CINÉMA
La première, 26 ans, vient de remporter le César du meilleur espoir féminin pour son rôle de Stella dans “Les Amandiers” (Valeria Bruni Tedeschi, 2022). La deuxième, 27 ans, révélée sur grand écran avec “Une jeune fille qui va bien” (Sandrine Kiberlain, 2022) et “Simone, le voyage du siècle” (Olivier Dahan, 2022), a reçu le Swan d’Or de la révélation féminine au Festival de Cabourg. Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder ont accueilli ces prix avec l’émotion de jeunes premières. François Ozon a réuni les deux actrices dans “Mon crime”, sorti le 8 mars dernier. Quelques semaines plus tard, Rebecca Marder est à l’affiche du film de Sylvain Desclous, “De Grandes Espérances”, en salles ce mercredi. Critiques de deux films à fortes personnalités.
Si les deux actrices ne se connaissaient pas avant le casting de Mon crime, comme évoqué au micro de France Inter, leur complicité crève l'écran dans le dernier film de François Ozon. Complémentaires, elles forment un duo de “deux jeunes filles malicieuses qui ont besoin l’une de l’autre pour réussir”. Dans le film Simone, le voyage du siècle, Rebecca Marder avait déjà endossé le rôle d’une célèbre avocate - et pas des moindres, puisqu'il s’agissait de Madame Veil. Dans Mon crime, elle interprète Pauline, jeune juriste qui prend la défense son amie, accusée du meurtre d’un célèbre producteur de cinéma. “Il y a celles qui sont nées pour vivre les histoires d’amour, et celles qui sont nées pour la raconter”, se lamente Pauline (Rebecca), tandis que Madeleine (Nadia Tereszkiewicz), comédienne débutante, écoute ces plaintes de l’autre bout d’une cuisine délabrée.
L’intelligence d’Ozon jaillit à travers les dialogues ciselés et pleins d’esprit prononcés par les actrices, conviées à un bal incessant de mises en abyme. Nadia Tereszkiewicz campe une actrice sans le sou qui, pour parvenir à la célébrité, élabore une supercherie jusque dans sa propre intimité. “C’est moi qui l’ai tué, alors”, dit-elle à l’inspecteur (Fabrice Luchini), lorsqu’elle comprend qu’il vaut mieux être une menteuse connue qu’une honnête inconnue. “Il n'y a rien de tel qu’un succès pour vous rendre la gaîté”, répondra-t-elle plus tard à un journaliste transi (Félix Lefebvre).
Car la vérité dans Mon Crime importe peu, paradoxalement, puisque le film se veut écho à la libération de la parole des femmes, conséquence de la vague de dénonciations Me Too. Dans le Paris des années 1930, entre deux travelling sur des capots luisants et des posters de Billy Wilder, les témoignages s’enchaînent et se confondent. Parmi ces reconstitutions réussies d’une réalité hollywoodienne fantasmée, le blond gominé de Nadia rappelle l’ondulé de Lauren Bacall, et sa perruque brune, le carré sévère de Louise Brooks.
Comédie acidulée et rythmée, Mon crime offre une parenthèse de légèreté et de théâtralité, à l’image de Potiche (2010), ou de Huit Femmes (2002). La mise en scène de François Ozon parfait le succès passé de la pièce de théâtre éponyme de 1934, écrite par Georges Berr et Louis Verneuil. Sur grand écran, le duo de charme formé par Nadia et Rebecca s’invite aux rangs de ceux dont le talent n’est plus à démontrer. Saluons à cet égard le jeu de l’excellente Isabelle Huppert en ex-tragédienne du muet, ou celui de Dany Boon, qui, en honnête homme d’affaire marseillais, constitue sans doute le plus intègre de toute cette joyeuse mascarade judiciaire.
Changement d’époque, changement de décors. Pour De grandes espérences, de Sylvain Desclous, c'est au tour de Rebecca Marder de se glisser dans la peau de Madeleine, empruntant les routes sinueuses du maquis corse. Avec Antoine (Benjamin Lavernhe), ils forment un couple classique et ambitieux d’étudiants à Science Po, en lice pour le concours de feu l’ENA. Allongés sur des transats face à la mer, ils récitent des arrêts de jurisprudence, sur fond de chant des cigales. Le soir, Madeleine s’élance dans de longues discussions enflamées avec la tante d’Antoine, ex-secrétaire d’État. “Appelle moi de retour àLyon, tu pourrais m’être utile”, lui lance Emmanuelle Bercot, séduite par la prestance un brin idéaliste de sa nouvelle protégée.
“Je suis jeune il est vrai, mais aux âmes bien nées la valeur n’attend pas le nombre des années”, écrivait Corneille dans Le Cid. Mais que devient la promesse d’un bel avenir, lorsqu’au virage d’une route sinueuse et d’un klaxon impulsif, Antoine et Madeleine se retrouvent enrôlés au cœur d’un drame ? Pourront-ils entrer dans l’arène politique après s’être sali les mains ? Leurs ambitions icariennes auront-elles raison de leurs jeunes ailes ? Plongé dans l'insolente beauté de l'île méditerranéenne, paysages corses, le spectateur devenu témoin se retrouve à juger le destin de ces jeunes âmes bien nées, soudainement meurtries. Les acteurs, ensembles sur les planches de la Comédie Française comme à la ville, campent rôle de personnages aux carrières brouillées voire décomposées après un meurtre accidentel. Si ce thriller politique contemporain s’essouffle vite, peinant à nous entraîner dans une spirale à suspens saisissante, on reconnaît aux acteurs l’éloquence et la volonté de leurs personnages.
"Mon crime", de François Ozon et "De grandes espérances", de Sylvain Desclous, en salles.