CINÉMA
En Indre-et-Loire, le petit village de Preuilly-Sur-Claise va élire son nouveau maire. Ils sont trois sur la ligne de départ : Jean-Paul le vétéran, Patrick l’outsider et le “jeune” Mathieu. Fantasque et intrépide, ce dernier a une pièce maîtresse dans sa liste : Guy, un vieux briscard de la politique. Ensemble, ils vont tenter de déjouer tous les pronostics…
Alors que les élections présidentielles approchent avec fracas et tiennent en haleine chaînes d’information et réseaux sociaux, les élections municipales se font, elles, plus discrètes — alors qu’elles sont celles qui mobilisent le plus. Certes, le vote dans les grandes métropoles attire momentanément l’attention médiatique, mais le reste du territoire se retrouve bien souvent confiné à un pourcentage, à une couleur politique. C’est oublier un peu vite que la démocratie se joue jusque dans les coins les plus reculés.
Il est ainsi probable que vous n'ayez jamais entendu parler du village de Preuilly-Sur-Claise. Un millier d’âmes peuple cette bourgade paisible, située aux portes du parc national de la Brenne. Seul le passage inlassable des poids lourds en plein centre-ville semble ici venir troubler la quiétude ambiante. En mars 2020, cette commune, à l’instar des 35.000 qui émaillent l’Hexagone, connut pourtant une bataille fraternelle pour s’adjuger la place de maire.
Le réalisateur Sylvain Desclous a choisi le village de ses grands-parents, où il avait tourné certaines scènes de son premier long-métrageVendeur (2016), pour méditer sur cette comédie humaine qui voit s’opposer des gens du même trottoir le temps d’une campagne. Celle-ci confronte trois candidats pour remplacer Gilbert, le maire sortant. D’abord il y a Mathieu, 38 ans, sorte de Cédric Villani du Poitou : normalien et chercheur en intelligence artificielle, il détonne dans le paysage avec ses cheveux longs, son air lunatique, sa maladresse confondante. Officiellement apolitique, il avoue timidement être “plus proche des gilets jaunes que de Macron”. Face à lui, Jean-Paul, 72 ans, ancien cadre de l’aéronautique, et Patrick, 66 ans, plombier à la retraite. Le vieux monde face au nouveau, en quelque sorte.
Pour combler son déficit d’expérience et de notoriété, Mathieu s’entoure de Guy, 74 ans, vieille figure de la politique locale, qui prépare là sa troisième élection municipale, les deux premières s’étant soldées par un échec. Guy est une de ces fortes têtes volontiers provocantes et irrépressibles, à la fois admirées et craintes par les habitants (qu’il connaît très bien par ailleurs). Pas toujours évident pour Mathieu, lequel apparaît plus modéré et réfléchi, de contenir l’énergie sans faille de l’énergumène. Pour ce dernier, il ne fait d’ailleurs aucun doute, “la politique est un sport de combat”.
Outre les habituelles batailles d’égo qui caractérisent les élections en tous genres, La campagne de France porte le constat, trop rarement audible, d’une dévaluation politique et symbolique de la fonction de maire en milieu rural. La baisse des dotations publiques, couplée à une dépréciation progressive de son pouvoir de décision (souvent relégué à la communauté de communes), amène le maire sortant à porter ce constat désabusé : “On ne peut plus faire grand chose”.
Pourtant, rien ne semble pouvoir arrêter Mathieu, Jean-Pierre et Patrick dans leur course à la fonction suprême. Avec, pour chaque candidat, des stratégies bien différentes. Le premier, particulièrement au fait des dernières innovations néo-libérales, mise sur la création d’un incubateur d’entreprises pour accueillir de jeunes familles et, ainsi, permettre aux écoles de la commune de garder leurs portes ouvertes. Le second se veut dans la lignée du maire sortant et célèbre les vertus du “en même temps” : sa liste est ainsi composée de membres de l’ancienne équipe municipale et regroupe des individus issus de la gauche et la droite. Le dernier, novice en politique, mène une campagne participative et résolument écologiste, promouvant l’installation d’éoliennes face à des habitants pour le moins dubitatifs.
Les habitants, d’ailleurs, qu’attendent-ils de leur futur représentant ? La nécessité de supprimer le passage des poids lourds dans le centre-ville semble faire consensus, et chaque candidat y va de sa proposition pour mener ce projet à bien. Dans les petites communes, un programme politique se construit ainsi souvent autour de l’adhésion - ou du rejet - à un projet d’aménagement précis, sur lequel tout le monde possède un avis plus ou moins tranché. A ce titre, Preuilly-sur-Claise ne fait pas exception à la règle. On espère aussi du maire à venir qu’il “défende tout” mais “qu’il le défende bien”, “qu’il mette en place des activités” mais “pas trop non plus” : autant de grands écarts qui obligent les candidats à se montrer concis et prudents face à leurs électeurs.
Un autre critère, et non des moindres : la proximité. Celle-là même que cultive volontiers le réalisateur Sylvain Desclous avec ses intervenants, qu’il tutoie pour la plupart. “Dans les petites communes, il faut savoir examiner les compétences de l’individu, sinon c’est pas la peine” explique Michel, le président du club de football du village depuis 30 ans. C’est là où le bas blesse pour Mathieu le néo-rural, obligé de se présenter comme le fils du photographe et de la directrice d’école pour s’inscrire dans l’histoire locale et inspirer confiance aux habitants.
Pourtant, Sylvain Desclous fait de ce personnage le cœur battant de la campagne, celui qui tend à bouleverser — parfois malgré lui — les codes de la communication politique traditionnelle. Avec son acolyte Guy, ils forment un duo atypique et fascinant, qui s’apparente tantôt à une relation père/fils, tantôt professeur/élève. L’un est un idéaliste de la première heure, l’autre est un pragmatique acharné ; les deux ont été réunis par la politique et une certaine envie de bien faire pour servir au mieux leurs concitoyens. Une envie vouée à durer dans le temps.
La campagne de France s’attache ainsi à représenter cette grandeur des petites gens, cette passion derrière les humbles apparences, cet amour du politique, de la chose publique, de l'intérêt commun à travers des trajectoires personnelles diverses. Tous ces épiphénomènes qui se manifestent d’un bout à l’autre du pays et préparent, chaque jour, dans chaque commune, l’avenir d’un monde en bouleversement permanent.