INTERVIEW
Publié le
12 octobre 2025
Avec son nouveau titre "AH BON", Jyeuhair — révélé dans l’émission Nouvelle École sur Netflix — poursuit une exploration musicale où se mêlent tension et douceur, mélancolie et lumière. Auteur, compositeur, interprète et réalisateur, il façonne un univers où la création devient une manière de comprendre le chaos plutôt que de le fuir. Avant une tournée à travers la France prévue l’année prochaine, qui passera notamment par L'Olympia, le 19 mars 2026, le rappeur revient sur sa vision du monde et sur l'énergie contrastée qui anime sa musique.

Dans votre titre "AH BON", vous chantez à la fois la désillusion et la recherche d'unité. Quand vous écrivez ce genre de morceau, vous partez d'un sentiment personnel ou d'une observation du monde qui vous entoure ?
C'est à la fois personnel et collectif. J'observe des mécaniques humaines que je remarque depuis tout petit : cette difficulté à s'unir, ce réflexe à se diviser au lieu de se comprendre. C'est presque devenu un pattern, un moteur de création. "AH BON", c'est une de mes tentatives pour parler de ça — de ce besoin d'unité dans un monde fragmenté.
Le morceau mêle mélancolie et lumière, colère et douceur. Est-ce que cette dualité reflète votre manière d'être, ou est-ce une tension que vous cherchez à apaiser à travers la musique ?
C'est vrai que cette notion de contraste est très présente dans ma musique. J'aime bien jouer avec les oppositions, comme proposer des morceaux qui peuvent sembler légers, voire dansants, tout en abordant des thématiques plus dures. Ce mélange, cette dualité, c'est quelque chose qui me parle. J'aime quand les choses ne sont ni toutes blanches ni toutes noires, quand il y a un équilibre, une tension entre les émotions. Il y a une phrase dans mon morceau "Nouici" qui résume bien cette idée : « C'est dans les beaux jours qu'on constate qu'il n'y a pas de belle peinture sans contraste ». Pour moi, c'est exactement ça. C'est une manière de créer, mais aussi de penser. Ce contraste rend les choses plus digestes, plus humaines. Il aide à mieux accepter les moments difficiles.
"Ce que j'aime avec la scène, c'est qu'elle marque un retour au réel."
Dans le clip "AH BON", on vous voit danser presque dans le chaos. C'est une image très forte — est-ce une façon de transformer la colère en énergie créative ?
Oui, on peut dire ça. C'est aussi une manière pour moi de me détacher, en quelque sorte, de ce qui se passe autour. On fait partie du monde, bien sûr, mais on a aussi notre propre mouvement, notre libre arbitre. Certains choisissent de danser — soit à contre-courant, soit dans l'élan de ce qui se passe. C'est une forme de réponse instinctive, presque naturelle. C'est une image, évidemment, mais j'aime bien cette idée de créer quelque chose qui ressemble à West Side Story dans un monde post-apocalyptique. C'est un peu ce délire-là : imaginer une chorégraphie façon comédie musicale alors que tout s'effondre. Une météorite arrive, tout le monde se tire dessus, personne n'est uni... et pourtant, il reste quelques personnes qui pensent, qui dansent ensemble. C'est cette tension entre chaos et beauté qui m'intéresse.
Comment trouvez-vous l'équilibre entre le besoin de dire les choses frontalement et celui de rester dans la beauté et la création ?
Ce n’est pas évident. Parfois, on a envie de tout balancer, d'être direct. Mais moi, j'ai tendance à tourner autour, à laisser de la place pour que chacun interprète. J'essaye d'être clair sans fermer les portes ni les fenêtres. J'ai envie qu'on entende ce que je dis, pas qu'on me mette dans une case. C'est un équilibre entre la forme et le fond, entre le message et la poésie.

Vous écrivez, composez, réalisez, montez... Cette maîtrise, c'est un besoin de contrôle ou une habitude née de votre parcours ?
Plutôt une habitude. J'ai commencé seul, donc j'ai appris à tout faire. Vidéo, photo, graphisme, musique— c'était un ensemble. Aujourd'hui, je suis entouré, mais cette approche reste. C'est devenu naturel pour moi de penser un projet dans sa globalité, du son à l'image. Sur "AH BON", par exemple, j'ai travaillé avec Alexinho Mougeolle à la réalisation du clip, et ça m'a permis de lâcher prise. Il a compris ma vision et l'a traduite à sa manière, et ça, c'est précieux.
Vous dites souvent que la scène est l'endroit où votre musique prend tout son sens. Quand vous montez sur scène, est-ce que vous recherchez avant tout un échange, une libération, ou une forme de vérité avec votre public ?
Ce que j'aime avec la scène, c'est qu'elle marque un retour au réel. Quand je crée, je suis dans ma propre réalité, dans mon coin. Ensuite, la musique est diffusée sur les réseaux, les plateformes... c'est un univers plus virtuel. Mais la scène, c'est le moment où tout redevient concret. On voit les visages, on découvre qui écoute vraiment, qui connaît ou pas. On se demande si on se ressemble, si on est différents, pourquoi, comment... Est-ce qu'on se comprend ? Est-ce qu'on ne se comprend pas ? Et j'aime ce questionnement-là, cette rencontre. C'est aussi très physique pour moi. La scène, c'est du sport. Je transpire, je me défoule, ça me fait du bien. C'est une forme de libération, oui, mais aussi une manière de reconnecter avec le monde, avec les gens.
"J'ai goûté à plusieurs cultures, plusieurs manières de voir le monde. Je ne me sens pas divisé mais enrichi."
Vos racines entre la France et Madagascar nourrissent votre imaginaire. Est-ce que cette diversité culturelle est une force pour vous ?
Totalement. C'est une chance énorme. J'ai grandi, entouré de gens de partout : polonais, sénégalais, tahitiens, chinois... J'ai goûté à plusieurs cultures, plusieurs manières de voir le monde. Je ne me sens pas divisé mais enrichi. Ça a tout influencé : ma musique, mes clips, ma façon de parler aux gens, de regarder la vie. Ça m'a rendu curieux, ouvert, et conscient que tout reste à découvrir.
Beaucoup vous ont découvert avec Nouvelle École sur Netflix. Certains vous ont peut-être figé dans cette image-là. Est-ce que vous ressentez le besoin de vous réinventer ?
Pas spécialement. Les choses se font sur le long terme. Si les gens m'associent à Nouvelle École, c'est logique - c'est le point de départ pour beaucoup. Mais ce que je fais aujourd'hui était déjà en route avant. Il n'y a pas besoin de se réinventer, juste de confirmer ce que je fais, de rester fidèle à mon identité artistique, et d'accueillir ceux qui embarquent dans l'aventure. J'espère simplement que de plus en plus de gens accrocheront à d'autres facettes du projet.

Votre nouveau projet semble plus intime, porteur d'un message fort. Si vous deviez résumer ce que vous cherchez à exprimer en une seule phrase, ce serait quoi ?
C'est difficile à dire, surtout que le projet n'est pas encore terminé. Il y a encore beaucoup de maquettes, et ça dépend si on parle du clip ou de l'album. Mais si je devais vraiment résumer en une phrase... je dirais que ce projet est à mon image. C'est ce qui va permettre aux gens de comprendre qui est Jyeuhair, et ce qui se passe dans tout ce chaos.
Qu'est-ce que vous cherchez à esquiver ou à réinventer à travers votre art ?
Je ne cherche plus vraiment à esquiver. Ce qui m'intéresse aujourd'hui, c'est de réinventer le prisme. De changer ma manière de voir le monde, de l'exprimer autrement. Les choses sont ce qu'elles sont, mais on peut toujours changer la façon dont on les regarde. C'est ça, ma démarche : être curieux et ouvert pour voir différemment, sans fuir.
"AH BON" — nouveau clip de Jyeuhair, disponible sur toutes les plateformes.
Tournée 2026 :
19.02 – Le Cargö, Caen
20.02 - La Cartonnerie, Reims
07.03 - Le Paloma, Nimes
14.03 - L'Astrolabe, Orléans
19.03 - L'Olympia, Paris +
20.03 - Le Temps Machine, Tours
21.03 - Le Kubb, Evreux
25.03 - L'Étage, Rennes