INTERVIEW
Publié le
3 juin 2021
Honoré d’un prestigieux Curt Gowdy Media Award décerné par le Basketball Hall Of Fame en 2018, Andrew Bernstein s’est imposé comme un photographe légendaire de NBA depuis bientôt 40 ans. Du joueur star Michael Jordan au "King" LeBron James, l’artiste a immortalisé les moments forts des athlètes de la NBA à travers des clichés devenus iconiques. Deux ans après sa collaboration avec le regretté Kobe Bryant autour du livre The Mamba Mentality: How I Play, il livre son expérience dans le sulfureux univers d’un des championnats les plus suivis au monde.
Comment a débuté votre carrière de photographe sportif ? C’est l’histoire d’un métier-passion ?
Mon père m’a offert un appareil photo lorsque j’avais 14 ans. Je me suis immédiatement pris d’affection pour la photographie et j’ai commencé à photographier de nombreux sujets différents au lycée puis à l’université. La photographie sportive liait mes deux passions: l’amour du sport et la créativité de la photo.
Vous êtes aujourd’hui un photographe légendaire de NBA. Vous avez immortalisé les actions des plus grands champions comme Michael Jordan, Kobe Bryant ou encore Lebron James... Quel est le plus important de capter dans un cliché selon vous ?
J’ai eu beaucoup de chance que ma carrière ait commencé au moment où l’engouement pour la NBA a décollé avec le Showtime des Lakers, ensuite avec l’ère de Michael Jordan, Shaq et Kobe, maintenant LeBron, Durant et Curry, etc. Mes 40 ans d’expérience m’ont appris à être très concentré et à ne pas être distrait durant les matchs afin de capturer les incroyables exploits sportifs que ces joueurs réalisent.
En 2018, vous avez reçu "The Curt Gowdy Award" par le Basketball Hall Of Fame. Qu’avez-vous ressenti ?
C’était un grand honneur pour moi. J’étais très reconnaissant envers toutes les personnes qui m’ont aidé et encouragé en tant que jeune photographe et qui m’ont donné la possibilité d’apporter ma marque créative à l’histoire de la ligue. J’ai aussi pensé au travail acharné, aux sacrifices et au dévouement que j’ai eu envers moi-même afin d’obtenir cet honneur extraordinaire.
Vous avez réalisé un cliché iconique : celui de Michael Jordan, en pleurs, portant la coupe, et de son père lors d’une finale NBA en 1991. Quel souvenir précis gardez-vous de ce moment ?
Il s’agit peut-être de ma photo la plus connue. Ça s'est passé très vite après que les Chicago Bulls aient battu les Lakers de Los Angeles aux finales de la NBA en 1991. Il y avait une célébration monstre à l’intérieur du minuscule vestiaire des visiteurs des Bulls. Jordan avait pris le trophée de la présentation télé en direct et tout le monde le cherchait pour faire une interview avec lui. Un sixième sens m’a dit de regarder à ma gauche et il était là, à peu près à un mètre de moi, dans un vestiaire avec le trophée et son père à côté de lui. MJ était très ému. Cette photo a pris une importance légendaire puisque, comme on le sait, c’était le premier de ses six championnats de NBA.
"Kobe et moi nous sommes rapprochés dès le premier jour où j’ai fait son portrait de joueur débutant lors du Media Day des Lakers en 1996. J’avais vu en lui, à 18 ans, quelques caractéristiques similaires que j’avais à son âge alors que je venais juste de débuter en tant que jeune photographe sportif: très déterminé, sûr de soi, talentueux et impatient de faire ses preuves."
Etre dans "l’intimité" des joueurs, dans les vestiaires et partager avec eux des moments loin des caméras, cela vous confère un véritable lien de confiance…
J’ai appris très tôt dans ma carrière que pour se rapprocher des joueurs, des coachs, des entraîneurs et de tout le monde autour du match, je devais me comporter avec intégrité et professionnalisme en toute circonstance. Pat Riley et Magic Johnson m’ont enseigné ça tôt et j’ai gagné leur confiance, ainsi que celle du reste de l’équipe des Lakers et de la NBA dans son ensemble. Je pense aussi que j’ai une personnalité attachante et que je traite tout le monde avec respect,que j’aime discuter et que les personnes qui m’entourent et avec qui je travaille m’importent vraiment.
Vous avez une collection innombrable de photographies des joueurs aussi bien sur le terrain qu’en lifestyle. J’ai en mémoire le cliché de Magic Johnson avec son manteau de fourrure en 1988 ou celui de Madonna et de Dennis Rodman en 1994…Ces photos parlent aussi de toute la légende et le folklore de ce sport…
La NBA était la première ligue à connaître un croisement entre sport et mode, musique et culture. Au début des années 1990, mon bon ami Jeff Hamilton a été une sorte de pionnier avec ses vestes en cuir noir emblématiques que Magic, Michael Jordan et bien d’autres ont ensuite portées. Ça continue à travers la culture sneaker qui a pris son essor avec Michael Jordan et d’autres encore. Aujourd’hui on voit des joueurs de NBA et de WNBA montrer la voie dans la mode, le divertissement et les réseaux sociaux.
La NBA est devenue un véritable objet de fantasme des pays européens. Elle est entrée dans la pop culture. Vous pensez que c’était l’objectif et le rêve de David Stern ?
Je ne suis pas sûr que David Stern ait consciemment décidé que la NBA allait montrer la voie dans la culture populaire et dans la mode, mais je dirais que Michael Jordan a été le déclencheur de ce phénomène. Ses shorts baggy, ses baskets Air Jordan, ses costumes impeccables, tout ça a permis de mettre les choses en route. Allen Iverson a ensuite amené la mode et la culture à un niveau au-dessus. Et puis n’oublions pas certaines légendes du passé qui étaient avant-gardistes à leur époque: Walt “Clyde” Frazier, Wilt Chamberlain et bien d’autres.
"Il y a quatre piliers dans la 'Mamba Mentality': obsession, curiosité, acharnement et force. Kobe vivait tous les jours avec chacun de ceux-là et son héritage continue de vivre en chacun de nous."
Vous avez pris la première photo de Kobe Bryant au sein des Lakers quand il avait 18 ans. En 2019, vous avez publié un livre en collaboration avec cette immense star du basketball américain baptisé The Mamba Mentality : How I play. Pouvez-vous nous parler de cette relation si particulière ?
Kobe et moi nous sommes rapprochés dès le premier jour où j’ai fait son portrait de joueur débutant lors du Media Day des Lakers en 1996. J’avais vu en lui, à 18 ans, quelques caractéristiques similaires que j’avais à son âge alors que je venais juste de débuter en tant que jeune photographe sportif: très déterminé, sûr de soi,talentueux et impatient de faire ses preuves. On a profité de 20 années de relation incroyables en tant que photographe et sujet mais aussi en tant qu’amis et collaborateurs.
Il me semble qu’il avait une idée bien précise des photos qu’il souhaitait partager avec son public et des messages à véhiculer…
Kobe était sans doute la personne la plus sûre d’elle-même et la plus attentive que j’ai jamais rencontrée. Lorsqu’on a commencé à travailler ensemble sur notre livre The Mamba Mentality: How I Play, il atout de suite été très clair et précis sur ses intentions pour écrire ce livre.Il voulait que ses fans et tout le monde puissent entendre de ses mots ce qui le faisait vibrer. La manière dont il se préparait mentalement et physiquement et toute la sagesse du basketball qu’il avait acquise durant sa carrière. Tout ça avait besoin d’être illustré à travers mes photos, ce qui était assez compliqué parfois mais amusant à faire ensemble.
Que retenez-vous de la philosophie "Mamba Mentality" ?
Il y a quatre piliers dans la “Mamba Mentality”: obsession, curiosité, acharnement et force.Kobe vivait tous les jours avec chacun de ceux-là et son héritage continue de vivre en chacun de nous.
Kobe Bryant entraînait sa fille Gigi afin qu’elle devienne une grande championne dans ce sport… Le basketball féminin américain a une ampleur considérable aujourd’hui ? En France, les équipes féminines sportives sont malheureusement moins médiatisées que celles des hommes…
Kobe était un “Girl Dad” très fier. Sa fille Gigi était une sportive remarquable dès son plus jeune âge et le basket était devenu sa passion. Qu’est-ce que c’est merveilleux qu’elle ait pu apprendre du meilleur, de son propre père ! Kobe a toujours soutenu le basket féminin et surtout la WNBA. Je me souviens qu’il assistait aux matchs avec Vanessa et ses deux aînées lorsqu’elles étaient plus petites. Kobe pensait que la “Mamba Mentality” n’avait pas de sexe. Les filles et les femmes peuvent adopter et apprendre sa philosophie aussi facilement que les garçons et les hommes. Il était très impliqué et très actif lorsqu’il entraînait quelques-unes des plus grandes stars du basket féminin. Gigi était certainement sur la bonne voie pour devenir l’une des meilleures qui ait jamais existé.
"L’amour qu’ont les Français pour le basket est exaltant. Je l’ai vu pour la première fois quand j’ai accompagné les Lakers pour l’Open Mcdonald's à Paris en 1991. Les supporters et la presse étaient bien informés et étaient de très grands fans. J’ai commencé à remarquer à quel point les ligues professionnelles en France créaient des joueurs talentueux de top niveau comme Tony Parker, Boris Diaw et tant d’autres. Les J.O. m’ont aussi montré que les équipes françaises étaient capables de rivaliser avec les meilleures du monde."
D’ailleurs, vous interviewez régulièrement de nombreuses championnes via votre podcast "Legends Of Sport". Parlez-nous de la naissance de ce média ?
J’aime beaucoup le format du podcast parce que ça me permet d’avoir de longues conversations en profondeur avec mes invités. On fait beaucoup de recherches et on essaye de vraiment comprendre nos invités et leurs parcours vers l’excellence. J’ai de la chance d’avoir créé des relations avec autant de personnes à l’intérieur et autour du monde du sport: sportifs, coachs, entraîneurs, propriétaires, journalistes, photographes, etc. Je suis aussi un grand fan du sport féminin et du rôle des femmes dans les coulisses de ce milieu. On a eu des invités incroyables sur ces trois saisons et bien d’autres à venir.
Vous avez aussi créé NBA Photos en 1986. Le but était de construire un vivier de photographies pour les fans de basket ?
Comme la NBA prenait son envol au début des années 1980, on a eu besoin d’un département centralisé au sein du bureau de la ligue qui pouvait gérer les demandes croissantes en photo mais aussi construire des archives pour conserver l’histoire visuelle de la ligue.
Le monde entier vit au rythme de la pandémie. Comment s’est passée la période de confinement pour vous et les joueurs de basket l’an dernier ?
Lorsque je suis arrivé dans la bulle de la NBA à Orlando en août dernier, j’ai été étonné devoir que la qualité de jeu était aussi bonne. C’était un environnement très spécial, soyez-en sûr, mais les joueurs et les coachs fournissaient tous les efforts nécessaires pour être performant et ils étaient impatients de regarder.
Vous aviez l’habitude de venir à Paris avec la NBA depuis 1991. Vous avez même exposé vos clichés du joueur de basketball français Tony Parker devant les grilles du Square de la Tour Saint-Jacques (Paris 4e) en janvier2020 lors des NBA Paris Game. Que pensez-vous de l’engouement de la France pour la NBA ?
L’amour qu’ont les Français pour le basket est exaltant. Je l’ai vu pour la première fois quand j’ai accompagné les Lakers pour l’Open McDonald's à Paris en 1991. Les supporters et la presse étaient bien informés et étaient de très grands fans. J’ai commencé à remarquer à quel point les ligues professionnelles en France créaient des joueurs talentueux de top niveau comme Tony Parker, Boris Diaw et tant d’autres. Les J.O. m’ont aussi montré que les équipes françaises étaient capables de rivaliser avec les meilleures du monde.
"Je suis impressionné par ce que ces incroyables athlètes peuvent accomplir sur le terrain presque chaque jour. Mais aussi par ce qu’ils continuent de faire en dehors du terrain en agissant et en prenant la parole pour la justice sociale, les problèmes concernant la santé mentale, l’équité salariale et bien d’autres enjeux auxquels nous sommes confrontés. Chez Legends Of Sports, nous tenons énormément à mettre en lumière tous ces grands enjeux sociétaux."
Quel est votre plus beau souvenir de NBA en "On" et en "coulisses" ?
C’est bien difficile de n’en choisir qu’un seul… Je dirais qu’avoir été embarqué dans la “Dream Team” en 1992 est sans doute le meilleur souvenir de ma carrière si je devais n’en nommer qu’un. Côté perso, je serai à jamais reconnaissant de toutes les relations que j’ai construites.
Humainement parlant, qu’est-ce que vous ont apporté toutes ces années dans cette ligue de basket légendaire ?
J’ai eu beaucoup de chance de voir une majeure partie du monde grâce à mon travail à la NBA. J’ai rencontré des personnes formidables tout du long. J’ai fait évoluer mon art entant que photographe et j’ai travaillé dur pour réaliser mon rêve.
Vous avez pu observer les meilleurs joueurs dans une compétition de haut niveau, quelles qualités doit avoir un bon joueur de NBA selon vous ?
On voit cette nouvelle génération de joueurs qui continue de faire avancer ce sport à de nouveaux niveaux. Je suis impressionné par ce que ces incroyables athlètes peuvent accomplir sur le terrain presque chaque jour. Mais aussi par ce qu’ils continuent de faire en dehors du terrain en agissant et en prenant la parole pour la justice sociale, les problèmes concernant la santé mentale, l’équité salariale et bien d’autres enjeux auxquels nous sommes confrontés. Chez Legends Of Sports, nous tenons énormément à mettre en lumière tous ces grands enjeux sociétaux.
La NBA est un des championnats les plus suivis au monde. Le succès du jeu NBA 2K20 en est une véritable démonstration. C’est le plus gros lancement de l’histoire des jeux vidéo aux Etats-Unis, vendu à plus de 6 millions d’exemplaires en moins d’un mois. Vous y jouez ?!
Non !
Que pouvons-nous souhaiter aux futures générations de NBA ?
De continuer à respecter le jeu et d’honorer tous ceux qui étaient là avant eux et qui ont tracé la voie. Également d’utiliser leurs plateformes pour sensibiliser et susciter le changement dans tous les domaines de la société.
Et que pouvons-nous vous souhaiter, à vous ? Il me semble que vous rêveriez de publier un livre chez Taschen…
J’adore la qualité de Taschen, évidemment. Ce serait sympa un jour d’avoir un livre recensant mon travail publié par eux s’ils pensent que mon travail rentre dans leur ligne éditoriale. J’ai beaucoup de projets en cours en ce moment, principalement pour développer Legends Of Sport en une plateforme mondiale de contenus. C’est très exaltant de fonder une nouvelle société à ce stade de ma carrière. Je travaille avec des associés géniaux et un petit groupe de personnes très engagées qui croient en notre mission et à notre objectif.