu fatiguée, car je me suis levée avant 4 heures du matin pour venir ici, mais je suis très heureuse d'être ici ! J’adore l’ambiance et j'ai hâte de jouer, j'aime faire des concerts acoustiques. Je n'ai pas l'occasion d'en faire beaucoup, mais quand j'en fais, c'est vraiment amusant parce que je peux jouer avec ma voix. Et pour ce qui est de ce que j'ai hâte de jouer, j'adore chanter "Sold" !
Vous transcendez les genres musicaux, comment vous vous définissez en tant qu’artiste ?
J'aime penser que je n'ai pas de limites. J'ai l'impression d'avoir un monde, et dans ce monde, je peux faire ce que je veux. C'est le genre d'artiste vers lequel j'ai toujours voulu tendre et j'ai toujours voulu faire ce que je voulais dans la vie en général. Donc, ça fait sens ! [Rires]
"Pour être entièrement moi, je dois tout immerger dans mon monde et ne rien laisser de côté."
Vous avez grandi en Palestine puis vous avez déménagé à Londres pour étudier la musique. J’imagine que vous avez grandi avec des influences musicales diverses…
Très diverses ! En grandissant, il n'y avait pas de représentation en Occident pour les gens comme moi, pour les palestiniens, pour les arabes, pour les peuples de l'Est. Les enfants de la troisième culture n'étaient pas représentés. En grandissant, je n'ai pas vraiment écouté de musique arabe volontairement, mais elle était toujours en arrière-plan. Chaque fois que j’étais en famille ou que j'allais dans un café, il y avait de la musique arabe qui passait dans le fond. J'adore les classiques de la musique arabe, comme Fayrouz, une grande artiste, et Oum Kalthoum, une autre légende du monde arabe. J'étais donc entourée de cette musique, alors que j'aimais beaucoup la pop et tout ce qui était populaire à l'époque. Mais aussi, ma grand-mère est américaine et elle aime le jazz, le théâtre musical et la musique folklorique. J'aime tellement le folk et le jazz que j'ai l'impression qu'elle m'influence aussi ! C'est en quelque sorte un large éventail d'influences qui se réunissent en une seule. Je pense que c'est ce qui fait que ma musique est la mienne, et c'est ce qui fait que je suis moi.
Vous chantez dans deux langues, l’anglais et l’arabe, est-ce que c’est important pour vous de porter vos origines et votre identité dans votre musique ?
Encore une fois, parce que je n'avais pas cette représentation autour de moi, je n'ai jamais pensé que je pouvais être cette représentation. Je pense qu'il est très important de l’avoir pour la prochaine génération, et pour que le monde voit que nous venons d'une très belle culture. Il y a tant de choses à célébrer dans notre culture, notre langue, et nous, en tant qu'êtres humains. À l'heure actuelle, particulièrement, c'est très important. Je pense que mon histoire est assez unique et intéressante et qu'elle l'a toujours été. Chaque fois que je rencontre quelqu'un, je dois lui expliquer pendant dix minutes d'où je viens, mon histoire, tout. Je pense que c'est quelque chose que j'ai toujours considéré comme "acquis". C'est quelque chose de normal pour moi, mais je pense que mon histoire est un peu inhabituelle et je veux la faire connaître au monde entier. Je ne pense pas pouvoir faire de la musique qui ne soit pas entièrement moi, et pour être entièrement moi, je dois tout immerger dans mon monde et ne rien laisser de côté. Alors oui, c'est très important.
"Je ne suis pas une poétesse traditionnelle en arabe, mais j'ai l'impression de l'être en anglais."
La traduction entre l’anglais et l’arabe peut être parfois difficile car certains mots n’existent pas dans les deux langues. Est-ce que chanter dans deux langues différentes donne plus de liberté d’écriture dans vos textes ou au contraire est-ce un exercice plus compliqué ?
Au début, c'était difficile. Je n'avais jamais écrit en arabe, mais j'ai essayé et je me suis dit que je n'allais pas chanter dans le dialecte arabe de quelqu'un d'autre - parce qu'en arabe, il y a beaucoup de dialectes différents. Je me suis donc dit que si je chantais en arabe, c'était à la condition que je le fasse dans mon dialecte, il faut que ça me corresponde. Même la façon dont je parle en arabe est fidèle à mon éducation, à ma façon d'être. Je ne traduis pas vraiment d'une langue à l'autre. Je parle couramment l'arabe, mais je ne suis pas un poète en arabe, ou peut-être que je le suis à ma façon, mais je ne suis pas un poète traditionnel en arabe, mais j'ai l'impression d'être un poète en anglais. Mon anglais est bien mieux, et à cause de mes faiblesses en arabe, mon cerveau pense différemment. Ce qui est très intéressant, et j'ai l'impression de m'améliorer ! Depuis que j'ai écrit "The Snake", mon écriture en arabe s'est améliorée et je suis tellement plus rapide. C'est donc une question de compétence !
Je vous ai découverte avec la chanson "The Snake" il y a plusieurs années. Vous la décrivez comme "la réelle première chanson qui vous représente", est-ce que c’est toujours d’actualité ?
Oui, c'est la réelle première chanson qui me représente à 100 %. C'est la deuxième chanson que j'ai écrite en arabe et en anglais. La première était un peu légère et n'était pas vraiment complète. Elle a changé ma vie et m'a donné une carrière, un but et une direction. Ce qui est incroyable, car je n'avais pas vraiment de direction avant, j'avais une sorte de chemin, mais il n'était pas éclairé, et "The Snake" l'a éclairé. Cette chanson occupe une place très spéciale dans mon cœur, je pense pour toujours.
Cette chanson justement, "The Snake", est devenue virale sur TikTok et de nombreuses personnes vous ont découverte à travers ce succès. Quel est votre rapport avec les réseaux sociaux ? Comment avez-vous vécu le succès de votre single ?
Ma relation avec les réseaux sociaux est très compliquée. Je les adorais, mais je ne pense plus les aimer. Je les déteste, mais je les aime aussi. Je pense qu'Internet peut être un endroit très négatif et polarisant, tout est si extrême. Parfois, j'ai l'impression qu'en m'y intéressant de trop près, je sors du monde réel. Et je pense que pour être une artiste, pour créer tout le temps, j'ai besoin d'être dans le monde réel et pas en ligne à regarder les commentaires. L'énergie d'Internet déséquilibre la mienne. Je travaille sur ma relation avec les réseaux sociaux en ce moment. J'essaie en quelque sorte de ne pas en tirer de validation, car c'est quelque chose que j'avais l'habitude de faire. Pendant la période de "The Snake", j'étais vraiment fatiguée parce que je voulais vraiment répondre à toutes les personnes qui commentaient ma chanson, ou qui m'envoyaient des messages, et je réponds toujours aux gens, mais je ne peux pas le faire au détriment de ma propre santé mentale. J’essaie de trouver un équilibre, de poster et d'interagir avec ma communauté, mais aussi de vivre et de créer en dehors de ce monde.
"J'ai cherché à me trouver visuellement et esthétiquement, et j'ai trouvé ma voie."
Je voulais également évoquer avec vous votre vision artistique. Vous avez commencé avec un shooting photo "fait maison" pour la cover de votre single "The Snake" sorti en 2022. Depuis, vous avez sorti plusieurs clips bien plus travaillés à l’image de votre univers mêlant origines et modernité. Quel est le processus créatif derrière votre direction artistique ?
Au début, je n'avais pas d'équipe, je n'avais pas de label, rien du tout. Il n'y avait que moi et mon producteur Ben Thomson, qui a produit "The Snake" et tout le reste. J'ai trouvé le moyen d'être créative, j'ai trouvé le moyen de transmettre l'énergie que je voulais dans une vidéo. J'aime beaucoup la vidéo que j'ai réalisée pour "The Snake", parce que c'était juste moi, qui créais sans aucune attente, et j'aime ça. J'ai eu un long processus créatif pour arriver là où j'en suis, avec les vidéos et les visuels et tout le reste, parce que parfois, je me fixe trop d'attentes et je complique à l'excès quelque chose qui devrait être super simple. J'ai donc cherché à me trouver visuellement et esthétiquement, et j'ai trouvé ma voie. Ce n'est que récemment que j'ai réalisé que je devais simplement faire ce qui me semblait juste, comme porter les vêtements qui me faisaient du bien. Maintenant, le processus, c’est plus, de vivre la vie, l'inspiration me vient de partout, j'écris les idées ou je fais des tableaux Pinterest. Les choses me viennent à l'esprit et commencent à faire sens, puis je reconstitue les pièces du puzzle. Je travaille sur l'histoire de la chanson, surtout s'il y a des paroles qui sont intéressantes visuellement. Je m'entoure d'une équipe créative et on travaille ensemble. En ce moment, j'essaie de me prendre très au sérieux, je pense que mes idées sont vraiment bonnes. Lorsque je travaille avec d'autres personnes, je m'assure que ma vision est toujours présente, car parfois les gens vous voient d’une différente manière, et je dois m'assurer que c'est ce que je veux. C’est toujours une collaboration, où je me prends au sérieux, et où je ne laisse pas quelqu'un d'autre faire tout le travail.
Est-ce qu’un projet, un EP ou un album, est en cours de préparation ?
J'ai sorti un EP en 2023, "The Holy Land". C'était mon premier projet, il m'a fallu un an et demi depuis "The Snake" pour le sortir. C'était surtout moi qui découvrais les choses et qui construisais lentement mon équipe, en comprenant l'industrie et la façon dont les choses fonctionnent. Je suis une artiste de projets, donc je travaille sur un autre projet qui, je l'espère, sortira bientôt ! Il y a de la musique à venir, c'est sûr !
Votre dernier coup de cœur musical ?
Est-ce que je peux regarder mon téléphone ? Je dois toujours sortir mon téléphone pour ça, je ne m'en souviens jamais ! [Ris et sors son téléphone] Cette chanson est très populaire, mais je suis obsédée par "Please Please Please" de Sabrina Carpenter. C’est une si bonne chanson que j’aurais aimé l’avoir écrite ! Puis j’aime aussi "Good luck, babe !" de Chappell Roan.
L’artiste avec qui vous rêveriez de collaborer ?
J'aimerais vraiment faire une chanson avec Tamino, ça serait très cool. Rosalía, toujours, ça serait dingue ! Billie Eilish serait incroyable. Judeline, je l'aime beaucoup, elle pourrait aussi être une découverte musicale, elle est vraiment cool ! Disons Tamino, Rosalía et Judeline.
Qu’est-ce qu’il faut esquiver dans la musique d’après vous ?
Ce que je dois esquiver dans la musique, c'est d'être trop influencée par d'autres musiciens et de me comparer à eux. C'est quelque chose qui est très facile à faire sur les réseaux sociaux, mais ce n'est pas du tout bénéfique, ce n’est pas productif, c'est juste mauvais.