INTERVIEW
Publié le
4 juillet 2022
Fille et petite-fille de galeristes, Annabelle Cohen-Boulakia, fondatrice du Millenn’Art Club, bouscule les codes du marché de l’art contemporain pour accompagner la jeunesse créative prometteuse. Visites d’ateliers d’artistes, expositions en galeries, rencontres avec des professionnels du monde de l’art et partenariats prestigieux avec de nombreuses institutions (Palais de Tokyo, Fondation Cartier, Galerie Perrotin…) sont autant d’opportunités que souhaite offrir la créatrice de Millenn’Art, passée par la galerie Kamel Mennour, aux Millenials curieux et talentueux.
Annabelle, pourriez-vous nous parler de votre parcours…
Je suis fille et petite-fille de galeristes. J’ai toujours baigné dans le marché de l’art. Je me suis lancée dans des études qui n’avaient finalement pas grand-chose à voir avec l’art, puisque j’ai étudié la philosophie, la politique et l’économie. Au fur et à mesure, je me suis rendue compte que j’avais envie de rentrer dans les écoles d’art pour découvrir le travail de jeunes artistes. Pour moi, issue d’une famille spécialisée en second marché et en art moderne, c’était assez nouveau. Je pouvais discuter avec ces artistes et transmettre leur art et leur univers, ce qui était assez différent du travail de galeriste finalement. J’ai également commencé à faire un constat : il y avait très peu de galeries qui représentaient des artistes de la jeune création. Ainsi, j’ai commencé à m’intéresser particulièrement à eux et à leur art. J’ai commencé à travailler, Kenia Almaraz Murillo. C’est une jeune artiste bolivienne que j’ai rencontré aux Beaux-Arts quand j’avais 20 ans. C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à organiser des expositions pour elle. J’ai aussi fait un stage dans la galerie d’Art Contemporain de Kamel Mennour, puis j’ai été chef de projet de l’exposition "Voyages d’explorateurs" à l’aéroport Charles de Gaulle, ce qui m’a permis de travailler avec différentes maisons, comme le musée du Quai Branly. Cette expérience m’a surtout appris comment organiser une exposition à haut budget et avec différents interlocuteurs.
"Il faut adapter le marché de l’art aux Millenials en supprimant les barrières à son entrée."
Millenn’Art est une galerie mais aussi un club qui s’adresse aux jeunes. Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de créer cette galerie ?
En 2021, j’ai réalisé un Master Innovation et Entreprenariat à l’ESCP Business School pour réapprendre les bases et créer un projet, seule. C’est à ce moment que je me suis plongée dans l’analyse du marché de l’art et je me suis rendue compte qu’il n’y avait pas que les plus jeunes artistes qui avaient besoin d’un coup de pouce. C’était aussi le cas de notre génération, la génération des Millenials (entre 20 et 35 ans) qui souhaiteraient ou aimeraient s’intéresser à l’art, mais qui sont confrontés à trop de barrières à l’entrée, puisqu’il s’agit d’un marché élitiste. A ce moment-là, je me suis dit qu’il fallait adapter le marché de l’art à cette génération. Ma volonté était de retirer les barrières à l’entrée du marché de l’art en instaurant un abonnement à 10 euros par mois. L’idée était alors de créer un programme d’activités et d’évènements culturels pour offrir plus ou moins de visites privées, de cadres privilégiés (fondations d’art, musées, ateliers d’artistes, conférences…) pour ces talents prometteurs rencontrent des professionnels du marché de l’art (commissaires-priseurs, collectionneurs) mais aussi pour qu’ils s’initient et se cultivent à travers notre club.
Comment repérez-vous vos artistes ?
Je vais à la rencontre de ces artistes dans les écoles mais aussi sur Instagram. Je repère et juge beaucoup par coup de cœur ou de par ma sensibilité. Comme j’ai beaucoup côtoyé l’art moderne, j’ai développé un œil et une certaine sensibilité. En plus de cela, je demande conseil à des professionnels comme des curateurs. L’idée, c’est de créer une sorte de comité de sélection de mes artistes qui verra le jour en septembre pour apporter encore plus de visibilité à nos talents.
Comment décidez-vous qu’un projet a sa place à la galerie ? Pourquoi présenter, par exemple, celui de Laura Tolen, qui conjugue souvenir et nostalgie familiale ?
J’ai tout d’abord rencontré Laura Tolen sur Instagram en regardant les diplômés des Beaux-Arts. Je l’ai contacté et j’ai commencé à m’intéresser à son travail, notamment lorsque j’ai vu deux de ses dessins baptisés "Les rencontres". C’est sa technique innovante qui m’avait séduite, au-delà de son concept sa technique et artistique, où elle plaçait une sorte de voile transparent, c’est comme si ses personnages avaient un visage assez enfantin et n’étaient ni réels ni fictifs, comme s’ils bougeaient dans le temps. J’aime beaucoup le textile et tout ce qui se rapporte à l’ethnie, c’est un sujet qui me touche personnellement. C’est ce qu’on voit, par exemple, dans le travail de Kenya, une des premières artistes avec qui j’ai commencé à travailler. Leo Nataf, un sculpteur avec qui je collabore aussi, est passionné par l’exil, la mémoire, l’ethnie et la religion. J’aime ces sujets-là et j’aime la manière avec laquelle ces artistes les abordent. J’essaye de sélectionner mes artistes aussi en me posant la question de ce qui pourrait plaire au jeune public.
"L’art, pour moi, est transcendant. Il laisse une trace. C’est aussi un patrimoine qui se transmet."
Pourquoi, selon vous, l’art est fondamental dans notre société ?
L’art, pour moi, est transcendant. Il laisse une trace. C’est aussi un patrimoine qui se transmet. J’ai toujours été en contact avec le monde de l’art, avec des artistes vivants ou disparus. C’est aussi ce que je trouve intéressant. Ma famille, qui travaille dans le second marché aujourd’hui, vend et parle d’artistes qui ne sont plus là. Et c’est vrai que cette question de la transmission prend tout son sens. Ce que je trouve aussi intéressant, c’est d’aller rencontrer quelqu’un pour son art, avec qui on a aucun atome crochu. Ce que l’artiste peut révéler à travers son art peut nous toucher d’une certaine manière.
Est-ce que la France est un pays de collectionneurs ?
Je pense que ces dernières années, nous n’avons pas eu le même rapport à l’argent que les Anglais ou les Américains… De plus, aujourd’hui en France, mettre 1000 euros dans un dessin, ça peut paraître absurde plutôt que de les investir dans un élément technologique ou en bourse, par exemple. C’est sûrement plus facile à comprendre, c’est aussi une question de sécurité. Cette notion d’investissement et de dépense au coup de cœur dans l’art n’est pas naturelle finalement en France. Je pense, quand même, qu’il y a beaucoup de collectionneurs, et ça je le vois aussi, car même dans mes membres inscrits, la majorité est française. C’est une vraie niche, c’est un milieu extrêmement fermé. Aujourd’hui pour être collectionneur, il faut déjà être dans ce milieu. Tout le monde peut être collectionneur, il faut juste pouvoir accéder à ce marché.
L’art devient notamment une marchandise virtuelle qui s’achète dans le monde virtuel, je pense aux NFT… Qui sont ces artistes et ces clients du virtuel ?
Je pense qu’il y a une très faible partie des clients du virtuel qui se positionne comme des collectionneurs. Ils ont, en majorité, cette volonté lors de l’achat de faire partie d’une communauté. Il y a aussi cette question de certificat d’authenticité qui est sous un code, un algorithme, donc cela garantit une certaine sécurité. Je pense que les personnes qui achètent des NFT ne sont pas tous des marchands d’art. Pour la plupart, c’est simplement un marché financier spéculatif. Pour moi, l’art est quelque chose de tangible, que j’ai besoin de regarder, de ressentir en étant face à l’œuvre. C’est aussi pour cela que mon club prend sens dans ce côté physique.
Pourriez-vous parler de l’actuelle exposition "La couleur du voyage" présentée dans la galerie ?
"La couleur du voyage" est réalisée par une artiste franco-anglaise qui s’appelle Christabel Forbes. Je l’ai rencontrée grâce à ma collaboratrice Louise qui l’a découverte sur les réseaux sociaux. J’ai beaucoup aimé car c’est une artiste qui nous révèle un monde coloré et rêveur, cela peut paraître facile et naïf au premier abord, mais ça ne l’est pas. Christabel est une artiste qui voyage énormément et qui emmène ses carnets de croquis partout où elle va, pour emmagasiner l’ambiance, l’atmosphère et les couleurs. On a ainsi décidé d’organiser cette exposition, il y a 6 mois, pour créer une forme de voyage ambulant et un itinéraire un peu rêveur. Deux grands dessins représentent un paysage au Kenya et un autre à Londres. Cette exposition offre une nouvelle vision à travers le voyage et les couleurs d’une artiste dans ma galerie.
Quels sont vos ambitions pour Millenn’Art à moyen/long terme ?
Je souhaite faire grandir la communauté du club. Je veux que cela devienne la référence pour accéder au marché de l’art, mais toujours dans cette ambiance très conviviale et décontractée. Permettre notamment d’apporter cette audience quelque part à d’autres acteurs du marché, créer une vraie rencontre grâce à cette audience, et essayer aussi de grossir mon portfolio artistique pour qu’il soit aussi visible à international.
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