INTERVIEW
Publié le
17 novembre 2023
Un film sincère mais folklorique. Tel est l’esprit de L’arche de Noé, première réalisation cinématographique de Bryan Marciano qui porte à l’écran une association LGBT accueillant des jeunes mis à la rue par leurs familles. Avec pudeur et distance, Alex — Finnegan Oldfield — tente d’aider des post-adolescents aux situations bancales mais portés par la beauté de la jeunesse et une soif d’avancer, au côté de la directrice du lieu, Noëlle — Valérie Lemercier —. Dans un quasi huis-clos social et protecteur, les locataires de quelques mois se confrontent aux regards des uns et des autres, renvoyés à leurs propres failles, tout comme ceux qui les encadrent. Interview croisée.
Bryan, vous signez un film social qui aborde le rejet de jeunes LGBT par leur famille et la société. Pourquoi cette thématique pour votre première réalisation cinématographique ?
Bryan : Il y a une dizaine d’années, j’ai vu un reportage sur un jeune homosexuel mis à la rue par ses parents et recueilli par une association. Ça m’avait choqué et troublé. Ça m’est resté en tête et des années plus tard, j’ai décidé de pousser la porte de cette association, à Montpellier. Je ne savais pas trop pourquoi mais j'étais sûr de vouloir écrire quelque chose, un livre ou un film… J’ai proposé aux gens sur place : aux jeunes, aux travailleurs sociaux et aux bénévoles de parler en les enregistrant pendant des heures. J’ai fait ça dans toute la France, que ce soit avec l’aide sociale à l’enfance, le SAMU, plein d’associations différentes… L’urgence est venue des témoignages que j’ai reçus et qui me troublaient.
Finnegan, vous incarnez le personnage d’Alex, un encadrant instinctif, un brin absent et très observateur, dont on connaît peu le passé…
Finnegan : Il finit par devenir encadrant mais à la base, c’est juste un "galérien". Il a un chez-lui mais avec une mère azimutée, qui ne parle pas, qui reste sur un canap’… Il dort dans un garage avec des barres de fer… Sa vie, c’est un peu le bordel mais pas autant que dans la vie des jeunes qu’il va rencontrer. Avec cette association, il trouve un refuge et très vite, il est pris d’affection pour eux.
Qu’est-ce qui vous a plu dans ce personnage ?
F : J’ai aimé le fait qu’il ne soit pas le rebelle de base ou l’homophobe, c’est un mec vraiment paumé. On ne sait pas qui il est vraiment, c’est ce que m’a dit Bryan assez vite. C’est aussi quelqu’un qui est inconséquent et qui va devenir conséquent. Il y a tout un truc mais ce n’est pas une caricature. Par exemple, il a une polaire grise. [Rire général]
B : Elle t’a plu la polaire !
F : Oui ! [Rires] Mais on se demande qui est ce mec, il a une coupe à moitié mulet ! C’est très "chelou" et j’ai bien aimé !
Vous pensez avoir des points communs avec lui ?
B : Il a des polaires ! [Rire général]
F : J’ai beaucoup de polaires ! Des points communs, oui. J’ai eu une adolescence assez difficile, j’ai arrêté l’école tôt, en 4ième, donc j’ai aussi un peu galéré. J’aimais bien ce mec qui ne sait pas trop où il en est.
Bryan Marciano : "J’avais envie d’un film sincère mais pas sérieux."
Vous avez tout de suite pensé à Finnegan pour interpréter ce rôle ?
B : Je ne voulais pas raconter l’itinéraire d’un mec ultra homophobe et qui finit par "adorer les homos" … Ça n’a pas de sens en 2023 et ça ne m’intéressait pas. Je voulais quelqu’un qui soit un peu comme tout le monde, c’est-à-dire indifférent. Je pense que c’est ça la maladie de maintenant. Il avait ce truc-là. C’était un chemin mais ce qui m’a interpelé quand j’ai rencontré Finnegan, que je ne connaissais que par son travail, c’est qu’il est imprévisible. A ce jour, je ne sais pas qui c’est ! [Rires] Je dis ça en blaguant mais c’est tellement cool et riche, avec un comédien, de ne pas savoir ce qui va se passer ou ce qu’il pense... Si c’est cousu de fil blanc et qu’on voit où va le mec, c’est moins intéressant… Y a ce côté un peu "chien fou" et je dis ça avec tendresse, c’est-à-dire de quelqu’un à qui, lui aussi, il manque des parents et qui se reconstruit en aidant ces jeunes à qui il manque également des parents… Ça me permettait aussi de ne pas faire de l’entre-soi et de ne raconter qu'une histoire sur des jeunes LGBT, mais aussi sur ceux qui se reconstruisent et qui s’entraident.
Le titre du film : L’arche de Noé mais aussi une scène de pluie comparable au déluge… Autant de références bibliques dans un film sur une histoire LGBT, c’était un pied de nez assumé ?
B : Oui, ça m’amusait d’avoir une référence d’un épisode biblique sur un film qui parle des LGBT, et puis le film parle aussi de Dieu et d’une forme de spiritualité. Je pense que c’est important parce que c’est difficile de se construire en tant que LGBT quand on est croyant, par exemple. Ça cogne à un moment… Je voulais aussi décaler le propos et j’avais envie d’un film sincère mais pas sérieux. Je voulais rigoler et jouer un peu des choses. Je voulais un déluge, de la flotte… Je voulais qu’ils courrent dans l’eau, je trouvais ça beau. Je n’ai pas cherché plus loin que ça et, puis, il y a cette idée que tout prend l’eau. L’association prend l’eau mais ils essaient de garder la tête en dehors et d’avancer. Je souhaitais aussi annoncer la couleur : ce n’est pas un film trop premier degré. C’est folklorique.
Au moment de prendre des invendus dans un supermarché, Noëlle (Valérie Lemercier) lance à Alex : "Ce que les gens ne veulent pas, on le prend…" et aussi : "Les gens qui vont mal, il faut les occuper." Est-ce que ce n’est pas ce que fait Alex : s’occuper ?
F : Oui Noëlle l’occupe. Ce qui est sûr c’est que quand il arrive là-bas, et c’est ce qui lui plaît dans cette asso’, c’est que d’un seul coup, on lui file des trucs à faire, on lui file des cartons… Au début, il râle un peu mais il est finalement très content.
B : Oui elle fait avec toi ce qu’elle fait avec les jeunes !
F : Ah oui, je n’avais pas pigé ! [Rires]
B : Tu fais pareil pour elle quand tu lui demandes de venir faire la caisse pour le spectacle de l’asso...
F : Oui, j’avais compris, cette scène-là, je l’ai ! [Rires général] Mais même dans la vie, ça fait du bien quand quelqu’un nous sauve de la noyade. C’est très important, on n’a pas tous une personne comme ça.
Finnegan Oldfield : "Il faut du courage pour assumer ce qu’on est vraiment car le monde est extrêmement hostile."
L’exclusion, le rejet ou la différence sont des sujets que vous avez aussi côtoyé dans Marvin ou la Belle éducation (2017). Vous avez eu des réminiscences ?
F : Je n’ai pas trouvé beaucoup de points communs entre ces deux histoires bien qu’elles parlent d’un rejet, de l’homosexualité. J’ai séparé les deux projets mais la non acceptation, le fait de cacher qui l’on est vraiment sont des thématiques qui me touchent profondément, c'est vrai.
Bryan, vous avez fréquenté une association. Ce film s’inspire d’histoires réelles de jeunes mis à la rue par leur famille et leur entourage. Chaque parcours est violent mais raconté, par ces jeunes, avec une certaine froideur et un détachement. Cela traduit quoi selon vous ?
B : C’est vraiment ce que j’ai vu et ce qui m’a bouleversé. J’ai fait des interviews fleuve comme ça de deux ou trois heures avec des jeunes qui parlent de vies absolument folles et de choses qu’on ne pourrait même pas mettre dans une fiction parce qu’on n’y croirait pas : un jeune de 17 ans qui a fui la Russie, un mec de 15 ans à Marseille qui est tombé dans la prostitution et qui décide de se donner des coups de couteau… Des histoires complètement dingues et je n’ai jamais vu une larme. J’ai vu énormément de pudeur, des gens qui minimisent et qui disent : "Moi, ce n’est rien. Lui, c’est grave mais moi je pars bientôt". Pour être, à ce point, en béton à cet âge-là, c’est que ça doit être très tourmenté à l’intérieur. Cette pudeur fait que ce qui reste à l’extérieur, c’est de la jeunesse. C’est un faux ongle qui se pète dans un paquet de chips périmé. Je trouve cela plus émouvant que des larmes.
S’il y avait un message à retenir de ce film ?
F : Pour moi, c’est le courage de ces jeunes. Il faut du courage pour assumer ce qu’on est vraiment car le monde est extrêmement hostile. Quand je sors de chez moi, je n’ai pas de raison de me faire agresser. Eux, malheureusement si…
B : Je ne vais pas paraphraser ce qu’il dit, évidemment. J’aime l’idée que ce que font ces jeunes et les gens qui les aident, ce soit de toutes petites choses : des petits pas, colmater des petites brèches… Je n’ai pas vu de grandes solutions. Je ne sais pas si on répare des gens rejetés ou mal-aimés. Par contre, on peut les aider et il y a des gens qui donnent leur vie pour leur transmettre un peu de sourire.
"L’arche de Noé", de Bryan Marciano, en salle le 22 novembre prochain.