INTERVIEW
Publié le
22 juin 2022
Un langage stylistique unique et une esthétique audacieuse sont le reflet du travail de Solenne Menger. La créatrice de Lord S.M, qui a élu domicile en Grèce depuis plusieurs années, fait ses armes auprès de grandes maisons parisiennes avant de réaliser que cette activité n'est pas à la hauteur de ses espérances. C’est dans le upcycling qu’elle officie pour donner une seconde vie aux vêtements. Habitée d’un esprit bohème-rock et décalé depuis toujours, les pièces de son label et sa signature singulière sont devenues l'objet de toutes les convoitises, notamment celle de l’acteur américain Johnny Depp.
Si vous deviez vous présenter en quelques mots…
J’ai fait une école de stylisme à Paris, pendant laquelle j’ai créé une première marque "Immaculate December". J’ai ensuite rapidement travaillé à mon compte chez moi, puis j’ai créé ce personnage autour de mes initiales : Lord S.M Paris. J’ai toujours voulu travailler dans mon coin et faire des pièces uniques, bien plus que simplement travailler dans l’industrie de la mode. J’ai longtemps travaillé à Paris, mais je suis maintenant en Grèce depuis deux ans et demi, en partie certainement parce que j’ai commencé à habiller des artistes assez célèbres et internationaux, je me suis donc dit que je pouvais quitter les grandes villes pour la nature. Je travaille pas mal aussi avec des clients privés qui achètent des créations toutes faites que je propose sur les réseaux ou sur mon site, ou alors qui m’envoient du vintage que je transforme.
Votre label possède une allure à la fois bohème et un esprit rock et décalé, d’où avez-vous tiré vos inspirations ?
Le côté bohème provient sûrement des origines très mélangées et des voyages, mais l’inspiration me vient également du cinéma, de la musique et de la haute couture.
"C’est assez excitant de voir mes pièces portées par quelqu’un qui m’inspire, de voir qu’on me fait confiance et qu’on assume mon travail devant un immense public."
Effectivement, vous avez fait des stages pendant vos études dans les maisons Dior, Cerruti, Libertin Louison ou Castelbajac. Que vous ont apporté ces expériences dans la création de votre propre label ?
Libertin Louison m’a pas mal influencé à travers leurs pièces en cuir avec plusieurs petits bouts qu’ils assemblaient ensemble. Cela donnait des sacs en feuilles de cuir magnifiques, et c’est aussi ce qui m’a assez inspiré. Libertin Louison, qui lui était déjà dans la haute couture, travaillait en quelque sorte de la même manière que moi. Il faisait tout sur place, lui et une petite équipe réduite. Je trouvais que c’était plus intéressant que de travailler en grande équipe. D’ailleurs, je me souviens que quand j’étais stagiaire dans une de ces maisons de prestige, je partais un jour sur trois en pleurant, car ce n’est pas un monde facile du tout. J’y ai vu notamment beaucoup de gâchis de peaux de croco par exemple, cela m’avait beaucoup choqué. Maintenant ils ne le font plus, mais à l’époque déjà ça n’aurait pas dû se passer ainsi. Ce fonctionnement m’a inspiré pour ne pas faire pareil, et ne plus gâcher ni polluer, mais c’était tout de même une expérience qui m’a enrichie, j’ai notamment pu côtoyer John Galliano ainsi que des personnes très talentueuses. Mon stage chez Jean-Charles de Castelbajac reste un très bon souvenir et un excellent apprentissage.
Vos pièces sont uniques et personnalisées. Cela semble être un de vos critères majeurs. Comment voulez-vous que les gens se sentent en portant vos créations ?
Certainement qu’ils se sentent uniques et dans une démarche écoresponsable également, puisque le fait de porter une pièce unique artisanale peut être une fierté. De temps en temps, on me dit aussi qu’on se sent plus fort dans des pièces comme ça, et c’est vrai que ça peut offrir une certaine assurance de se sentir bien habillé et unique. Pour les artistes qui montent sur scène, c’est assez sympa de porter un vêtement qui leur donne une certaine puissance pour chanter devant des milliers de spectateurs.
Être créatrice pour stars a l’air d’être un métier relativement glamour, non ?
C’est déjà assez excitant de voir mes pièces portées sur quelqu’un qui m’inspire, de voir qu’on me fait confiance et qu’on assume mon travail devant un immense public. C’est la manière la plus sensationnelle de promouvoir son travail. D’ailleurs, quand j’ai arrêté de faire des salons, je me suis dit ok je veux faire ça maintenant, je veux habiller les gens qui m’inspirent. Cela donne de la crédibilité à mon travail et me permet de continuer à décrocher quelques boutiques assez exclusives.
Le réseau doit être essentiel dans votre profession. Quelles sont les célébrités que vous avez habillées ?
La première c’était le chanteur Christophe, que j’ai rencontré dans une soirée privée grâce à une amie qui faisait des bijoux qui le connaissait. Au niveau de mon boulot ça a tout de suite fonctionné avec lui. Il m’a donc commandé quelques pièces, puis on a souvent travaillé ensemble. Ensuite, il y a eu Florent Pagny que j’ai rencontré à Miami en allant à la rencontre d’un tout autre artiste pour lui offrir une veste et finalement c’est Florent Pagny qui est reparti conquis par mon travail. Je l’ai abordé dans un restaurant et je lui ai montré mon lookbook, et en septembre il est venu chez moi me commander des pièces pour l’émission "The Voice". Il y a eu après Patricia Kaas, Véronique Sanson et puis les Américains Alice Cooper, Tommy Henriksen et Johnny Depp, entre autres.
"C’est assez marrant parce que je pense que ma passion et mon inspiration pour la musique me l’ont assez bien rendu."
Parlez-nous un peu de votre rencontre avec le sulfureux Johnny Depp ?
J’avais à l’époque offert une veste à Julien Doré, et j’avais préparé deux vestes pour Johnny Depp et Vanessa Paradis qu’ils n’ont pas eus. J’avais pourtant été les emmener dans le Sud, pour qu’une amie qui devait dîner chez eux, leur donne en main propre. Malheureusement ils n’étaient pas présents, alors elle m’a rendu mes vestes. Je les ai ensuite fait parvenir par un autre biais, mais ils ne les ont jamais eus. Dix ans après, le destin nous a remis sur le même chemin, lors d’un concert d’Alice Cooper auquel je me suis rendue, et grâce à un de ses musiciens, Tommy Henriksen, Alice et Johnny Depp ont commencé à porter mes créations. Johnny a adoré mon travail, on a passé quelques heures chez lui et il a été très généreux, très accueillant et très chaleureux. C’est assez marrant parce que je pense que ma passion et mon inspiration pour la musique me l’ont assez bien rendu.
Pour quelle célébrité rêveriez-vous de créer une tenue, si ce n'est pas déjà fait ?
L’ultime personnalité aurait été Michael Jackson [Rires]. Quand on parlait d’inspiration, je crois que c’est surtout lui qui m’a inspirée. La première veste de folie que j’ai faite elle s’appelait "Thriller". Je l’avais finalisée trois mois avant qu’il ne parte, ce fut un véritable choc. Je me souviens qu’une flash mob avait été organisée à Paris, avec des personnes qui faisaient des chorégraphies en portant des looks à la Michael. La veste Thriller avait déjà un brassard avec écrit "Lord S.M Paris". Ce détail est devenu, chez moi, une marque de fabrique en son hommage. J’ai mis des brassards sur mes vestes avec écrit : "Lord S.M" en hommage à Michael. Toutes les vestes que j’ai faites derrière ont des brassards depuis.
Quelles sont vos ambitions pour l’avenir ?
Continuer ce que je fais le plus longtemps possible. J’adore mon travail et même s’il ne me rend pas super riche, il me rend très heureuse. J’adorerai peut-être à l’occasion travailler dans le cinéma, faire des costumes de cinéma, je trouve que voir sa création portée tout de suite, mise en valeur et en situation, est tellement plus géniale que de voir 5000 pièces en boutique.
Johnny Depp a annoncé il y a quelques jours qu’il sera en concert à Paris avec Jeff Beck cet été, comptez-vous y assister… ?
Peut-être [Rires]. On va faire le maximum. Peut-être aussi l’habiller, j’ai déjà une idée de pièces à ce sujet. Je vais essayer de lui faire parvenir en main propre à Paris, mais rien n’est encore sûr, car il est très demandé et très pris… En attendant de revoir Monsieur Depp, je prendrai toujours un immense plaisir à satisfaire des clients comme vous et moi , des gens férus de style, et dans une démarche de consommation écoresponsable.
Toutes les créations de Solenne Menger sont à retrouver sur son site : http://www.lord-sm.com/