PHOTOGRAPHIE
Il réalise ses derniers travaux à Monaco, comme le célèbre portrait de Monica Bellucci en 2001, en marge d’un shooting de mode… Portrait qui ornera la couverture du livre posthume Sex and Landscapes. L’exposition "Newton, Riviera", présentée au Nouveau Musée Nationale de Monaco jusqu’en novembre prochain, est un prétexte subtil pour explorer l’œuvre du photographe majeur du XXe siècle, Helmut Newton. Au fil de 280 photographies, un Newton solaire porte un regard à la fois ironique et fasciné sur un mode de vie élégant et facile, un monde d’apparences et de faux-semblants, dont il était à la fois l’acteur et le témoin privilégié. Un catalogue co-édité par le NMNM avec Gallimard, reproduisant l’intégralité des clichés exposés et de nombreux textes, conclura ce projet.
Des images célèbres et d’autres rarement présentées au public symbolisent son attrait pour la Côte-d’Azur qu’il a photographiée de 1960 à sa disparition au début des années 2000. Présentée en collaboration avec Helmut Newton Foundation, l’exposition "Newton, Riviera" fait la part belle à l’œil voyeuriste et aux influences surréalistes du photographe de mode. "J’aime le soleil ; il n’y en a plus à Paris", aurait déclaré Helmut Newton à l’officier monégasque en charge d’instruire son dossier. Nous sommes en1981, Newton a soixante et un an et il s’est imposé au fil de séries audacieuses, repoussant sans cesse les limites de l’acceptable, comme un des plus grands photographes de mode de sa génération.
Son installation à Monaco n’a rien d’une retraite, bien au contraire. Cette période qui court de 1981 à 2004 (date de sa mort dans un accident de voiture) est une des plus prolifiques et, sans conteste, la plus libre de sa carrière. Monaco offre à Newton un cadre original à ses photographies de mode. Il n’est ainsi pas rare qu’un des chantiers de la ville serve de toile de fond à une campagne qu’il signe pour une maison de haute couture. C’est là aussi qu’il réalise de très nombreux portraits de beautiful people, que ceux-ci aient élu domicile à Monaco ou qu’ils y soient de passage. Il portraiture également les étoiles du Ballet de Monte-Carlo et la famille princière. Si l’exposition "Newton, Riviera" s’intéresse particulièrement à cette période, elle rappelle aussi les liens anciens de Newton avec la Riviera.
Des Piscines, Ramatuelle, le Festival de Cannes, des ballets de Monte-Carlo, des nus… Le parcours de l’exposition s’empare des goûts de l’artiste pour découvrir les dessous de son esprit créatif et subversif. "Je suis intéressé par une société qui paraît riche et dont je comprends le fonctionnement, car je ne photographie que ce que je comprends", expliquait-il. Les images qu’il réalise alors ne sont pas très différentes de celles qu’il crée à la demande des grandes marques de luxe. Ses portraits sont ainsi marqués par le même effort de stylisation et par le même refus de tout psychologisme. Il arrive même que Newton reprenne un dispositif préexistant pour l’appliquer à un portrait, comme quand il place l’artiste italien Maurizio Cattelan au milieu d’une scène de crime.
"La seule provocation que je déteste est celle de l’image surréaliste, elle est impossible dans mon monde", déclare Newton dans un entretien avec Bernard Lamarche-Vadel pour la revue Artistes (janvier-février 1981). À nouveau, entre humour et mauvaise foi, il brouille les pistes. Il suffit d’un regard sur des images comme Legs by the Sea, Monte-Carlo, 1987, ou Legs Coming Home, Monte-Carlo, 1987, pour s’en convaincre. Nul besoin de souligner la parente de ces images avec le surréalisme. Newton défend l’idée d’une certaine superficialité : "Le plus beau des gazons est en plastique" !
Newton ne prend aucune image sur le vif, mais se livre à un processus de recréation visuelle. : "Le processus est long. L’ensemble de mon travail est préalablement écrit, ce que l’on ne sait pas. J’ai toujours sur moi un carnet afin d’y consigner les photographies que je ferai, en leur moindres détails. Je ne dessine pas. Je consigne donc sous forme de notes les objets, la lumière, les composantes de la photographie. Sueur sous les aisselles, lèvres gonflées, baiser, épaule de l’homme, main de la femme, intérieur du coude, interaction des muscles, homme-femme nus à mi-torse, un homme", confiait-il à Bernard Lamarche-Vadel. L’influence du surréalisme sur Newton ne se limite toutefois pas à cette attitude générale vis-à-vis du rapport image/réalité. On la retrouve aussi dans son goût des collages qu’il réalise à partir de ses propres photographies pour "l’amusement" de ses amis. On pense par exemple à ceux offerts à Ago et Tiqui Demirdjian qui peuvent faire penser à certains collages de Max Ernst, Paul Éluard ou Georges Sadoul. Mais c’est surtout par la reprise obsédante d’un ensemble de motifs que se manifeste la profondeur de l’influence du surréalisme sur Newton. Ces motifs caractéristiques du mouvement créé par Breton et ses proches sont la nuit, le miroir, l’œil, le mannequin et le sadomasochisme. Celui qui aimait "beaucoup travailler la nuit" met fréquemment en jeu le rapport exhibitionnisme/voyeurisme et s’intéresse de près au BDSM, un pan majeur et savoureux de son travail.