INTERVIEW
Publié le
24 novembre 2023
Gaëtan Roussel, c’est la voix de Louise Attaque, c’est aussi une musique qui traverse les générations, une personnalité amoureuse faite d’ombre et de lumière, un artiste curieux qui fait le tour du monde en quête d’éclectisme. C’est justement à ce sujet que nous avons rencontré le compositeur qui sort son nouvel album Éclect!que aujourd’hui. Composé exclusivement de duos inédits et déjà existants, l’opus réunit 16 titres et un casting cinq étoiles : Alain Souchon, Lucky Love, -M-, Isabelle Adjani ou encore Rachid Taha. Gaëtan Roussel regarde dans le rétroviseur pour mieux aller de l’avant et montre ô combien il aime s’entourer, comprendre, s’adapter et créer. Cette nouvelle proposition est une photo vivante et mouvante. A cette image, voici un échange dont vous ressortirez plus éclectique qu’auparavant, précipité dans votre cœur… Tout contre vous et contre l’autre.
Dès les premiers instants, vous comprenez et vous ressentez tout l’intérêt que Gaëtan Roussel vous porte. Sans barrières, il pose pourtant une distance incroyablement juste entre lui et vous. Ce parfait écart propice à une rencontre humaine. De sa voix, reconnaissable entre mille, il vous entend et vous écoute. De ses silences, il dit combien vos propos comptent pour lui. L’artiste explore des mondes intérieurs de tous âges, de toutes origines artistiques, de toutes pensées musicales. En ressort un album d’une grande richesse artistique et d’une profondeur humaine rare. Éclect!que est une démarche qui ne laisse pas indifférent car, de la justesse de son propos, ressort quelque chose de plus important encore : une lueur dans l’immense doute qui se sème comme un épais brouillard. Avec cet album, l’artiste manifeste une certitude : celle que l’on peut trouver le bonheur avec ceux qui sont à côté de nous. Il suffit simplement d’oser la rencontre.
Vous revenez après deux ans, un temps qui peut sembler assez long, avec un album de duos. Est-ce plus simple ?
Tout d’abord, j’avoue que n’ai pas le sentiment que cela fait si longtemps que ça depuis mon dernier album solo. D’habitude, on laisse passer plus de temps entre deux disques. C’est donc, pour moi, un temps assez court pour tout vous dire. Mais, en dehors de cela, c’est davantage l’histoire qui m’amène à sortir un album de duos. Je ne me suis pas posé la question de ce qu’il serait plus aisé, ou plus ceci, ou moins cela. Cela vient réellement d’une envie, d’un désir fort qui remonte à longtemps. Car ce disque, d’une certaine manière, je le construis depuis des années. C’est un projet assez singulier finalement ! Il regroupe 16 chansons dont 10 titres que j’ai écrits sur les dix dernières années. Et 6 sont des inédits, créés à partir de maquettes et de rencontres, que j’ai composé sur ces dix dernières années depuis que je développe, ce qu’on nomme : "une carrière solo". Depuis mon tout premier album, j’ai fait des rencontres, des partages, des duos pour mes œuvres, autant que pour celles des autres. J’ai, par exemple, travaillé avec Camélia Jordana, Alain Souchon, Isabelle Adjani, Hoshi, Vanessa Paradis. Que ce soit écrire pour ces artistes, ou travailler sur mes musiques avec eux, j’ai toujours été à la rencontre et à la recherche de l’autre. Et tout cela, je voulais le réunir au sein d’un même projet. Et c’est comme ça, avec le temps et la vie que l’album Éclect!que est né.
Il y a six nouvelles collaborations sur cet album. Comment sont-elles nées ? Un mot sur votre duo avec Bertrand Belin ?
Je pense qu’il ne faut jamais regrouper les choses, sans faire une photo de ce que vous êtes dans le présent. Aussi, j’ai rassemblé ce que j’avais pu faire dans le passé, et je souhaitais aussi profiter de l’occasion pour travailler sur de nouvelles compositions avec de nouveaux artistes. Ce sont, là, les 6 titres originaux qui précèdent les 10 titres déjà existants. Après, pourquoi ces personnes en particulier ? Je vais commencer par Matthieu Chedid, par exemple. À la ville, c’est un ami de longue date ; à la scène, nous avons partagé beaucoup de moments ensemble. Mais je ne le connaissais pas en studio. Finalement, Éclect!que a été la bonne occasion pour se connaître et "se rencontrer". C’est de cette façon très vivante que tous les duos se sont faits. Ce sont des personnes que je connaissais et avec qui je désirais travailler ou de nouvelles rencontres desquelles je suis devenu véritablement fan. L’éclectisme, c’est, je pense, avoir une vision large de la musique, de l’art et des relations humaines. C’est pour cette raison que l’on peut entendre au sein de mon album : Soprano, Louane ou Lucky Love, à côté de -M- ou Rachid Taha. J’ai cherché, parce que c’est ça la définition de l’éclectisme : la rencontre des "oppositions" et des "similitudes" qui crée un nouveau système unique. Aussi, je devais partir à la recherche de systèmes artistiques, musicaux et humains qui ne gravitent et qui ne s’approchent pas de trop près de mon propre système. Une manière de trouver des liens et de créer un nouveau système indépendant réunissant en partie celui de l’autre et le mien. C’est ainsi que j’ai pu donner du sens à mon choix de nommer cet album : Éclect!que. C’est exactement ce que j’ai trouvé chez Bertrand Belin. Ce que j’aime particulièrement chez lui, c’est sa façon de raconter des histoires, le choix de ses mots, sa manière de chanter. En particulier l’idée que la répétition de mots vient dire autre chose. Donc l’inviter à chanter un titre avec moi était un bonheur et un honneur.
"Je ne sais pas si j’arrive à être éclectique dans ma vie comme dans ma musique, mais j’essaye."
Votre nouvel album se nomme Éclect!que. Comment reste-t-on éclectique dans son art et dans sa vie ?
C’est une très bonne question ! Je crois, par exemple, quand on s’habille et que l’on se rend compte que plusieurs styles et vêtements nous vont très bien. On peut travailler plusieurs silhouettes et images à travers les modes. Ainsi, on peut croquer différentes choses et avoir une géographie très large en étant toujours soi-même. Personne n’est condamné à être dans un couloir de nage. Je ne sais pas si j’arrive à être éclectique dans ma vie comme dans ma musique, mais j’essaye. Et je pense que c’est parce que je suis curieux. La curiosité vous pousse à l’exploration, à vous adapter, à trouver les compromis, à échanger, à partager, à s’ouvrir, à emprunter à l’autre et à essayer de comprendre pour avancer. Je vous parle de ce que je ressens et perçois, bien entendu, mais c’est ainsi que j’aime créer et composer dans mon art. Et je pense que dans la vie, c’est tout à fait possible d’être ainsi.
Au regard des invités, cet album est le fruit d’une collaboration artistique et humaine à quatre mains très éclectiques. Comment composez-vous avec l’autre artistiquement et humainement ?
C’est délicat de le résumer rapidement. D’abord, je crois que l’écoute et l’envie sont nécessaires. Mais ce sont principalement des cas de figure différents. Par exemple, avec Matthieu Chedid, c’était un travail à quatre mains. Je l’ai invité à venir. Je lui ai donc lancé la première balle, ensuite nous avons vu ce qui se passait au fur et à mesure. A l’inverse, j’ai invité Louane à être interprète. Avec Lucky Love, on a partagé un peu plus. Donc, finalement, c’est principalement une question de l’accueil avec l’autre. Il faut réussir à trouver une vision commune pour créer la rencontre. C’est un travail de géomètre : il faut trouver la bonne distance. Cela passe aussi par un peu de chance, se faire confiance, être exigeant, et beaucoup d’autres choses. Mais, avant tout, je fonctionne à l’envie ! Si l’envie est partagée, sincère et réelle alors il va y avoir quelque chose qui ne s’explique pas et qui va permettre le travail commun.
C’est une évidence finalement ?
Oui exactement ! Je trouve en tout cas. Parce que c’est ce que j’ai pu constater avec tous les duos que j’ai fait pour cet album. Avec Louane, c’est une envie commune de travailler ensemble, avec Lucky Love, c’est une envie commune de se connaître. Donc chacun met de soi, chacun laissait en emprunt un bout de lui, chacun laissait aussi la place à l’autre.
"Une chanson est un refuge. C’est un endroit où l’on se sait protégé pendant quelques minutes."
Qu’est-ce que raconte "On ne pleure pas dans l’eau" que vous chantez dans cette évidente complicité avec -M- ?
Pour moi, c’est la géographie des sentiments… Sans vouloir être trop énigmatique ! [Rires] En réalité, cette idée me vient de mon épouse. Elle nage beaucoup et quelqu’un lui a raconté que le système lacrymal ne fonctionne pas dans l’eau. Cette image me plaît. De suite, Mathieu l’a fait rebondir vers "l’au-delà" ; à l’inverse de moi qui suis resté sur l’océan et la matière première. Après, j’aime également les textes où chacun peut interpréter comme il le souhaite. Je veux que celui qui écoute puisse s’emparer de ma chanson à sa manière. Parce que nous n’avons pas tous le même leitmotiv. Une chanson, spécialement celle-ci, est un refuge. C’est un endroit où l’on se sait protégé pendant quelques minutes. Nous n’avons pas tous le même abri et ce titre offre la possibilité de trouver celui qui nous convient.
Où est-ce qu’on pleure aujourd’hui ?
C’est une bonne question ! En réalité, nous devrions pouvoir pleurer ! Nous sommes dans un monde dans lequel il n’est pas simple de pouvoir montrer ses fragilités, ses failles. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Léonard Cohen : "C’est par la faille que jaillit la lumière". Donc, je n’ai pas de réponse à vous donner.
Dans votre duo avec Calogero, vous chantez : "Il y a toujours le rêve clair d’un enfant". Quel est votre rêve d’enfant aujourd’hui ? Est-ce que vous l’avez réalisé ?
Ah ! [Rires] Il y en a forcément. Mais cette question demande davantage de temps. Je la trouve très pertinente et intéressante. Comme ça, je ne vois pas, mais je vous propose de continuer et si jamais une idée me vient je vous en ferai part !
Il paraît que vous avez un faible pour le tiramisu, jusqu’à proposer une recette au journal Le Monde. Pouvez-vous nous raconter cette histoire ? Un ingrédient secret ?
Ah oui ! J’adore le tiramisu ! Cette histoire est arrivée avec mon épouse. Nous sommes très amateurs de bistronomie. La cuisine et la musique sont très liées d’ailleurs. Rien qu’au niveau du vocabulaire : "la batterie", "le piano". C’est assez rigolo quand on y pense. La fameuse recette vient d’un ami de mon épouse, si mes souvenirs sont bons. Il n’y a pas d’ingrédients magiques, et même plus encore, il y en a un en moins. Ça fera, peut-être, bondir les puristes, mais il n’y a pas d’amaretto dans cette version. Pour ma part, dans ce dessert, je vais chercher l’onctuosité ; donc je mets beaucoup de mascarpone et moins de biscuit. En définitive, c’est ça le plus important, de le faire à son goût !
"Je regarde un peu dans le rétroviseur, non pas pour reculer, mais pour mieux voir devant moi."
Vous êtes un artiste issu de la scène avec des performances ancrées dans les esprits des fans de Louise Attaque. Qu’est-ce que vous souhaitez proposer au public avec cet album Éclect!que ?
Je regarde un peu dans le rétroviseur, non pas pour reculer, mais pour mieux voir devant moi. Car, lorsqu’on roule, si on regarde derrière, c’est pour s’assurer qu’on avance bien. Cette question, je me la suis évidemment énormément posée ! Louise Attaque est ma colonne vertébrale, particulièrement avec la scène. Lorsque j’ai décidé de faire un premier album solo, je souhaitais véritablement faire attention à ne pas marcher sur ce qu’on avait construit ensemble. Donc, dès le départ, j’ai fait en sorte de développer et de proposer une musique qui ne serait pas trop proche de ce qu’on proposait en groupe. Sur la forme, j’ai choisi d’autres instruments, j’y ai mis de l’anglais, je me suis entouré de producteurs plus "électroniques". Mais j’avais, malgré tout, bien conscience qu’il existerait des croisements, parce qu’il aurait été impossible et vainc de rendre imperméable ma démarche solo et celle que je construis avec mes camarades. Donc, j’ai fait en sorte d’être le plus honnête possible. Et depuis, j’avance et je développe quelque chose qui se promène, parfois avec Louise Attaque et parfois seul.
Après, je vais aller plus loin encore, pendant mes deux premières tournées d’album solo, je n’ai jamais joué une seule note de Louise Attaque. Donc, j’ai véritablement essayé de prendre le temps, d’être avec moi-même. Avec le temps, j’ai réussi à me trouver. De ce fait, j’ai commencé à me dire que je pouvais jouer un peu de Louise Attaque. Et, c’est comme ça que tout s’équilibre et prend sens dans la durée. Mais il faut que je reste prudent ! Je ne ferai jamais un album solo en même temps qu’un disque avec Louise Attaque. Tout comme je me préserve de mettre du violon sur mes disques solo, parce que ça teinterait trop ma musique de celle avec mes camarades. Cette question, je me la suis évidemment énormément posée. Maintenant, moins parce que j’ai réussi à installer quelque chose qui est devenu naturel, que je continue de travailler et qui j’espère est entendu et compris.
"Ce qui me semble essentiel, à n’importe quel âge, c’est de rester en mouvement."
Les 30 ans de Taratata viennent d’être célébrés. Louise Attaque aura aussi 30 ans l’année prochaine. Comment on vit ce concert fou ?
Taratata, c’était particulier. Nagui est un amoureux de la musique, et un fidèle de Louise Attaque. D’ailleurs, il m’a offert la chance d’enregistrer une émission spéciale Éclect!que, où il a eu la gentillesse de me laisser libre dans mes choix avec des nouveautés et plusieurs duos de l’album. C’est vraiment une belle relation musicale et humaine, donc c’était évident pour nous de répondre présent à cette émission. Après, j’ai envie de vous répondre que 30 ans, c’est jeune ! [Rires] Mais je vais vous dire, ce qui me semble essentiel, à n’importe quel âge, c’est de rester en mouvement. Par exemple, on a participé à Taratata, je venais d’enregistrer une émission spéciale pour mon album, on est en tournée avec Louise Attaque, Éclectique sort d’ici quelques jours. C’est ça qui me motive ! Que les vases soient communicants et que ce qui prédomine soit la vie. Souffler des bougies en mouvement, c’est ça qui me passionne !
J’aimerais évoquer la notion d’héritage avec vous à travers une rencontre importante, celle avec Lucky Love. Que pensez-vous lui avoir transmis et inversement ?
Il y a un sens dans lequel je ne peux pas vous répondre, parce que je n’en ai aucune idée. En revanche, je peux vous parler de ce qu’on m’offre, qui est beaucoup ! Lucky Love est un artiste dont j’adore la voix, la liberté et l’aventure qu’il nous (et se) propose. Lorsque je l’invite à une émission, pas encore sortie, à reprendre Jacques Brel, je rencontre quelqu’un qui est lui-même déjà très éclectique, si on garde ce mot en fil rouge dans notre échange. Ce que je reçois, c’est cette grande liberté. Il me propose ce dont on parlait tout à l’heure : essayer de comprendre, de s’adapter et d’en faire des moments pour aller de l’avant. Pour moi, c’est ça la transmission que j’ai la chance de recevoir. Vous savez, Éclect!que, c’est 16 artistes avec 8 voix féminines et 8 masculines, une géographie musicale horizontale, que j’espère, très large, et une verticalité avec l’âge, en partant d’Adeline Lovo qui a une vingtaine d’année, à Alain Souchon qui un petit 80 ! Que ce soit de l’un ou de l’autre, je reçois de chacun une vision de la musique, de l’écriture, de la mélodie. Tous ces moments-là font, que moi-même, je suis forcément modifié et que je continue à développer mon propre éclectisme.
Finalement, c’est quoi la musique pour vous ?
Vous posez des questions courtes mais grandes ! [Rires] Blague à part, ce qui me fait plaisir, c’est que je vois que vous avez compris et que vous avez cherché à comprendre cet album et pourquoi je le fais. C’est essentiel de se laisser inspirer par l’autre et de tenter de le comprendre ! Et c’est ça tout le sens de cet album et de son nom : Éclect!que. Parce que c’est ça qui m’intéresse : cette richesse essentielle à mon cœur et à mes yeux. Ce n’est pas facile d’expliquer ce qu’on fait, parce que c’est quelque chose qu’on vit. Donc mettre des mots n’est pas toujours simple. J’ai apprécié cet échange parce que ça me permet de me poser et de trouver des réponses, en-tout-cas des pistes. C’est très agréable aussi. Mais pour tenter de vous répondre. La musique, à titre personnel, est ma passion, ma vie et mon métier. C’est quelque chose, comme en chimie, qui précipite le cœur et l’esprit. C’est un petit peu banal, je pense, mais c’est ce que je ressens. La musique rend les choses possibles ! Elle est dans l’air, partout à la fois… C’est magique la musique.
"Éclect!que", le nouvel album de Gaëtan Roussel, disponible dès aujourd’hui.
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